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En route vers le paradis de l’escalade — Le Bielatal

Depuis le petit matin, les touristes piétinent sur le pont de la Bastei pour admirer un des « Top Five » officiels de la Suisse saxonne. Top Five rien qu’en matière de chiffres car pas moins d’un million et demi de visiteurs y viennent par an et ils ont raison parce que c’est splendide, mais au mois de juillet, ces processions peuvent faire reculer ! Pour ceux qui veulent échapper à ce bain de foule, j’ai un programme en contrepoint quelques dizaines de kilomètres plus loin. Le vallon de la Biela, un labyrinthe de pierres grises et de petites grottes en pleine nature, n’attire pas autant de monde et surtout pas le même public. L’atmosphère qui se crée ici entre les randonneurs et les escaladeurs est zen, intimiste, presque familiale. Pour moi, le Bielatal et son décor de rêve font assurément partie du Top Five.


La Biela

C’est une petite rivière qui a donné son nom au vallon appelé le Bielatal. Dans la commune de Rosenthal-Bielatal, elle est plutôt cachée entre les herbes et sincèrement, vous ne lui porterez pas attention à moins de vous garer à côté ou de la traverser en cours de route. Son eau vient de la Tchéquie où la Biela prend sa source — juste à la frontière — et elle se jette dans l’Elbe 18 kilomètres plus loin. En cours de route, elle a un dénivelé de 405 mètres. C’est elle qui a créé le vallon de la Biela il y a 90 millions d’années mais aujourd’hui, bien plus modeste, son paysage oscille plutôt tranquillement entre 340 et 486 mètres d’altitude.

Des restes de plateaux crevassés s’étalent des deux côtés, entourés d’une profusion d’arbres. Qui vient s’y promener, se retrouve donc, selon l’altitude, sur des promontoires aux vues panoramiques ou dans un labyrinthe de pointes en grès. Entre deux, il rencontre des chaos de pierres et des grottes dont certaines sont accessibles sans problème.



Les sites panoramiques

Commençons par les hauteurs où nous montons rapidement après notre arrivée. Direction : les bois et les promontoires… Des vues et des sentiers comme on les rencontre souvent dans la région.

Le long du sentier qui forme un circuit à travers la vallée, une série de plateformes aux noms inventifs se succède. Chacune offre une vue différente sur les environs.


Voici le Berthablick.
Et voilà la Kleine Bastei.
Ces pierres attirent les courageux et les sportifs — mais il vaudrait mieux les réserver à la faune…
Ce passage est sympa aussi et officiel.

Entre les pins et les feuillus clairs qui dominent la végétation, il y a aussi de beaux promontoires aménagés plus ou moins dégagés. J’ai surtout aimé la Johanniswacht et le Bielablick sur lequel se dresse une petite tour carrée depuis 1880.

Le vrai nom du Bielablick, littéralement le « Panorama de la Biela », c’est la Kaiser-Wilhelm-Feste . Son petit pavillon à créneaux (lequel est issu paraît-il d’un pari) a été rénové dans les années 1990.

Grâce à son plateau étendu, le Bielablick invite à s’installer sur une pierre pendant un petit moment pour profiter du calme et du panorama car d’en haut, les parois saillantes de la Johanniswacht sont bien visibles. Elles dépassent de la cime des arbres.



Ici, il y a une vue particulièrement belle. Un peu plus loin, c’est le labyrinthe qui commence :



En effet, entre deux points de vue, le chemin redescend, traverse des labyrinthes de colonnes et longe des blocs aux formes austères et tourmentées. Il permet aussi, après quelques kilomètres, de traverser la rivière pour continuer de l’autre côté, là où se trouvent d’autres sites d’escalade, de nouvelles plateformes naturelles et quelques grottes de plus.

Voici quatre derniers clichés de cette partie — sur les plateaux, c’est ce genre de chemins que vous emprunterez.

« Berg Heil! » – Les points d’escalade

Assez parlé de promenade. Entrons maintenant dans la partie « escalade ».

Dans cette région de la Suisse saxonne, les roches sédimentaires sont moins friables que sur la rive droite de l’Elbe. Leur teinte est moins jaune aussi. Les blocs de pierres du Bielatal sont donc plus anguleux, plus carrés, plus « minecraft ».

Parmi toutes ces centaines de formations géologiques, on trouve les deux fameuses colonnes d’Hercule — la grande et la petite — qui encadrent le sentier de promenade. C’est un certain Carl Merkel, auteur d’un guide touristique sur la Suisse saxonne qui leur donna ces noms d’inspiration antique au XIXe siècle (aucune idée s’il est apparenté à l’ex-chancelière).



