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Aventure frontalière : les gorges d’Edmond et la Porte de Pravčice

Direction : la Tchéquie.

C’est la larme à l’œil et la nostalgie dans l’âme que je vous présente ici les gorges de la Kamenice qui sont considérées comme une des plus grandes merveilles naturelles de la Suisse bohémienne.

Fermées depuis les incendies qui ont sévi dans la région de Hřensko pendant l’été 2022, elles ne sont accessibles au public qu’en partie (jusqu’en novembre 2024) car seules les gorges sauvages sont visitables. Personne ne saurait dire quel impact le feu a eu sur cette nature si étonnante.

Ce qui est sûr, c’est que le canyon lui-même n’a pas échappé aux flammes. Je ne me fais pas trop de souci pour son infrastructure touristique qui peut être restaurée. Par contre, j’espère que son écosystème pourra se réorganiser aussi rapidement que possible. Pour la région qui vit du tourisme et de la beauté de son parc national, la dégradation des forêts et la fragilisation des parois rocheuses ainsi que la fermeture de la célèbre Porte de Pravčice sont une catastrophe. C’est dans cette optique que la République tchèque a rouvert un accès à son arche mythique même si le sentier Gabriela restera encore fermé pendant un moment.


L’idylle des beaux jours trompe. En 2010, lors d’importantes inondations, la Kamenice était montée de quatre mètres et avait transformé les gorges en goulet. L’eau avait cassé les structures touristiques au passage.

En attendant, je vous emmène virtuellement juste à côté de la frontière allemande : dans les gorges d’une superbe petite rivière qui rejoint l’Elbe à Hřensko et sur un des sentiers les plus célèbres de la région qui passe devant l’emblème de la Suisse bohémienne. Avec le charme de ce qui a été tout simplement beau et qui peut le redevenir, espérons-le…


Hřensko

La petite ville de Hřensko se trouve à l’entrée du parc national de la Suisse bohémienne, juste à côté de la Saxe. Comme à Schmilka, son petit voisin allemand, l’activité humaine se concentra d’abord sur les matières premières des environs — le bois, la pierre, l’eau. Ainsi, Hřensko resta longtemps un repaire de bateliers, de bûcherons et de tailleurs de pierre mais aussi de pêcheurs puisque la rivière de la Kamenice qui se jette dans l’Elbe à cet endroit était riche en saumon. Ah oui, j’oubliais presque les contrebandiers qui faisaient passer du tabac, des céréales ou du lin d’un pays vers l’autre.



C’est dans les années 1830 que le tourisme commença à se développer dans la région. D’une part, grâce à l’arrivée des premiers bateaux à vapeur sur l’Elbe. De l’autre, parce que le prince dont dépendait le village de Hřensko à l’époque fit faire des travaux de grande envergure afin de rendre sa contrée plus attrayante. Des sentiers de randonnée furent créés vers la Porte de Pravčice (Pravčická brána) afin que la société mondaine puisse se promener à pied ou en chaise à porteur. Parallèlement, des restaurants et des hôtels s’installèrent dans les environs afin d’accueillir ces braves gens.


Après 38 kilomètres, la rivière de la Kamenice retrouve l’Elbe dans la ville de Hřensko.

C’est après l’ouverture des gorges de la Kamenice à la fin des années 1880 que la petite ville devint véritablement touristique. Il faut s’imaginer qu’en 1920, on comptait déjà 160.000 touristes et 21 barques dans les gorges ! Un chiffre impressionnant car il n’est pas bien différent des statistiques actuelles.**

** En 2021, les gorges de la Kamenice ont accueilli environ 200.000 personnes (100.000 de moins qu’avant les confinements).



Aujourd’hui, le tourisme représente la source principale de revenus des habitants de Hřensko. Même les parkings privés sont loués au prix fort… En haute saison, il faut faire la chasse au parking dès le matin. Donc, à moins de venir en train, comptez sur un petit budget spécial parking.

Cet endroit a une particularité étonnante. Hřensko attire le public grâce au parc national — ça, c’est clair. Mais cette toute petite ville est aussi connue pour ses magasins et ses stands. Et c’est là que ça devient pittoresque car toutes ces baraques sont tenues par une minorité vietnamienne qui, apparemment, est très présente dans les régions frontalières. Leurs produits sont visiblement orientés vers une clientèle allemande. On trouve toutes les pacotilles imaginables : du sac à main en cuir synthétique au t-shirt de foot (avec les noms des grandes stars allemandes) en passant par les nains de jardin « Made in China ». En regardant de plus près, vous remarquerez aussi que les vendeuses se promènent avec leur chapeau chinois sur la tête. Il faut faire typique, semble-t-il. Et les pauvres ont l’air en plus d’écouter de la musique allemande toute la journée… Une ambiance très étrange quand on pense traverser la frontière pour humer l’air de Bohème…


Ici, un mélange étrange vous attend : les maisons historiques et les produits asiatiques à la mode allemande.
Consommer, c’est un peu ce qu’on attend de vous dans cette petite ville qui ne vit pratiquement que du tourisme. En un an, 200.000 visiteurs viennent dans les gorges (2021). Avant covid, il y en avait même 100.000 de plus.

