Nous voici partis pour un nouveau tour de bateau sur le Grand lac de Plön et pour une nouvelle escale.
Cette fois-ci, je vous propose de vous rendre sur une presqu’île qu’on appelle Prinzeninsel, donc « l’Île des Princes ». Arrivés là, faisons une promenade à pied et découvrons les endroits chers à la famille impériale — aux princes surtout. Evidemment, de l’esplanade du château de Plön, nous ne manquerons pas d’admirer le plus grand lac du nord de l’Allemagne.
Zénitude garantie !
Le Tour du Grand lac de Plön
Peu à peu, l’été touche à sa fin et le soleil se partage le ciel avec des nuages sans contours. Ils se livrent une joute insidieuse mais pour l’instant, il fait encore beau dans la Suisse du Holstein. Alors, pourquoi ne pas aller sur ce lac qui est situé au nord-est de Hambourg et à une trentaine de kilomètres de la mer Baltique ?
Notre petite croisière commence au nord-est du lac, à l’embarcadère de Fegetasche. Nous sommes assis sur le pont supérieur, en direction de Plön, devant une tasse de café. Les fanions vibrent au-dessus de nos têtes — un petit friselis bleu, blanc, rouge — et les paysages bucoliques de la Suisse du Holstein déroulent leur tapis vert au fil de notre route.
De près comme de loin, les rives sont boisées. Le lac lui-même est parsemé de verdure : çà et là, des îlots sortent leurs têtes de l’eau.
Au loin, quelques villages se cachent dans un fouillis d’arbres et de joncs. On ne voit souvent que quelques toits. Tout au sud, par exemple, il y a les hameaux de Sepel et de Godau qui se trouvent sur la presqu’île de Störland. L’idylle pure des bocages. La plus belle aire de pique-nique de la région.
Au sud-est, il y a le village de Bosau que l’on peut rejoindre par bateau quand on fait le « Tour de Bosau« . Dans un article précédent, j’ai déjà parlé du passé slave de cet endroit ainsi que de son église, Saint-Pierre de Bosau, une escale appréciée des touristes depuis longtemps.
Enfin, au nord, dans la ville de Plön, un grand château baroque trône sur une butte. Il s’agit en quelque sorte de la figure de proue du lac. Avec sa façade blanche, il rayonne sur des kilomètres.
En s’approchant du centre-ville, le bateau passe aussi devant quelques bâtiments historiques de Plön — devant l’ancien château d’eau (1913), une location de vacances aujourd’hui, devant l’église Saint-Nicolas (1691) que l’on reconstruisit dans le style néoromantique à la fin du XIXe siècle ainsi que l’ancienne station hydrobiologique (1891) qui fut longtemps le siège d’une institution scientifique renommée avant d’abriter un restaurant et le bureau d’un club nautique.
Aux premières loges, près de l’embarcadère, on distingue un petit port de plaisance, un restaurant et une gare. Au passage, regardez l’avant-toit du quai de gare.
Cette construction en bois date du temps où les fils de Guillaume II, dernier empereur allemand, habitaient à Plön.
A l’origine, elle se trouvait dans la ville thermale de Malente mais à la fin du XIXe siècle, on l’installa près du château de Plön afin de créer une station ferroviaire pour la famille impériale. Plus tard, en 1924, cet abri changea à nouveau de place. Depuis, il fait partie de la gare de Plön et accueille les passagers avec son charme d’antan.
L’îlot d’Olsborg
A une centaine de mètres de la rive, nous longeons Olsborg. C’est sur cette île que l’histoire de Plön commença. Il y a plus de mille ans, les Wagriens, un peuple slave, y créèrent un « castrum » du nom de Plune. D’après les archéologues, le village était accessible grâce à un large pont qui a disparu depuis — tout comme les habitations obodrites dont il ne reste plus grande trace.
Olsborg fut détruit en 1139 pendant la guerre qui opposa les Slaves et les Saxons. Lorsqu’on reconstruisit le fort en 1173, on privilégia l’endroit où se trouve le château actuel. Quant à l’île, elle disparut des cartes pendant des siècles car au Moyen-Âge, on décida d’élever le niveau du lac de deux mètres. Cette mesure devait faciliter le travail des moulins. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’Olsborg refit surface lorsqu’on rabaissa le niveau de l’eau artificiellement.
Près de la gare, quelques touristes sont montés à bord. Changement de cap : le bateau se dirige vers le sud. Un îlot fantomal peuplé d’arbres blanchâtres défile lentement devant nous. Dans les branches, une colonie de cormorans croasse vivement en battant des ailes.
Sur la berge, en-dessous du château, de belles maisons historiques sont perchées entre les arbres. Un étage plus bas, des pontons privés et un club nautique bordent la rive.
La prochaine escale sera la nôtre. Il s’agit de « l’Île des Princes » — die Prinzeninsel. Parmi les choses à faire dans la région, il s’agit d’un grand classique. Cette île, je l’ai d’ailleurs déjà présentée lorsqu’elle s’est transformée en Palais des Glaces.