En levant votre tête dans ce passage exigu, vous verrez peut-être un ou deux grimpeurs qui se sont attaqués à un « Hercule ». Défi du corps humain, le challenge que propose la roche bizarrement tordue et trouée par le temps se passe en général dans le silence de la concentration, même lorsqu’il y a des enfants. Les chaussons souples cherchent l’appui d’une faille ; les doigts crochus un trou, même minuscule ; les biceps se contractent et se décontractent au rythme de l’ascension. À peine entend-on de temps en temps une remarque ou une discussion.

Selon les blocs, la difficulté des voies varie. Au Grand Hercule (große Herkulessäule) par exemple, une des voies est cotée au niveau VIIIc, à la Pierre d’Hercule (Herkulesstein), à la Tête d’Hercule (Herkuleskopf) et au Mur d’Hercule (Herkuleswand) qui sont juste à côté, certaines vont même jusqu’au niveau IXb. Ces chiffres romains représentent une échelle de cotation allemande particulière à la Saxe, les niveaux VIIIc et IXb correspondent aux degrés de difficulté 6b+ et 7a en France. Sachez qu’en Saxe, XIc est le degré le plus élevé.



Les deux Herkulessäulen qui se trouvent sur un socle naturel sont connues pour leurs silhouettes filigranes de vingt mètres et font partie des murs d’escalade les plus réputés de la vallée. Leur forme élancée est d’ailleurs bien plus spectaculaire que celle de la Barbarine qu’on trouve au Pfaffenstein (sur laquelle on ne peut plus grimper depuis 1975). Surtout, elle leur confère une impression de fragilité trompeuse, mais qui leur permet de faire partie des emblèmes de la région.

Dans ce dédale de pierres qu’on appelle la Felsengasse (la Ruelle de Pierres), on rencontre quelques randonneurs mais aussi des amis ou des familles qui ont décidé de passer leur dimanche à l’ombre des colonnes. C’est comme si chaque groupe avait son spot et que tout le monde s’était mis d’accord au préalable.


Certains font une petite pause ensemble en haut.

Des sacs à dos attendent par terre, les cordes et les casques sont sortis. Parfois, une maman est en haut et aide sa fille à grimper pendant qu’un petit garçon crapahute entre les racines avec son grand frère et que papa assure les arrières. Parfois, ce sont des amis qui se sont installés au pied d’une colonne, le pique-nique attend sur la couverture. Ils ont même fixé leurs hamacs entre les arbres pour faire une petite sieste entre deux séries d’escalade. Parfois, quelqu’un apprend aussi à quelqu’un d’autre à grimper — tous âges confondus. Peut-être un cours particulier.



Bon à savoir

Le grès dur et noir aux stries horizontales que l’on trouve dans le Bielatal est un produit du Turonien. Typique de la partie occidentale du Massif gréseux de l’Elbe, il provient de la couche la plus ancienne d’un plateau qui s’étendait ici il y a 90 millions d’années. Il s’agit en fait du sol de la Téthys, un paléo-océan. On appelle cette pierre « Labiatussandstein ».

C’est cette pierre qui attire les grimpeurs car dans ce chaos, on compte en tout 239 sommets d’escalade sur un parcours de six kilomètres. Les deux colonnes d’Hercule sont les plus célèbres mais il y en a d’autres appréciés pour leur degré d’exigence. Il y a le Schiefer Turm par exemple ou le Spannagelturm, le Großvaterstuhl, les Grenztürme et les Wiesensteine.

Qui veut faire de l’escalade dans ce massif, devrait se renseigner auparavant car la Saxe a ses règles propres. A titre d’exemple, il est strictement interdit d’utiliser du matériel d’assurage en métal. En remplacement, on mise sur des sangles nouées ou des cordes combinées avec des broches de relais afin de ne pas détériorer le grès. Les grimpeurs n’utilisent pas de magnésie non plus et s’essuient les mains sur leurs vêtements.
En arrivant en haut, on serre la main de ses prédécesseurs et on dit : « Berg heil! » ou « Berg frei! ». En tout cas, c’est ce que prescrit le grand Manuel du grimpeur qui date des années 1960.
Avant toute escalade au printemps ou en été, renseignez-vous sur les parois fermées par les autorités pour cause de reproduction animale. En général, il s’agit de préserver les nids des faucons pèlerins, des grands-ducs ou des cigognes noires qui sont rares et protégés. Vous trouverez des informations actuelles ici.

Les grottes

Au passage, n’oublions pas les grottes. En effet, le site est également connu pour ses grottes dont certaines font jusqu’à 40 mètres de profondeur. Comme au Pfaffenstein, elles ont été utilisées comme cachettes par la population dans le passé. Cependant, ne vous imaginez pas un Aven Armand avec ses stalactites, ses spaghetti et ses draperies. Ici, les cavités sont plutôt petites et sèches en comparaison.