Les gorges de Kamenice

Pendant des siècles et des siècles, les gorges de la Kamenice furent considérées comme la fin du monde. C’est d’ailleurs comme ça qu’on les surnommait. On appréciait leur richesse en poisson et le débit de la rivière (pratique pour y installer des moulins et des scieries ou pour acheminer le bois coupé vers l’Elbe), mais on ne s’y aventurait pas vraiment.



Le premier passage de ce canyon étroit remonte à 1877. Du moins, c’est ce qui se raconte. Dans une taverne, cinq jeunes hommes auraient parié un soir qu’ils arriveraient à traverser les gorges. Pari gagné : ils réussirent à passer trois radeaux du moulin de Dolsko à Hřensko, démontrant qu’une traversée était faisable sans grand problème. A partir de 1881, certains tronçons devinrent accessibles en bateau à voile et en barque. Les gorges commençaient à s’apprivoiser.



A l’époque, le tourisme avançait à grands pas en Saxe. Dans cette région limitrophe aussi. Quelques années plus tard, le prince Edmond de Clary-Aldringen (1813-1894) décida donc d’engager des ingénieurs italiens afin d’aménager une partie des gorges. En 1889, pas moins de 200 ouvriers préparèrent le terrain, créant des ponts, des barrages et des chemins le long de la rivière. Pour construire les tunnels qui passent dans la roche, ils firent éclater la pierre en faisant un bon feu contre la paroi et en y versant de l’eau glaciale (on était en plein hiver).

Un an plus tard, « les gorges d’Edmond » pouvaient être inaugurées. En tout, le monde humain avait gagné 500 m de terrain sur la nature sauvage de la Kamenice. A cette époque, cinq barques promenaient les visiteurs émerveillés dans le décor romantique des « gorges calmes ». Et pour parfaire cette impression d’Éden, on avait même créé une cascade artificielle que le passeur activait à la main.



En ce moment (jusqu’en novembre 2024), seules les gorges sauvages sont ouvertes. Apparemment, il n’est pas encore possible de se promener dans la première partie des gorges qui suit le cours de la rivière (jusqu’en 1945, on y proposait des tours en barque aussi) ni de faire un tour en barque dans les gorges d’Edmond car ces dernières sont fermées cette année.

En temps normal, aucun sentier annexe ne permet de longer les gorges d’Edmond puisque les parois rocheuses escarpées tombent à pic dans l’eau de la Kamenice. En soi, il n’y a que les barques qui passent, le trajet durant 20 minutes à partir du débarcadère.

En ce qui concerne la troisième partie des gorges aménagées en 1898, elles s’appellent « les gorges sauvages » et font 250 mètres de long. Ici, pareil : l’accès se fait uniquement en barque. Pour la visiter cette année, si j’ai bien compris, il faut aller à Mezní mustek (par exemple, il y a un bus qui part de la ville de Hrensko et qui va à Mezná). De là, vous pouvez marcher jusqu’à l’embarcadère.

La Kamenice

La rivière de la Kamenice fait 38 kilomètres et se fraye un chemin dans des gorges entre Mezní Louka et Hřensko avant de se jeter dans le fleuve de l’Elbe. Dans le passé, ce tronçon fut utilisé afin de transporter du bois comme les radeliers le faisaient dans les gorges de la Kirnitzsch pas très loin d’ici. Pour réguler le débit, on avait créé des barrages.
Son courant servit également à alimenter des moulins et des scieries. Au XXe siècle, cette activité très polluante cessa, ce qui fit du bien à la nature. Les saumons qui avaient disparu dans les années 1920, ont pu être réinsérés dans la Kamenice avec succès.

Les gorges d’Edmond

Avant les incendies, le point de départ des gorges se trouvait dans Hřensko même (à moins de les faire dans le sens inverse). Au mieux, consultez le site pour avoir des informations actuelles et prenez une carte avec vous. Je suppose que sur place, les panneaux ont été modifiés en conséquence.


La première partie des gorges était accessible à pied.

Avant les incendies, la promenade à pied commençait sur un sentier ombragé (et gratuit) qui pénétrait dans des gorges assez larges.

