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Les prés salés de Sankt Peter-Ording

Allons voir une star de la mer du Nord — Sankt Peter-Ording qu’on appelle aussi « le plus grand bac à sable du Nord ».

Selon des statistiques récentes, cette petite ville qui s’étend sur la partie ouest de la péninsule d’Eiderstedt reçoit jusqu’à 500.000 visiteurs par jour. Pas tous les jours évidemment, mais même à la mi-octobre, malgré les températures qui baissent, les rues du centre-ville sont encore très animées et en ce qui concerne le tourisme du Schleswig-Holstein, elle est en tête de file derrière Sylt et la région de LübeckTravemünde avec 2,75 millions de nuitées par an.

Pourquoi Sankt Peter-Ording a-t-elle autant de succès chez les touristes allemands ? Cette ville a un atout dont seules les îles frisonnes disposent sur la côte : un paysage de dunes et une douzaine de kilomètres de plages qui filent à l’horizon pour le plaisir des baigneurs, des véliplanchistes et des curistes.

Une profusion de sable fin dans un monde marin que se partagent d’ordinaire l’eau et le limon car ce littoral est plutôt un univers de digues vertes, de vasières et de prés salés. En effet, nous sommes en plein milieu de la mer des Wadden, une énorme réserve entre terre et mer qui fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Pour le bonheur de tous, SPO comme on appelle Sankt Peter-Ording communément de nos jours nous propose deux mondes d’exception (même si la plupart des touristes préfèrent le côté cristallin) : le sable et ses dunes d’un côté et les prés salés de l’autre. Tous les deux « made by nature ».


Je vous ai déjà emmenés ici à plusieurs reprises. Le premier article, assez vieux mais toujours d’actualité, parle des emblèmes de la ville, une quinzaine de cabanes sur pilotis construites sur la plage. Un second article se concentre sur les dunes de Sankt Peter Ording. Il a été écrit pendant la pandémie et porte ses traces.

Cette fois-ci, allons à la découverte des prés salés, un paysage à la végétation rase qui se trouve dans la partie sud de l’agglomération. Dans le cas présent, nous sommes à la hauteur du quartier historique appelé Sankt Peter-Dorf.

La promenade qui mène à Südstrand fait découvrir différents types de dunes qui séparent le littoral de la ville. Pour commencer, il y a les brunes, à peine reconnaissables, étrangement luxuriantes. Ici, l’humus qui s’est accumulé au fil du temps a permis à la fougère de foisonner. Elle forme un tapis touffu sous les arbres, à l’entrée de ce paysage de dunes.



Ensuite, vous trouverez les noires et les grises, dunes aux paysages plus ouverts. La bruyère s’y répand. Quelques arbustes contorsionnistes résistent au vent d’ouest. Ici, comme dans les tourbières, on pratique ce qu’on appelle la « Entkusselung », l’arrachage de certaines plantes en vue de restaurer le paysage de dunes. Il s’agit également de réduire le nombre d’espèces invasives importées dans le passé afin de stabiliser les dunes.



Si vous cherchez des dunes blanches ou vertes à cet endroit, vous serez déçus. Elles se trouvent plus au nord, vers les plages.

Profitons de cet endroit de transition pour parler de l’histoire de cette côte.



Pendant des siècles, tout ce sable qui affluait de la mer et qui était emporté par les vents vers les habitations et les champs jusqu’à les recouvrir complètement et les rendre inutilisables fit entrave au développement de la ville. En 1795, un théologien de passage à Eiderstedt en vint à comparer ce paysage aux « dunes d’Arabie » et aux « steppes tartares », se plaignant des nuages de sable qui faisaient entrer le sable partout.



Les différents lieux-dits disséminés le long de la côte abritaient quelques centaines d’âmes, toutes plus pauvres l’une que l’autre. Trop de sable pour l’agriculture. Trop de sable pour la pêche. Trop de sable pour le commerce. D’ailleurs, jamais Sankt Peter ne put avoir de véritable port. Tout était voué à l’ensablement. Même l’église qui fut déplacée à plusieurs reprises.

Les chroniques ne mentionnent personne à y avoir fait fortune. Tout au plus, certains — les Strandlöper, littéralement « ceux qui marchent sur la plage » — profitèrent parfois du malheur des autres, de naufrages en l’occurrence, en se promenant sur la grève, à la recherche d’ambre, mais aussi d’épaves et même de corps. On raconte encore aujourd’hui que ces chercheurs de bris, du reste mal vus par la population, cachaient certaines trouvailles dans les dunes pour ne pas avoir à les déclarer.

Mais finalement, c’est justement ce sable qui permit à l’agglomération de Sankt Peter-Ording de connaître son heure de gloire lorsque le monde européen inventa le tourisme. Il fit même sa richesse.



Au début du XIXe siècle, l’aristocratie et la haute bourgeoisie s’étaient épris des îles de la mer du Nord. La médecine vantait les vertus de leur vent frais. Fuir les villes et leur pollution, l’air vicié des ruelles, le charbon des cheminées et des industries, c’était la devise des riches estivants depuis peu et quand ils n’optaient pas pour la montagne, ils rejoignaient les nouvelles stations balnéaires de la côte. Sur la péninsule d’Eiderstedt, il était possible de prendre des bains depuis 1837 mais l’ouverture d’un premier hôtel dans les dunes de Sankt Peter en 1877 marqua un premier tournant dans l’histoire de cet endroit, la création d’une ligne de chemin de fer en 1932 un second.

Quant aux Giftbuden qui sont l’emblème de la ville aujourd’hui, ces grandes maisons sur pilotis que nous trouverons aussi en bout de route, elles apparurent en 1911.