De l’autre côté, entre les Wiesensteine et la Johanneswacht, les escaliers montent et descendent entre les pierres.

Si vous voulez voir une de ces grottes, traversez la rivière et allez vers la Bennohöhle qui est facile d’accès depuis qu’elle a été aménagée pour un public aristocratique en 1824. Ces dames et messieurs venaient en cure dans la région. Aussi, une telle activité paraissait hautement romantique. C’est d’ailleurs à nouveau Carl Merkel (le même que tout à l’heure) qui fut le premier à la mentionner dans son guide touristique. A l’époque, il faisait de la publicité pour une soi-disant ancienne inscription qui s’avéra être un fake plus tard.

Depuis, la « Grotte de Benno » est ouverte au public. Elle fait 35 mètres de long et descend 14 mètres plus bas. Rien de très spectaculaire là dedans si ce n’est que la fraîcheur peut faire un peu de bien et que les enfants seront ravis de sortir leur lampe de poche.

Le retour se fait à travers les Wiesensteine qui sont impressionnantes elles aussi. Ensuite viennent le dédale de pierres en blocs de la Johanneswacht et le Forststeig, ce qui permet de changer de perspective :

En conclusion

J’avoue que malgré une bonne carte et une description qui me semblait pertinente, je n’ai pas tout trouvé car pour les novices, les blocs de pierre se ressemblent un peu quand même. Cependant, l’endroit reste génial à explorer.


Le nombre de panneaux est assez impressionnant aussi… Au fait, la Saxe a gardé son ancienne tradition : vous trouverez souvent des durées de marche et pas des distances.

Qui veut faire une belle randonnée dans la nature, entouré de colonnes spectaculaires (une véritable enfilade !), et vivre de très beaux panoramas sans rencontrer trop de monde, ne sera pas déçu au Bielatal. L’avantage par rapport à d’autres endroits en Saxe : la quantité de spots d’escalade au mètre carré et le côté zen de l’interaction entre l’Homme et la pierre ! Même si vous ne pratiquez pas ce sport, vous aimerez la sérénité du site et le spectacle inhabituel. C’est sûr et certain. Mais bon, je suis subjective. C’est MON Top Five après tout.

Infos pratiques

La commune en question s’appelle Rosenthal-Bielatal.

Apparemment, il y a plusieurs parkings au bord de la route mais perso, nous avons commencé cette belle randonnée plus tôt, à la hauteur de la « Pension Zur Schweizermühle ». Après avoir garé la voiture, nous avons traversé la route pour monter directement dans la forêt en direction du point de vue nommé le Berthablick. Juste à côté, nous avons pu voir le « Visage de l’Apache » (Apachengesicht).

En suivant le sentier près du bord, on tombe automatiquement sur la « Kleine Bastei » et plus loin, après avoir marché un peu dans la forêt, on arrive sur un autre promontoire appelé le « Wetterfahnenfels ». Cette partie permet de se familiariser avec le lieu sans trop de dédales.

Par contre, afin de poursuivre vers la « Ruelle de Pierres » (Felsengasse) et les Colonnes d’Hercule (Herkulessäulen), il faudra traverser la rue et continuer la randonnée en forêt. C’est ici que vous risquez de vous perdre un peu ou de ne pas distinguer les différentes formations mais ce n’est pas dramatique vu la densité de chemins.

La traversée de la rivière quant à elle se fait dans le hameau, près de la Ottomühle. En arrivant aux premières maisons qui se regroupent autour de l’eau (vous irez jusqu’au bout du Oberer Mühlsteig), il faut marcher un peu sur la route. C’est alors que vous verrez un pont qui passe au-dessus de la rivière. Le chemin remonte alors sur l’autre versant, vers une autre forêt. C’est là que vous trouverez la « Bennohöhle » et — plus loin — les Wiesensteine que j’ai trouvées spectaculaires ainsi que la majestueuse Johanniswacht.

A vous de voir — pour finir, nous avons suivi le Förstersteig pendant un moment mais comme le temps très chaud et très lourd tournait à l’orage, nous sommes finalement redescendus vers la route principale pour rentrer plus rapidement.

Pour une randonnée un peu plus facile à suivre, je vous conseille ce topo qui écourte mon parcours. Attention ! Il n’intègre pas la visite de la grotte.

D’autres bons plans en Saxe et en Tchéquie

Sur la rive gauche:

Sur la rive droite:

Vers Dresde:

En République tchèque: