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Les alpages du Westensee

Westensee, 19 kilomètres de Kiel à vol d’oiseau — quelques battements d’ailes pour l’aigle qui vit ici et 22 minutes de voiture pour l’être humain.



A peine ai-je commencé l’ascension du Tüteberg que je pense à une petite fille. Je la connais depuis mon enfance, du temps des gros postes de télévision. Je l’imagine dans sa petite robe rouge, avec ses grands yeux bruns et ses joues roses. Comme un cabri, elle court dans les alpages, les pieds nus et les cheveux au vent avant de s’arrêter en haut d’un rocher, le regard porté vers les grands massifs enneigés. Je repense à la cabane de son grand-père. Je revois le puits et son eau froide, la hache et le tas de bois. J’entends le tintement clair des clochettes, le bêlement des chèvres et le bruit du lait qui rencontre le fond du seau. Ma Heidi à moi est kawaii. Elle vient des années 70 et du Japon. Elle a les cheveux foncés, une petite coupe au carré, pas de nattes tressées ni de robe serrée. Elle sent bon la liberté des pâturages.

Soudain, je la vois se retourner et me demander d’un regard à la fois candide et amusé : « C’est tout ? Elle ne va pas plus haut que ça, ta montagne ? » Et là, je me rends compte que je risque de la décevoir. Les alpages du Westensee ne sont pas grands, ils ne sont pas hauts. La montagne vers laquelle nous allons est le point culminant de la région mais elle ne fait que 88,3 mètres et il faut s’y faire : Le nord de l’Allemagne n’a pas de montagnes. Tout au plus il a des « monts » qui offrent du reste de très beaux panoramas. Aussi, je rassure ma petite fée : « Tu as raison, Heidi ! Elle ne monte pas bien plus haut mais ne t’en fais pas. Tu auras des choses à découvrir en chemin quand même. Le sommet par exemple, tu ne le vois pas encore car il est caché derrière les arbres. Attends un peu et tu les auras, tes vaches et tes herbes douces. Je te promets que tu pourras faire tes galipettes d’ici un quart d’heure et rêver, allongée entre les boutons d’or. »

Le soleil est déjà bien descendu dans le ciel, ses rayons enveloppent les jeunes épis d’une lumière diffuse. Je suis en plein milieu des champs. Derrière, il y a le village de Westensee et tout en bas, le lac — niveau zéro. Nous marchons, main dans la main, dans un monde sans coronavirus. Seules. Libres. Vers les hauteurs du Westensee.


Au retour, le soleil couchant enveloppe les épis de couleurs cuivrées.

Entre Dieu et Diable — le Tüteberg

Avant de commencer à parler de cette jolie balade, il faut que je précise une chose. On utilise le mot « Westensee » pour trois espaces. Il y a le parc naturel du Westensee qui s’étend entre Kiel, Rendsburg et Neumünster (250 km²), il y a le lac du Westensee (7 km²) et il y a la jolie petite commune de Westensee qui se trouve juste au bord du lac en question, sur sa rive ouest (c’est elle qui a donné son nom au lac et à la région). Ses maisons et sa vieille église vouée à Catherine d’Alexandrie se regroupent au pied du Tüteberg lequel n’est pas un massif à proprement parler mais plutôt une belle colline morainique de sable. Un témoin de l’ère glaciaire qui veille sur son parc.



Dans une région pleine de creux et de bosses, il est normal que ce genre de monticule fasse impression. Aujourd’hui, les gens du coin y viennent profiter de la belle vue presque panoramique.

Été comme hiver, on peut y admirer les lacs de Westensee et de Bossee ainsi que leurs forêts. On voit également une bonne partie du parc naturel et même les grandes constructions de Kiel.



Aller au Tüteberg, c’est aussi l’occasion de se ressourcer un peu dans les hauteurs, dans un endroit qui ne regorge pas de touristes. Dans ce décor très zen tout vert et tout bosselé, les vaches paissent en liberté avec leurs veaux qui font des cabrioles. Le sol est parsemé de boutons d’or et de petites herbes poilues.



Tout en haut de la butte, on peut s’asseoir sur un banc pour méditer un peu ou réfléchir à « Gott und die Welt » comme on dit en allemand, donc à Dieu et au monde.

Tiens, comme on parle de Dieu, un petit détail : il y a même une grande croix en bois depuis quelque temps. Qui l’a installée là et pourquoi ? Aucune idée. Elle est faite de restes de palettes et ne semble pas avoir été fabriquée pour l’éternité.

En tout cas, ça donne un petit cachet alpin, sauf qu’on est loin d’être au bout du monde … et de manquer l’oxygène.

Il paraît que des moines ont tenté de construire une église ici il y a longtemps mais qu’ils ont échoué à cause du diable. Pareils à Sisyphe, tous les jours, les hommes se démenaient (comme des diables justement) pour monter des gros blocs de pierre qu’ils étaient allés chercher à Flemhude et à Emkendorf.



