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Les merveilles de la Genèse ou le phare de Westerhever

Pendant très longtemps, à Westerhever, la ligne resta horizontale. Horizontale comme une mer sans vent, comme la vase à marée basse, comme une succession infinie de — — —

Pas un seul rocher, à peine quelques buttes d’arénicoles et à la rigueur, les traces de pas d’un petit bernard l’hermite perdu dans son immense désert.



Le ciel s’était très bien fait à son espace, la terre et la mer aussi. La lumière du jour leur offrait toute une gamme de couleurs tandis que la nuit les plongeait dans des ténèbres clairsemées. Deux grands luminaires veillaient sur ce monde parfait et une multitude d’étoiles avait été placée çà et là pour parler des saisons, des jours, des années aussi. Les eaux des mers s’étaient remplies, les oiseaux s’étaient multipliés.



Le matin, les éléments se concertaient et choisissaient leurs teintes. Du rose en général. Le soir, ils recouvraient tout d’un film orangé et pendant la journée, la mer et le ciel égayaient leurs espaces de bleus tandis que la terre, plus loin, allait puiser dans les tons gris-vert qu’elle saupoudrait de petites fleurs sauvageonnes.



Ou alors elle misait sur le jaune des sables, mais ça, plutôt à la limite des éléments. Là où l’eau vient se fondre à la plage.



Chaque couleur avait sa place. Pourtant, il arrivait quand même que les éléments se disputent. Alors, le monde basculait dans le gris, parfois même dans le noir. Ces jours-là — ou ces nuits-là d’ailleurs —, les espaces étaient chamboulés, démantelés, réorganisés. L’eau inondait la terre, le ciel devenait aquatique et surtout chaotique, la lumière et la terre se défilaient.

Finalement, la ligne horizontale reprenait sa place mais les limites s’étaient sensiblement décalées et ces querelles faisaient des victimes. Les bêtes avaient été emportées par les flots avant même de se sauver dans les terres, les oiseaux se cachaient quelque part, laissant leur progéniture entre les herbes, à la merci de la mer.



Les hominidés ayant une nette préférence pour la terre ferme finirent par se dire qu’il faudrait lui donner un petit coup de pouce. Agrandir cet espace, ce serait comme reprendre le contrôle de la situation. On fit venir des Hollandais car au dire de tous, personne ne connaissait mieux la mer du Nord et ses caprices que ce peuple d’architectes. Aussitôt, ils se mirent à construire des palissades, puis des digues.


Sur la côte, la digue s’étend sur des centaines de kilomètres afin de protéger les terres. Sankt Peter-Ording fait exception et étale ses plages de sable sur 12 kilomètres. Le vent et les courants marins lui ont offert des dunes.

Grâce au fascinage, l’homme gagne du terrain peu à peu en canalisant la vase. Aujourd’hui, on comptabilise 246 hectares de prés salés à Westerheversand.

Les « Grüppen » creusés perpendiculairement à la mer permettent d’évacuer l’eau des marées et de retenir le limon. Ils constituent un élément caractéristique de la côte allemande.

Depuis que trois quarts des prés salés ne sont plus exploités, Westerhever est devenu un paradis pour les succulentes et les oiseaux de mer.

Même si les moutons sont en liberté ici, ils restent toujours prêts à partir à l’aventure… dès qu’on leur en donne l’occasion.

Et c’est ainsi qu’un jour, la ligne droite qui avait séparé la mer et le ciel pendant des millénaires, vit apparaître une nouvelle terre ici et là. ICI, c’était à Westerhever et LÀ, c’était un petit îlot que les hommes et les femmes appelèrent Süderoog.


Tout au fond, on aperçoit Süderoog, une des « Halligen » de la mer du Nord.

Aujourd’hui, Westerheversand constitue la limite de la péninsule d’Eiderstedt.

Alors, Westerhever se peupla de prés salés regorgeant de salicornes et d’herbes grasses. On y mena des moutons et des bêlements incessants se firent entendre un peu partout sur les digues. Bientôt, les agneaux se mirent à gambader sur leurs pattes frêles. Cela ne dura guère longtemps et les sternes, les bécasses et les vanneaux se posèrent entre les herbes, dans les rigoles recouvertes de vase, à l’affût de vers et de coquillages. Un paradis sans pomme ni serpent.



En quelques siècles, la péninsule d’Eiderstedt avait pris forme et Westerhever en était devenu son grand repère sur la côte. La ligne horizontale avait fini par relever la tête. Un phare et deux maisons en plein milieu des prés salés, à deux doigts d’une mer faite de terre et d’eau sous un ciel incommensurable.



Un site emblématique au goût d’embruns et de bière fraîche. Une Mecque du Nord où les caravanes de visiteurs processionnaires se volatilisent l’été dans un mirage de chaleur. Où ils se mêlent aux troupeaux moutonneux en longeant les digues. Où leurs pas font l’expérience de l’immensité horizontale des bancs de sable. Où ils suivent les traces pavées des anciens gardiens du phare. Où ils découvrent les merveilles de la création divine. Créée avec ou sans l’aide de Dieu.