L’Île des Princes
A vrai dire, cette île n’en est plus une. Elle a été rattachée aux rives du lac lorsque le niveau de l’eau redescendit en 1882. Depuis, il s’agit d’une presqu’île qui fait deux kilomètres de long et trente mètres de large.
Sur la carte, vous la trouverez près de la ville de Plön, dans la partie nord du lac. Elle sépare le Grand lac de Plön en deux, laissant un passage étroit entre ses berges et les nombreux îlots qui s’amassent devant sa pointe. Ici, on appelle ces îles des Warder.
Je ne sais pas comment s’appelait cette « île » avant qu’on la dédie aux fils de l’empereur. Pendant des siècles, certaines parties de la presqu’île actuelle, surtout celles situées au nord, servirent de potager, d’annexe de jardin ou même de réserve de chasse au château.
C’est entre 1896 et 1910 qu’elle accueille les six jeunes fils de Guillaume II, empereur d’Allemagne et Roi de Prusse. La famille est riche en garçons et tous sont voués à une formation militaire. Pour ce faire, leur père a choisi l’école de cadets de Plön qui existe depuis 1868.
Ainsi, à tour de rôle et parfois en même temps, Wilhelm, Eitel Friedrich, Adalbert, August Wilhelm, Oskar et Joachim vont vivre sur cette presqu’île. Il y a un internat, cependant, comme les princes ne doivent pas être logés à la même enseigne que leurs camarades, Guillaume II s’assure le droit d’utiliser cette île. Aujourd’hui encore, elle appartient à la famille des Hohenzollern, le propriétaire actuel s’appelant George-Frédéric prince de Prusse.
A l’époque, le choix de cette école militaire est stratégique car le Schleswig-Holstein est une nouvelle annexe de la Prusse. En envoyant ses enfants à Plön, l’empereur compte donc consolider les liens avec cette région. Qui plus est, l’impératrice vient d’ici.
Le pavillon de Dona
De l’embarcadère, on aperçoit deux bâtiments historiques entre les arbustes. L’existence d’un petit pavillon sur la pointe sud de l’île, juste au bord de l’eau, date de l’époque où l’impératrice venait rendre visite à ses enfants à Plön.
On raconte que cette pointe isolée était son endroit préféré et il faut bien avouer qu’elle avait raison. Quelle vue ! Quel charme !
Ce n’est certainement pas l’impératrice d’Allemagne qui décida d’envoyer ses enfants si loin de la capitale. Lorsque son époux devint empereur en 1888, Auguste Viktoria Friederike Luise Feodora Jenny von Schleswig-Holstein-Sonderburg-Augustenburg ou Dona pour faire plus court se vit confrontée à un nouveau rôle. Sa vie au palais de Berlin était synonyme de luxe. Par contre, elle fut contrainte de voir partir ses six fils l’un après l’autre.
C’est certainement pour cette raison qu’elle se rendit si souvent à Plön entre 1896 et 1910. Une voie de chemin de fer qui n’existe plus aujourd’hui fut même construite à ces fins.
La ferme princière
Un second bâtiment, bien plus imposant que le pavillon, se trouve au milieu d’un pré. Il s’agit d’une ancienne ferme du XVIIIe siècle appelée Niedersächsisches Bauernhaus. Le cadre est champêtre.
De nos jours, la chaumière est un restaurant très apprécié et cela ne date pas d’hier puisque la ferme a une licence de restauration depuis 1881. C’est alors que les touristes du dimanche commencèrent à découvrir le charme de cette presqu’île. Cependant (et c’est encore le cas aujourd’hui), son passé est agricole. Ainsi, c’est dans cette ferme que les princes apprirent les bases de l’agriculture selon un dicton qui date de 1910 :
Nihil melior nihil homini libero dignius agricultura
« Rien n’est meilleur, rien n’est plus digne de l’Homme libre que l’agriculture. »
La Plage des Princes
En longeant la côte, vous serez souvent dans des bois humides et parfois même marécageux, à quelques centimètres du clapotis des vagues qui laminent et dénudent les racines d’arbres.
Admirez la vue, les îlots touffus et les rives qui se dessinent au loin.
Sur la rive ouest, une plage de sable blanc (surveillée l’été) rappelle les jours où les jeunes Princes apprirent à nager. On l’appelle Prinzenbad, donc la « Plage des Princes ».
Le verger et le cimetière des cadets
Avant de quitter la presqu’île, vous tomberez sur un verger historique et sur un ancien cimetière militaire.
Le verger est entouré d’un mur en pierres et ses berges donnent sur le château de Plön. Au XVIIe siècle, on y trouvait un potager. Plus tard, en 1692, le duc Johann Adolph y fit planter des arbres pour en faire une réserve de chasse boisée. A l’époque, il paraît qu’il y avait même des orangers.
Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on y planta également des arbres fruitiers. N’hésitez pas à entrer et admirez les vieux pommiers du Alter Apfelgarten. Par contre, ne cueillez rien car chaque arbre a son parrain ou sa marraine. Seules ces personnes ont droit d’usage.