Un premier embarcadère se trouvait après 1,5 kilomètres de marche. C’est ici que vous pouvez acheter votre billet (120 CZK ou 5 € par passage). Attention ! Il n’y a pas d’autre passage pour continuer et aux heures de pointe, il y aura peut-être du monde. Même si vous décidez de ne pas faire la promenade en barque, sachez que cet endroit est l’un des plus charmants. La petite cabane en bois en plein milieu de ce décor de verdure, c’est nickel !




Pour vous donner un avant-goût de cette partie des gorges puisqu’elles sont fermées cette année, voici une description de la visite habituelle …

Le passeur qui dirige son bateau plat à l’aide d’une perche vous parlera en tchèque et en allemand. Pas forcément très instructive, sa présentation est plutôt humoristique. Aussi, même si vous ne comprenez pas, ne vous étonnez pas si tout le monde rigole à bord. Par exemple, pour commencer, il proposera de faire un esquimautage. Il parlera aussi des différents rochers à qui on a donné des noms parfois fantaisistes. Parmi eux, il y a entre autres la famille des Roches et le Gardien. J’avoue que même quand on ne sait pas ce que le passeur raconte, le tchèque, c’est joli. En tout cas, c’est l’occasion de se laisser bercer.



Tandis que l’eau fraîche reflète le vert des fougères et l’ombre des parois, les rochers forment un canyon étroit qui se dresse 50 à 90 mètres au-dessus de votre tête. Les escarpements les plus hauts s’élèvent même jusqu’à 150 mètres.

Au programme, vous aurez aussi le droit à la petite cascade artificielle. Pendant ces 20 minutes de trajet, vous rencontrerez des barques qui font la visite dans l’autre sens puisqu’un aller-retour est possible aussi.

Les gorges sauvages

Après les gorges d’Edmond viennent les gorges sauvages. Le passage qui relie ses deux canyons est fait de passerelles et de tunnels ouverts. Une partie de ce chemin qui longe la rivière est fermée en ce moment. Selon la carte officielle, vous aurez 10 minutes de marche en partant du pont pour accéder à l’embarcadère des gorges sauvages. Pour vous y rendre, allez à Mezní mustek et descendez à pied vers le canyon.

Après avoir payé à l’embarcadère (100 CZK ou 4,00 €), vous ferez un tour en barque pour découvrir ces gorges de 250 mètres de long.

Le sentier de Gabriele

Je ne m’étendrai pas pas trop sur le chemin qui mène vers la Porte de Pravčice car mes informations ne sont pas d’actualité. En temps normal, le sentier Gabriela est l’un des plus connus de la Suisse bohémienne mais il est fermé jusqu’à nouvel ordre. Les gestionnaires du Parc national doivent d’abord faire un constat des lieux.

Avant la canicule et les incendies de 2022, il était possible de faire un tour de 15 kilomètres en partant de Hřensko. On rejoignait la Porte de Pravčice en passant par les gorges et le village de Mezní Louka. Pour vous montrer le paysage qui vous attend, je me contente de ces photos qui suivent l’itinéraire indiqué.

La Porte de Narnia

La Porte de Pravčice qu’on appelle en allemand « Prebischtor » est le symbole de la Suisse bohémienne. Cette arche attire un grand nombre de visiteurs depuis le XIXe siècle. A titre d’exemple, elle accueillit 170.000 visiteurs en 2021 (ce qui représente 100.000 de moins qu’avant covid mais quand même).

Lorsque des chemins dont celui qui est pavé de pierres de basalte furent créés dans les années 1820, une des auberges élut domicile près de l’arche. En 1881, elle fut remplacée par l’hôtel « Le nid du faucon » (Sokolí hnízdo) qui, aujourd’hui, fait encore partie du paysage. Un petit téléphérique privé se charge du transport des vivres (et des poubelles).

Jusqu’en 1982, il était possible de marcher sur son arceau. Cependant, les millions de pieds qui y étaient passés, avaient fragilisé la pierre et l’avaient même creusé de 60 à 80 centimètres. C’est pour cette raison qu’on ne peut plus y accéder. Aussi, si vous voyez les héros du Monde de Narnia se promener tout en haut avec leurs castors, il s’agit d’un trucage. Par contre, le décor de neige est très réaliste.


