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Reesholm : une presqu’île, un aigle

Deux petites touffes de plumes en forme d’oreilles, une paire d’yeux tout ronds et des griffes recourbées autour d’une branche d’arbre. Comme un peu partout en Allemagne, quand on entre dans un site naturel protégé, un hibou moyen-duc sur fond jaune accueille ses visiteurs.

Sur la presqu’île de Reesholm, le panneau a été planté entre les roseaux, à quelques mètres de la Schlei et juste à côté de la petite plage de Winningmay. Pourtant, ici, il aurait peut-être mieux valu en mettre un autre — un des écriteaux qui étaient utilisés en Allemagne de l’Ouest avant la réunification1, un triangle avec un aigle en plein vol. Pas parce qu’ils sont plus beaux mais parce qu’à Reesholm, on a plus de chance de rencontrer un aigle de mer qu’un oiseau de nuit.

Je vous propose un rendez-vous à dix kilomètres de Schleswig avec un des plus grands rapaces d’Europe qui fait son comeback dans le nord depuis quelques dizaines d’années. Ici, nous sommes au bord de la Schlei, un grand bras de mer qui fait partie de la Baltique. La presqu’île dont il est question, est plate comme une limande mais son paysage n’en est que plus charmant même si on ne peut accéder au cœur de ce site naturel.


Serge Gainsbourg (1966)

C’est exactement ce que je pense en voyant le crescendo des flaques qui rendent le passage de plus en plus difficile. Pour l’instant, il y a toujours eu un moyen de les éviter — une pierre saillante, un bout de bois posé au milieu de l’eau, une petite bande de terre le long des roseaux mais cette fois-ci, impossible ! Je suis dans la gadoue à quelques mètres de la Schei.



C’est le moment où les mieux équipés poursuivent leur chemin et où les autres doivent peser le pour et le contre. Aller voir de plus près l’aigle qui vient de se poser sur la cime d’un arbre ou faire demi-tour pour regagner la terre ferme. Mouiller ses chaussures et peut-être même ses pieds ou rebrousser chemin mais se priver de ce spectacle. Je mise sur l’étanchéité du GoreTex, sur la viscosité du sol, je retiens mon souffle et j’avance mollo.



Non, toute cette boue n’est certainement pas ce qui fait le charme de la presqu’île de Reesholm. De toute façon, je pars du principe que si vous vous rendez un jour sur cette petite langue de terre, ce sera à une autre saison mais je vous présente tout de même Reesholm comme je l’ai vécu. En janvier. L’eau à fleur de terre ou la terre à fleur d’eau. Une nature brute et humide qui dévoile son romantisme même en hiver. Le coucher de soleil y est grandiose. Il s’accompagne du grou-grou de quelques grues qui restent hiverner dans les lagunes de la Schlei et du froufrou des oies qui se posent bruyamment sur l’eau.



Les réserves naturelles protégées en Allemagne

Parmi les Etats fédérés, le Schleswig-Holstein est bien placé en matière de sites protégés. Il gère une partie du très grand parc national de la mer des Wadden, mais il a également deux cents zones naturelles de type Naturschutzgebiet ce qui représente 8,4% de sa superficie totale. Néanmoins, comme souvent en Allemagne, ces réserves naturelles sont plutôt petites ce qui leur confère un caractère insulaire.

La presqu’île de Reesholm qui se trouve dans le parc naturel de la Schlei en fait partie. Pour plus d’informations sur sa faune et sa flore, consultez le site web de NABU, l’organisme qui gère cet espace.

Finalement, jusqu’au poste d’observation, j’ai de la chance : mes chaussures tiennent le coup. Après une dernière grande flaque qui s’étire jusqu’au bout du chemin — jusqu’à la barrière car en fait, le sentier poursuit sa route jusqu’aux arbres mais il est barré —, j’arrive à une cabane en bois surélevée.


Au fond du fjord, on voit l’élégante silhouette de Schleswig.

A l’intérieur, les murs et les bancs sentent encore le bois frais, des affiches colorées présentent les papillons de la région. Néanmoins, le limon a déjà zébré le parquet. Il témoigne de la tempête qui a fait gonfler la Baltique il y a quelques mois au point d’inonder les villes et les abords de la Schlei. La tempête Babet d’octobre 2023. La tempête du siècle.

Pas étonnante, cette inondation lorsqu’on sait que la majeure partie de la péninsule de Reesholm s’élève à peine 50 centimètres au-dessus de la mer. Ses terres, un ensemble de prés salés et de marécages dont la pointe s’avance dans la Schlei en formant un crochet sablonneux, sont vite submergées.



En hiver, même sans les grandes tempêtes, la péninsule est imbibée d’eau — une véritable éponge.



J’ouvre le volet de la fenêtre qui donne sur une étendue d’eau bien éclairée et sur les quelques arbres de Reesholm, je m’asseois et je règle mes jumelles. L’aigle n’a pas bougé, il ne s’occupe pas de moi. Il sait certainement qu’il n’a rien à craindre car de nos jours, l’orfraie est protégée par la loi. Dans le Schleswig-Holstein, on en trouve moins que dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale, mais l’année dernière, on recensait néanmoins 99 couples d’aigles de mer, la plupart vivant dans la région de Plön et dans la partie orientale du Holstein.



Sur la presqu’île de Reesholm, il n’y a pas beaucoup d’arbres mais quand un oiseau s’installe sur leur cime, il a un point de vue stratégique. Le soleil hivernal dans le dos, il peut alors scruter l’horizon. Apparemment, notre aigle observe ce qu’il se passe sur l’eau.



De son poste d’observation, il surplombe la péninsule, 120 hectares de terres rases dominées par les joncs et les prés salés, et la « Große Breite », une partie de la Schlei qui ressemble à un grand lac entre Missunde et Stexwig.