Quant au petit cimetière appelé le Kadettenfriedhof, vous pouvez le traverser afin de poursuivre votre route. En jetant un coup d’œil sur les dates, vous verrez que ce cimetière carré est réservé aux cadets de l’école de Plön morts pendant les deux guerres mondiales ainsi qu’à leurs enseignants.
La Maison des Princes
Comme les jeunes princes ne devaient pas habiter dans les mêmes locaux que les jeunes cadets ordinaires, Guillaume II fit rénover et aggrandir une belle bâtisse en 1896. Elle n’appartient plus à l’arrière-petit-fils de Guillaume II, mais elle a gardé son nom : le Prinzenhaus ou la « Maison des Princes ».
Il est possible de visiter cette bâtisse qui date de 1747-1750 en prenant rendez-vous.
Le château de Plön
Dans la région, le château de Plön est connu comme le loup blanc. C’est le cas de le dire car la couleur resplendissante de ses murs tranche avec sa toiture en ardoise anthracite — un matériau plutôt atypique dans le nord de l’Allemagne.
En arrivant vers cette petite ville touristique de 9 000 habitants, on ne peut pas le manquer puisque, construit sur une butte au XVIIe siècle, il surplombe les environs. C’est l’empereur de la lunetterie allemande, Monsieur Fielmann, qui racheta ce beau bâtiment et qui le fit restaurer il y a plus d’une vingtaine d’années. Depuis 2004, l’Académie Fielmann y forme plus de 6 000 opticiens-lunetiers par an dans un décor de meubles baroques et de plafonds en stuc.
L’utilisation du château à des fins éducatives a une longue tradition. Depuis 1868, le bâtiment sert surtout d’internat et d’école.
Au départ, c’étaient les cadets de l’armée royale prussienne qui y vivaient. Ces jeunes hommes, souvent issus de familles aristocratiques, y apprenaient à grand renfort d’exercices militaires les vertus si chères à la Prusse : l’obéissance, la discipline et le respect des autorités. Ce régime strict prit fin en 1919, au lendemain de la Première guerre mondiale. Alors, les écoles de cadets furent interdites par le Traité de Versailles. Les cadets restèrent tout de même (les mauvaises habitudes aussi apparemment car les petits se faisaient souvent tarabuster par leurs aînés), mais selon les nouveaux programmes, il s’agissait d’inculquer les principes démocratiques aux jeunes élèves. Plus tard, sous Hitler, on en fit une des écoles du régime nazi appelées Napola. L’élite militaire devait y être formée. A partir de 1946, c’est dans ces locaux que les élèves du lycée de Plön furent logés.
Du coup, il reste à dire merci à Monsieur Fielmann d’avoir racheté ce château et surtout de l’avoir si joliment restauré.
La partie orientale du lac dévoile toute son ampleur lorsqu’on se trouve au pied du château. L’esplanade forme un balcon qui permet d’admirer une partie de la ville et l’archipel d’îlots qui se répartissent sur l’eau. L’accès à la terrasse est libre. Par contre, le bâtiment est privé.
En finissant le tour à pied, on peut passer devant quelques dépendances qui faisaient partie du château autrefois — le jardin du château par exemple qui vaut une petite visite — et de vieilles villas.
La baie de Fegetasche
Le parking de Fegetasche n’est plus très loin. Il suffit de longer les rives du lac. A moins que vous décidiez de continuer votre tour en bateau.
Depuis des siècles, Fegetasche est un lieu de passage même si sa plage et ses kiosques invitent à s’installer pendant un moment. Depuis l’invention du tourisme, les bateaux y accostent. Mais c’est aussi à cet endroit qu’on réclamait des droits de passage dans le passé, d’où le nom de Fegetasche — il fallait « déballer » ou « balayer » son « sac ».
Au terme de notre promenade, le soleil a fini par reprendre le dessus. Il rayonne sur le ponton en éclairant la plage avant de se coucher derrière le château.
Les navettes sont déjà au repos. Jusqu’à demain — jusqu’à fin octobre en tout cas.
Informations pratiques
Vous pouvez faire différents tours en bateau sur le Grand lac de Plön :
- le tour du Grand lac de Plön (Großer Plöner See-Rundfahrt)
- le tour de Bosau (Bosau-Fahrt)
- le tour des cinq lacs (5-Seen-Fahrt)
En soi, les tours durent d’une heure et demie à deux heures mais vous pouvez interrompre votre croisière à chaque arrêt et reprendre un bateau ultérieur. Si vous décidez de ne faire qu’une partie du tour, évidemment, vous payez moins.
Dans le cas de Bosau, vous pouvez même prendre un vélo contre un supplément de 2 € (2023).
Mon conseil si vous venez à Plön en voiture — Commencez votre tour au débarcadère de Fegetasche. Il a l’avantage d’avoir un assez grand parking (payant), une plage et de la gastronomie.