Le phare — un index dans le vent

Un nez dans le vent frais marin. Un index levé clairement entre les marais salés et la mer. Un phare est une étoile guide à l’horizon. Une partie de cette liberté infinie qui prend les tripes ici, dans le Nord, comme la brise qu’on peut respirer et goûter. La Frise. Frisonne. Amère comme la Frise. Berceau de la fraîcheur et source du goût auquel la nature elle-même donne l’eau de brassage. Jever Pilsener. Amère comme la Frise.*

Texte tiré d’une affiche publicitaire pour la bière Jever (1978)

La publicité peut parfois induire en erreur. Pendant très longtemps, Jever, marque de bière très connue en Allemagne, a utilisé le phare de Westerhever pour certaines de ses publicités bien que l’entreprise soit implantée en Basse-Saxe, donc en Frise occidentale. D’ailleurs, on ne trouve pas que des affiches publicitaires, comparant le goût amer et sauvage de cette bière blonde à la beauté brute de Westerheversand. Jever a également immortalisé le phare rouge et blanc dans un spot publicitaire en 1995 où il est filmé sous toutes ses coutures.

Pourtant, pour les gens de la côte, il y a Frise et Frise. A Westerhever, nous sommes en pleine Frise du Nord et pas en Frise occidentale ; à savoir sur la péninsule d’Eiderstedt qui existe en tant que telle depuis le XVe siècle.



Le phare de Westerhever date du début du siècle dernier. C’est en 1906 qu’on décida de le construire à un kilomètre de la digue, sur la langue de terre qui délimite le chenal de la rivière du Hever et la baie appelée Tümlauer Bucht. Pour ce faire, on y installa un terp de quatre mètres de haut qui devait le protéger des inondations et on stabilisa son socle en béton grâce à plus d’une centaine de pieux en bois de chêne. Sa structure, légère pour un phare, est faite de plaques en fonte, 608 au total, qui furent boulonnées sur place.

Aujourd’hui, ses feux sont contrôlés à distance du port de Tönning mais jusqu’en 1979, deux gardiens de phare vivaient au pied de ces neuf étages. D’ailleurs, c’est pour cette raison que l’on y trouve deux maisons. Une symétrie parfaite qui donne tout son charme à Westerhever et qui fait son originalité, enfin presque car il a deux frères jumeaux : l’un sur l’île voisine de Pellworm et l’autre, plus loin, à Sylt.



Comme le dit la publicité, il fait office de « guide à l’horizon ». Son feu, à 41 mètres du sol, est visible à 39 km au large des côtes.



Les deux maisons abritent une station pour la protection de la nature. En temps normal, il est possible de visiter le phare après réservation et même de s’y marier. Mais même si vous n’y pénétrez pas, la promenade vaut le détour. Au fait, dans les guides touristiques, cette petite merveille fait partie des « must » de la côte du Schleswig-Holstein, surtout quand on va à Eiderstedt.

* Texte original : Eine Nase im frischen Wind, der von See kommt. Klarer Fingerzeig zwischen Marsch und Meer. Leuchttürme sind Leitsterne am Horizont. Ein Teil dieser unendlichen Freiheit, die hier oben genau so unter die Haut geht wie die Luft, die man atmen und schmecken kann. Friesland. Friesisch. Friesisch-herb. Heimat der Frische und Quell des Geschmacks, dem die Natur selber das Brauwasser reicht. Jever Pilsener. Friesisch-herb.

Westerheversand — l’immensité des bancs de sable

Qui va au phare de Westerhever, devrait aussi faire un tour jusqu’au banc de sable de Westerheversand car il n’y a pas plus zen. Il faut juste descendre de la digue, prendre un grand chemin pavé et aller en direction de la mer au lieu de tourner à gauche vers le phare.

Prenez votre temps et marchez sur ce sable fin jusqu’à l’eau … même si cette coquine de mer semble se carapater vers l’horizon et qu’elle disparaît dans un mirage dès qu’il fait chaud. Si vous retirez vos chaussures, vous constaterez que le sable change de consistance au fur et à mesure de vos pas. Alors que le sable recouvert par la mer quotidiennement est dur comme le béton et que pour finir, il se ridule entre les flaques, celui du « Hochsand » devient presque craquant sous les pieds. C’est à ce moment que vous savez que vous êtes arrivés sur la bande de sable qui n’est presque jamais recouverte par les marées.



Entre temps, vous avez peut-être traversé une ou deux petites rigoles. Au mieux, regardez les heures de marées au préalable et allez en direction de la mer deux heures avant la marée basse. Si vous vous êtes renseignés sur la mer des Wadden, vous savez certainement que la côte peut être dangereuse. Alors, si vous ne voulez pas faire partie des touristes imprudents qui s’enlisent dans la vase et qu’il faut aller chercher avec des raquettes ou même un hélico, vous devriez suivre le chemin. C’est très simple. En arrivant devant la plage, suivez les poteaux. A mi-chemin, vous tomberez sur les restes d’une ancienne île de sauvetage, une terrasse surélevée dont il manque l’estrade.


Ambiance western

Et ne vous leurrez pas, ça dure longtemps avant d’arriver à la mer mais le minimalisme de Westerhever est tellement régénérateur qu’on se prend facilement au jeu de la lenteur. Vraiment, qu’est-ce qu’il a du charme, cet espace horizontal ! Certains y plantent même leur tente pour la journée.



Qui prend le chemin des écoliers au retour et s’éloigne un peu du « chemin » tracé par les poteaux, découvrira un monde cristallin où la végétation prend le pas timidement : une salicorne téméraire ou quelques herbes pionnières qui veulent construire une dune.



Et l’été, lorsque le soleil joue avec les éléments, parfois, on ne sait plus trop si c’est la mer qui revient déjà ou si un mirage a décidé de nous jouer un tour.* De toute beauté ! Un phare paradis quoi !

*Sous ces effets de miroirs, tout disparaît, même les promeneurs, et c’est la bonne occasion pour faire un petit pipi dans le sable si vous ne tenez plus car ici, il n’y a pas de toilettes…



Le Stockenstieg — à travers les prés salés

Jusqu’en 1981, qui voulait se rendre au phare, n’avait pas le choix. Il devait emprunter un chemin reliant la digue et le terp, un chemin qu’on appelle Stockenstieg, le terme frison « Stock » désignant un pont qui passe au-dessus d’un fossé et « Stieg » qui veut dire « chemin » en allemand.


Le Stockenstieg qui a été restauré en 1999 est sous la protection du patrimoine culturel depuis 1992. Malheureusement, à cet endroit, le côté gauche est utilisé à mauvais escient. Par des vélos peut-être ?

Nous voici partis pour un kilomètre de briques en terre cuite posées sur un lit d’argile en 1929 ainsi que trois ponts en bois. 45 petits centimètres pavés, juste assez pour se frayer un chemin entre les prés salés et les chenaux de la mer de Wadden. Ce Klinkerweg est le seul vestige de tout un réseau de sentiers qui permettait de se déplacer dans les terres humides de la côte frisonne.

En effet, toutes ces voies qui ont disparu depuis étaient utilisées par les femmes et les enfants pour aller à l’école et à l’église sans trop se mouiller les pieds tandis que les hommes, les Maschenbuurn, préféraient sauter par dessus les rigoles et fossés pour traverser les prés salés. Armés d’un Klootstock, bâton en bois de trois à quatre mètres de long qui se termine par un Kloot (un pied carré plus large), ils plantaient leur lance au niveau du premier tiers du fossé et prenaient leur élan avant de sauter de l’autre côté. Aujourd’hui, on retrouve ce moyen de locomotion archaïque mais très pratique sous forme ludique lorsque la région de Dithmarschen organise des concours de « Klootstockspringen ».



Question de savoir-vivre et de savoir-faire

Le Stockenstieg part du phare et mène jusqu’à la digue. Il est réservé aux piétons.Cependant, les temps derniers, j’ai vu des personnes qui s’y promenaient en vélo ou qui étaient en train de piétiner les succulentes pour contourner le tourniquet. Dommage car les pictogrammes sont très clairs et interdisent de le faire. Ce je-m’en-foutisme est déplacé car il y a une raison vraiment très logique pour laquelle il y a un sens unique et une interdiction aux vélos. Et pour une fois, ce n’est pas qu’à cause de covid.

Alors que jadis, des Stockrichter étaient commandités pour entretenir ces chemins, aujourd’hui, c’est une association qui s’en charge. Imaginons que deux personnes se rencontrent sur ce chemin. Automatiquement, vu que le sentier ne fait que 45 centimètres de large, il faudra bien que quelqu’un marche sur le côté pour faire de la place. Comme les briques sont juste posées dans l’argile, elles se décollent et les bords sont vite détériorés. C’est encore plus valable pour les vélos qui font sauter les pavés. Cette règle a donc été instaurée afin de préserver ce vieux chemin tourmenté par les marées.

Au fait, le Stockenstieg est ouvert au public de juin à septembre. Le reste de l’année, on le ferme. Mais rassurez-vous, depuis 1981, il y a un autre chemin cimenté qui permet d’y accéder toute l’année.


Du phare, vous voyez le Schafberg, la « montagne aux moutons », qui sert de bouée de secours aux animaux depuis 1941 lorsque l’eau monte trop.

Sankt Peter-Ording — le voisin d’à côté

A quelques kilomètres au sud de Westerhever, vous trouverez LE spot d’Eiderstedt, le nid à touristes mais o combien joli de Sankt Peter-Ording ! Pour en savoir plus sur les cabanes pieds-pas-dans-l’eau de cette plage, vous pouvez lire mon article.



De Westerhever, on les voit déjà bien… à moins que les mirages les transforment en éléphants fantômes.

Et derrière la digue ?

Derrière la digue, il y a un petit village très étendu ainsi que de très belles chaumières dont quelques « Haubarge », fermes typiques de la région qui ont la particularité d’avoir de grands greniers sur pilotis au centre de l’habitation. Cette construction avait l’avantage de sauver les récoltes en cas d’inondations. Regardez la dernière maison (celle du bas) et observez bien la partie centrale du toit en comparaison des murs extérieurs.





Sources et informations utiles



A faire dans le coin