Il y a un couple d’aigles qui vient nicher tous les ans près du château de Schleswig. Est-ce un de ces deux rapaces ?

Il ne se retourne pas. Il ne s’intéresse peut-être pas à ce qu’il se passe dans la « Kleine Breite », du côté de Schleswig. Ou alors, il n’a pas envie d’être aveuglé par le soleil qui, à cette heure, décline rapidement en enveloppant les marais de couleurs dorées.


Le soleil se couche dans notre dos, derrière Schleswig, et éclaire la « Große Breite ». C’est l’heure des grues cendrées.

Dans cette baraque, à l’abri du vent d’hiver, à l’ombre des murs en bois, je m’imagine un tableau de Magritte : une femme qui observe un aigle qui observe une femme qui observe un aigle… Chacun son poste d’observation.


Les fortifications vikings de Reesholm et de Stexwig

L’aigle n’est pas le seul à trouver Reesholm intéressant. Lorsque les Vikings créèrent un empire près de la Schlei, ils décidèrent de protéger leurs frontières et leur réseau commercial2 en construisant des fortifications qui s’étendaient sur des dizaines de kilomètres autour du bras de mer. On appela cette muraille danoise le Danewerk.

Tandis que certains endroits comme la « Große Breite » leur assuraient une protection naturelle grâce à l’étendue du fjord, d’autres constituaient un risque car ils étaient plus étroits. Entre la presqu’île de Reesholm et les rives de Stexwig par exemple, la Schlei ne fait que 40 mètres de large. C’est pour cette raison qu’en 737, ils construisirent un barrage d’un kilomètre en parallèle à la pointe de Reesholm. Ce barrage permettait de contrôler le passage et faisait partie du système de défense du « Limes scandinave ». Aujourd’hui, les constructions en bois se trouvent sous l’eau et font partie de notre héritage culturel mondial. Elles sont classées à l’UNESCO au même titre que Hedeby (Haitabu) ainsi que le Danewerk et sont signalées par une bouée. Une équipe scientifique internationale surveille leur état de conservation.

Quant à la rivière de la Füsinger Au qui se jette dans la Schlei juste à côté, elle servait de voie fluviale il y a plus de mille ans. Les Vikings partaient de Haitabu, leur plaque tournante, et allaient vers la région d’Angeln en remontant le cours d’eau. A Füsing, on a retrouvé les fondations d’un village viking au début des années 2000.

Si vous venez en été, vous apercevrez des galloways dans les prés salés de Reesholm. A la belle saison, ces 80 vaches rustiques vivent en liberté entre les genêts et les aubépines. Elles sont là pour entretenir les pelouses sèches.

La végétation halophile est variée. Les fleurs de la cochléaire officinale, de l’aster maritime et de l’angélique s’y cotoient.

Qui va à Reesholm, fait donc une promenade nature mais ne vous attendez pas à une longue randonnée. Il n’y a pas de circuit car le chemin s’arrête en cul-de-sac à la hauteur du poste d’observation.


Schleswig — sa cathédrale, sa Tour Viking brutaliste et son moulin à vent.
Seeadlerschutz — Ligue de Protection des aigles de mer

Par contre, vous pourrez certainement observer les oiseaux si vous avez la patience d’attendre et de regarder les zones d’habitat de plus près. Qui sait, peut-être aurez-vous la chance de voir un aigle vous aussi. Ou un groupe de grues qui jacassent en se posant sur l’eau. Ou des oies cendrées qui regagnent leur quartier général. Ou des cygnes qui finissent leur journée en amoureux près de l’embouchure de la rivière. C’est le matin et le soir que vous verrez le plus d’oiseaux.



En ce qui concerne le coucher de soleil, je laisse parler les images…



Et si vous voulez faire un peu comme l’aigle, voir la presqu’île de Reesholm d’en haut, allez donc à Schleswig et montez jusqu’en haut de la tour de la cathédrale. De là, vous aurez une vue impressionnante des environs — et à l’est, vous verrez Reesholm ainsi que la « Große Breite ».


La presqu’île de Reesholm s’avance dans la Schlei. De la tour de la cathédrale de Schleswig, on distingue mieux sa forme, ses zones marécageuses et ses arbres.

Un peu avant le site naturel de Reesholm, vous passerez devant la petite plage de Winningmay qui est exposée plein ouest.

Cette plage n’est pas grande, la bande de sable pas vraiment large non plus, mais un bain a certainement son charme en été. L’endroit est également connu des kitesurfeurs de la région.



Au VIIIe siècle, il y avait un port viking à cet endroit.
Aujourd’hui, on y trouve une plage et un sauna à louer.
Une petite source bouilonne au bord de la plage.

De là, la vue est belle, surtout le soir, lorsque le soleil se couche derrière la ville de Schleswig. Ce n’est donc pas étonnant que quelqu’un ait pensé à installer un sauna au bord de l’eau. De la fenêtre, on peut admirer une partie de la « Kleine Breite » tout en transpirant un peu.


La Schlei regorge de petits coins charmants. A côté de la très jolie ville de Schleswig, il y a :

  1. De 1955 à 1994, les panneaux situés à l’entrée des sites naturels en Allemagne de l’Ouest représentaient un aigle. A partir de 1994, ils ont été remplacés par des panneaux jaunes avec un hibou. Il s’agit du symbole utilisé en Allemagne de l’Est depuis 1950. ↩︎
  2. L’ancienne cité danoise de Hedeby (Haitabu) était située au sud de l’actuelle ville de Schleswig. Aujourd’hui, on y trouve un grand musée sur la culture viking et la reconstitution d’une partie du village. ↩︎