Ils voulaient bâtir leur édifice à la gloire de Dieu le plus haut possible et comme le « Teuteberg » avait été lieu de culte païen auparavant, c’était l’occasion de remplacer les anciennes croyances. Cependant, tous les matins, comme par mystère, ils retrouvaient leurs pierres en bas de la montagne car le diable s’était amusé à les faire dégringoler pendant la nuit. Finalement, l’église fut construite près du lac en 1253 et elle s’y trouve encore.



Tout en haut*, en plein milieu du pré, vous trouverez aussi un jeune érable qui remplace un vieux chêne qui poussait là depuis des siècles. Je n’ai jamais vu cet ancêtre mais il paraît qu’il était tout tordu. La légende dit que c’est un garde-champêtre qui lui donna sa forme voûtée. D’après la petite histoire, l’agent de police était sur le point d’arrêter un voleur de bois lorsque celui-ci se transforma en arbre pour échapper à la prison. Il semblerait qu’il l’ait souhaité très fort. Aussitôt, le garde-champêtre pris d’une colère incroyable aurait attrapé l’arbre et l’aurait plié de toutes ses forces. Pour des siècles et des siècles.

Entre les herbes, on trouve également des lignes concentriques qui proviennent d’un projet ésotérique. L’auteur de cet œuvre part du principe que le Tüteberg a un pouvoir énergisant.

* En fait, il est impossible d’aller au sommet car la montagne du Tüteberg est privée et la partie la plus haute n’est pas accessible. De toute façon, elle semble se trouver dans une forêt. Donc, c’est du haut du pré que vous aurez la meilleure vue.



Comment accéder au Tüteberg?

L’ascension se fait assez rapidement (environ 15 minutes selon votre rythme) donc pas besoin d’emmener trop de choses à moins de faire un pique-nique là-haut ou de vouloir faire un tour un peu plus long. On peut commencer cette balade en partant du lac de Westensee qui a une belle plage ou en commençant devant l’église gothique qui vaut le coup d’œil.

Prenez la route appelée « Am See » qui est joliment pavée (la rue est sur votre gauche, juste à la hauteur de l’église). Vous passez devant de très belles maisons en briques. Au bout de quelques mètres, vous verrez un petit escalier sur votre droite qui monte entre deux maisons et qui mène vers les hauteurs. Un panneau indique que vous êtes en direction du Tüteberg. Attention ! Lui aussi est tout petit.

Le sentier étroit grimpe bien. Il longe des jardins et débouche rapidement sur un large champ. Même si ça vous paraît bizarre, traversez cette étendue champêtre en prenant un petit chemin de verdure qui monte vers un bois. Vous le trouverez en prenant le Hochzeitsweg, le « chemin du mariage », vers la gauche. Quelques mètres plus tard, un chemin s’ouvre entre les blés (ou les champs nus selon la saison). Il se voit à peine et pourtant, c’est lui !



Ensuite, il n’y a pas grand secret, il faut aller tout droit vers les hauteurs. A partir du mois de mai, les roses embaument le passage. Le sentier s’est rétréci à nouveau. Vous êtes en pleine nature.


Après avoir traversé et longé un petit bois, être monté pour redescendre et remonter à nouveau, vous tomberez enfin sur une porte en bois. Refermez-la derrière vous car les vaches qui paissent dans les alpages du Tüteberg sont en liberté.



Là, libre à vous de penser à Heidi et aux Alpes, de comparer la « Suisse de l’Eider » et celle des Alpes ou tout simplement d’admirer le paysage tel qu’il est — le parc du Westensee avec son lac tout en bas; de sortir vos jumelles pour vous repérer; d’écouter les coucous ou les carillons des environs ou de vous ouvrir une petite bouteille bien fraîche en attendant le coucher du soleil et en profitant de l’instant. Ce ne sont pas les Alpes mais c’est beau quand même. Heidi ne dirait pas le contraire.



Et après ça ?

Evidemment, vous pouvez profiter de la plage ou faire une balade plus longue. En guise d’inspiration, lisez mes articles sur d’autres randonnées à faire dans le parc naturel du Westensee :

Au fait, vous n’êtes pas obligés de retourner sur vos pas. Il y a un petit circuit. Au fond du pré, vous verrez une seconde barrière qui vous permettra de poursuivre votre route. Vous pouvez alors faire un petit tour (3,6 km) ou une balade plus longue (7 km) qui vous fera découvrir la campagne.

Et en hiver ?

En hiver aussi, le Tüteberg a un charme particulier.

Dans le brouillard du mois de mars, des biches parcourent les champs dénudés et les dénivelés sont plus marqués.



Et lorsque la neige est au rendez-vous, c’est tout simplement féérique. Alors, c’est le moment de gravir le Tüteberg avec sa luge pour en dévaler ses pentes enneigées (voir l’article « Quand la neige arrive dans le Nord »).