Pourquoi venait-on dans cette station balnéaire ?

Pour l’air marin, pour les bains de mer et les bains de boue mais aussi pour les bienfaits d’une source sulfureuse découverte sur place. Evidemment, l’air était frais, froid parfois même et quand la mer était basse, la route était longue. Deux kilomètres, c’est beaucoup, surtout à pied. Rafraîchis ou même refroidis par les embruns et le vent, on avait besoin de se réchauffer quelque part. Ou de se rhabiller. C’est pour cette raison que des cabanes avaient été construites sur la plage, surélevées pour mieux supporter les marées et les tempêtes.

Certaines furent détruites, emportées par les vagues, mais on resta fidèle à cette idée : on reconstruisit, on rafistola, on perfectionna et toujours et encore, ces Giftbuden servent de bars ou de restaurants, de cabinets ou de postes de secours et très inofficiellement de points de vue panoramiques pour ceux qui veulent.



Au début des années 1930, il y a presque cent ans, il n’y avait évidemment pas autant de touristes et surtout pas autant de logis. Néanmoins, les merveilleuses dunes de sable et les chenaux qui se faufilent entre les herbes grasses étaient déjà présentes — peut-être même plus présentes et en plus grand nombre qu’aujourd’hui. Un cadre sauvage et authentique qui demandait à être immortalisé. On avait donc fini par s’y retrouver entre artistes et d’après les chroniques, SPO servit de colonie à de jeunes peintres, musiciens et écrivains pendant quelques années. Est-ce que les ateliers de peinture étaient spontanés ? Aucune idée, mais certains jours, on peut s’imaginer un côtoiement de chevalets sur fond de dunes éoliennes. Les aquarelles d’Albert Johannsen ou les peintures de Ingwer Paulsen témoignent en tout cas d’un engouement pour ces paysages primaires. Elles pourraient avoir été réalisées la veille.



Restons encore un peu dans l’art puisque le thème s’y prête. En 1946, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le grand peintre et aquarelliste Emil Nolde (1867-1956) s’inspira lui aussi de la beauté du site pour réaliser une série poétique d’aquarelles marines. Il accompagnait sa femme Ada, déjà bien malade (elle mourra quelques mois plus tard), dans l’espoir qu’une cure améliore son état de santé. Les petites aquarelles ne sont pas tant le reflet d’un paysage extérieur qu’une transposition de son monde intérieur. Les variations combinant trois motifs — l’eau, le ciel et le bateau — sont en général à la fois grandioses par la superposition des couleurs (Lichtes Meer) et fascinantes par la fluidité de son expression (Helles Meer). Elles vont de la transparence presque métaphysique (Meer mit vier kleinen Dampfern) à l’intensité des pigments (Meer mit violetten Wolken und drei gelben Seglern). Je pense que personne ne reconnaîtra Sankt Peter en regardant ces chefs-d’œuvre d’intemporalité mais les aquarelles petits formats valent la peine d’être admirées tout de même… Peut-être dans le musée qui est consacré à l’artiste, à Seebüll.

A SPO, aujourd’hui, vous trouverez quelques galeries d’art. Les motifs prédominants sont d’ordre maritime. Normal.



Alors que le centre-ville et la plage sont vite pleins, entre les touffes de salicorne et les spartines, vous pourrez prendre du recul et admirer les vastes étendues des prés salés. Ici, vous ne rencontrerez pas de canalisations artificielles comme dans beaucoup d’autres endroits sur la côte.



Les chenaux et les vasières servent de refuges à de nombreux animaux dont une cinquantaine d’espèces d’oiseaux spécialistes des milieux salés vasicoles. Ainsi, en automne, on y rencontre des troupeaux d’oies sauvages qui font le plein dans les zones humides avant de poursuivre leur route.



Dans les parties plus sèches, ce sont des chevaux ou des vaches qui broutent. Eux aussi font partie du paysage.

Les marais salés sont connus pour leur végétation halophile et selon la saison, vous verrez les cochléaires, l’aster maritime, l’obione faux-pourpier et la lavande de mer en fleurs. L’été s’y prête évidemment. Surtout le mois de juillet. A votre place, j’opterais cependant pour un autre lieu qui est situé un peu plus au nord : afin de profiter de cette floraison, j’irais à Westerhever. C’est là que se trouve un phare rouge et blanc, autre emblème de la péninsule.



Quelques routes goudronnées ou empierrées partant du bourg permettent d’accéder au prés salés. Il y a même une ligne de bus qui fait le trajet jusqu’à Südstrand. Par contre, faites attention. En vous promenant, restez sur ces chemins. Ne vous aventurez pas dans la vase et n’essayez surtout pas de traverser les chenaux. Régulièrement, les secouristes doivent repêcher des touristes insouciants qui se retrouvent coincés.


Le port de Husum — Qui trouve SPO trop touristique et préfère les ports, peut aller à Husum qui mérite une visite également. A faire peut-être au retour si vous êtes stationnés dans la région (SPO devient de plus en plus cher). Une ville qui, à mon avis, a plus de caractère même si le quartier de Sankt Peter-Dorf ne manque pas de charme non plus avec ses maisons historiques…

La ville frisonne se trouve à 45 minutes au nord de SPO et vous attend avec ses musées et ses infrastructures.


La « plage verte » de Evershopsiel — Entre SPO et Husum, vous pouvez faire une halte dans un tout petit endroit au panorama splendide. Vers Evershopsiel, vous roulez sur les digues et ce mini-stop vous permettra de monter à pied sur la digue principale. De quoi admirer les paysages typiques de la mer du Nord, entourés de moutons.

Si vous venez du sud, passez par le barrage de l’Eider. Sinon, vous pouvez aussi :