En fin de journée, le site est presque vide mais les portes sont fermées…

Un peu d’histoire

Historiquement parlant, le paysage qui s’offre à vous est un paysage d’érosion. Il y a cent millions d’années, vous auriez eu une mer devant vous : la mer de Téthys. Les massifs que vous voyez, sont ce qui reste du fond de ce paléo-océan. Lorsque l’eau se retira il y a 66 millions d’années, elle fit apparaître tout un ensemble de plaques de grès d’une épaisseur de 1000 mètres. A cette époque-là, le magma jaillissait entre les failles et les fissures ce qui explique la présence de pierres comme le basalte ou certaines montagnes d’origine volcanique comme le Rosenberg. C’est sous l’effet de l’érosion que se créèrent les arches, par exemple celle de Pravčice, les plateaux escarpés que l’on trouve des deux côtés de l’Elbe et les gorges comme celles d’Edmond.

En vous promenant au bord des colosses de pierre qui bordent le sentier Gabriela, vous verrez non seulement des cavités aux aspects les plus divers mais aussi un microcosme surprenant qui profite du sable. Ce sable qui a été pierre mais qui, peu à peu, redevient sable…

In memoriam

Les forêts de la Suisse bohémienne (et c’est valable aussi pour sa sœur jumelle, la Suisse saxonne) ont énormément souffert de la sécheresse des dernières années. Les plus concernées sont les surfaces issues d’exploitations sylvicoles : tous ces pins qui, affaiblis par le climat et grignotés par les scolytes de l’Épicéa, dessèchent sur place.


Du sentier Gabriela, la Suisse bohémienne paraît splendide et presque intacte (2020).

Évidemment, j’ai vu de très belles forêts en Saxe et en Tchéquie. Les hêtres m’ont prêté leur fraîcheur et les pins leurs odeurs. Mais sur des hectares, j’ai marché aussi dans des cimetières d’arbres sans rencontrer d’ombre ni de chants d’oiseaux, j’ai traversé des fournaises, le soleil tapant sans relâche au-dessus de ma tête tandis que les épines sèches craquaient et crépitaient de chaleur par terre. Je suis passée devant des milliers de troncs morts ou dépérissants, des chandelles restées debout comme des zombies et des mikados géants couchés par le vent. J’ai vu des déserts de souches grises où la nature recommençait à pousser çà et là, timidement. Et je me suis posé des questions. Sur l’avenir de ces paysages, sur la flore et la faune, sur notre contribution à cet état.


D’autres points de vue sont plus morbides (2020).

Ce que vous verrez en y allant un jour ne ressemblera pas à ce que j’ai vu. Du moins là où l’incendie s’est propagé. Les plus optimistes partent d’un renouveau bénéfique de la forêt puisque certaines zones de la Suisse bohémienne — comme la Suisse saxonne d’ailleurs — avaient été victimes de monoculture. Pour les sceptiques par contre, il est difficile de savoir dans quelle direction la nature va évoluer mais la forêt mettra certainement au moins 60 ans avant de se recomposer — vers une forêt plus diversifiée de chênes et de pins ?


Le sol du Massif de l’Elbe étant sablonneux, il est de nature pauvre et sèche. Les bouleaux, les pins et les bruyères sont en général les plantes qui privilégient les hauteurs rocheuses. Les vallées, elles, sont plus humides. A l’origine, cette région était riche en sapins et en hêtres.

En tout cas, les incendies de 2022 ont relancé les débats récurrents sur le type de sylviculture à aborder dans les parcs nationaux. Personnellement, il me semble aussi urgent de lancer des campagnes plus efficaces afin de sensibiliser la population européenne aux bons réflexes car l’évolution post-covid du tourisme représente un danger de plus s’il n’est pas assez pris en considération. Alors, s’il vous plaît, pensez aux bons réflexes et soyez vigilants.


Le parc national de la Suisse bohémienne

Ce parc national a été créé en 2000 à l’instar du parc de la Suisse saxonne. Une des priorités concerne la protection de sa flore. Sur les sols pauvres des rochers, seules certaines plantes peuvent pousser. Sur les plateaux, on trouvera donc surtout des pins, des bouleaux et de la bruyère. Les vallées, par contre, sont plus humides ce qui vaut évidemment particulièrement pour les gorges où poussent des fougères, des mousses et toute une variété de lichens. Qui plus est, l’air frais qui prédomine dans ce canyon permet à certaines plantes de montagne de pousser dans une zone de faible altitude, par exemple la pensée à deux fleurs et la trientale d’Europe.

Parmi la faune de la Suisse saxonne et bohémienne, on compte la cigogne noire, plusieurs espèces de pics et le faucon pèlerin qui se reproduit bien dans ce paysage de pierre depuis les années 2000 bien que l’on observe des problèmes dûs au tourisme croissant depuis le déconfinement. Dans les gorges, vous verrez aussi des merles d’eau plonger dans la rivière (très amusant à observer), des martins-pêcheurs et même des loutres et des lamproies.

Quelques bons plans en Saxe

Sur la rive gauche:

Sur la rive droite:

Vers Dresde: