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Pourquoi le Brésil et la Californie tiennent dans un mouchoir de poche

California

La planche avait flotté assez longtemps pour que le bois s’imbibe d’eau. Ses fibres ramollies avaient dû être ballottées par les courants avant d’atterrir sur le sable dans un méli-mélo d’algues arrachées. Dommage ! Un peu trop petite pour raccommoder mon toit, se dit-il. Il la ramassa quand même. Toujours assez bonne pour faire du feu.

Mais la planche avait un nom. L’Amérique, murmura-t-il en déchiffrant les lettres l’une après l’autre. Le Pacifique se déroula soudain devant lui et lui qui n’avait jamais quitté son fjord traversa les océans, du moins le temps de mettre une image sur le mot qu’il venait de lire. Quelques minutes à parcourir le monde en direction de « California ». Le souvenir obscur d’une carte pendue à un mur et d’un globe posé sur le pupitre du maître. Une question aussi : Comment cette planche était-elle arrivée là, sur son bout de plage ? Trop grande pour un cageot. Une planche de barque ou de bateau peut-être.

Pas de réponse mais une idée : un rêve américain parfait pour sa cabane. La promesse du large, de l’exotisme, de l’exclusif. Un clou et un marteau suffiraient pour en faire un panneau. Ce nom en or lui porterait certainement fortune.

A lui la Californie.



Brasilien

L’histoire de la planche fit le tour du village. Le petit pêcheur de la côte était devenu l’Américain de Kalifornien.

Et pourquoi ne pas faire comme lui, se dit le voisin d’à côté. Pas possible évidemment d’avoir la même chance. Une planche avec un nom lointain, ça ne se trouve pas comme ça. Alors, pour augmenter sa notoriété ou par effet de concurrence, il alla se chercher une planche vierge et un pot de peinture. Il écrivit en grandes lettres « Brasilien » avec son pinceau et en quelques minutes, il avait réduit les grands espaces du Nouveau continent, il avait remodelé les côtes.

En cette journée de 1864, le Brésil s’était retrouvé juste à côté de la Californie et vous savez quoi ? Ils le sont encore.



Le même sable, les même dunes, la même mer et la même commune : Schönberg, 6.800 habitants, juste au bord de la Baltique et à 25 km à l’est de Kiel. Schönberg, un petit nid à touristes qui profite de ses huit kilomètres de plages pour attirer le client.



Schönberg

C’est vrai que le tourisme s’est bien développé depuis qu’une voie de chemin de fer a été construite jusqu’à Schönberg à la fin du XIXe siècle. Si au début, c’étaient les gens de Kiel et de Hambourg qui allaient passer du bon temps sur la côte, aujourd’hui, les touristes viennent de plus loin. Ils sont plus de 70.000 à traîner leurs guêtres le long de la digue et à profiter de la plage tous les ans. Aussi, très fière de ses 500.000 nuitées, la ville propose tout un lot d’activités sympathiques l’été — la Fête du Western par exemple.

Evidemment, les plages de Kalifornien (500 habitants) et de Brasilien (à peine deux douzaines) contribuent à ce succès. Elles ont toutes les deux des noms enchanteurs, ensoleillés, alléchants. Deux enseignes publicitaires bien lumineuses qui font rêver à des étendues de mer bleue, de sable fin et de palmiers.



Digues et dunes

Pour ce qui est des palmiers, Schönberg n’a pas la bonne latitude. En bordure de plage, on trouve plutôt une rangée de dunes blanches toutes poilues et régulièrement décoiffées par le vent. Un paysage de sable et d’herbes qui poussent en touffes jusque sur les crêtes. Un peu comme une dernière vague sans ressac.



Qui s’approche de ces dunes et s’était peut-être cru seul au monde auparavant, sera étonné par l’envers du décor. Juste derrière, il n’y a pas d’autres dunes ni des paysages sauvages ou du « 100% nature » mais de l’asphalte et une pelouse très verte — une grande digue qui longe la côte sur des kilomètres. Elle a été construite là il y a plus d’un siècle pour protéger l’arrière-pays de Schönberg qui avait été ravagé par la crue millénale de 1872.

Ces coulisses aménagées sont beaucoup moins romantiques que les scènes maritimes qui se jouent près de l’eau mais elles s’avèrent pratiques. Pour les habitants de la région d’abord qui peuvent se sentir en sécurité. Et ensuite, pour celles et ceux qui ont envie de se promener un peu en hauteur car la digue s’élève 4,5 mètres au-dessus du niveau zéro. Les amateurs de vélo et de skate apprécient aussi la grande bande de bitume avec vue sur la Baltique et l’été, on y rencontre même des rosalies qui se dandinent sous le soleil.

D’épi en épi

Marchons ensemble sur la plage car rien ne vaut le romantisme du macro.



Gros plan sur la Baltique et son ourlet de silice. Gros plan sur une eau qui ressasse en murmurant, en grognant ou en rugissant parfois. Gros plan sur son armada de vagues qui s’étendent jusqu’au lointain, sur les petits losanges de verres dépolis laissés pour compte dans le sable et les coquillages collés aux algues desséchées. Macro sur les mouettes qui jouent entre vagues et vents et sur les cormorans qui dévoilent leurs ailes cendrées dans les chaos de pierres, les yeux rivés vers l’horizon.



Ici, traverser le Brésil et la Californie, c’est compter les épis qui s’égrainent. Une succession de digues qui s’avancent dans la mer le long d’un « Highway » de sable. L’un après l’autre, les T en pierres se relayent. Tous les deux cents mètres. Tous construits pour freiner la mer et protéger la côte. 48 clones au total. Un véritable leitmotiv sur 9,5 km entre Heidkate et Stakendorfer Strand. Et pour se repérer, des panneaux avec des chiffres. Sur la plage et derrière la digue.




La Californie commence au numéro 18. En marchant, on compte :

18 — 19 — 20 — 21 — 22 — 23 — 24 — 25 — 26 — 27

Dix épis et deux kilomètres. Au 27 qui ressemble comme deux gouttes d’eau à tous ses voisins, il faut dire « Goodbye, California ! » et « Bem-vindo ao Brasil ! » car même si cela ne se remarque pas, nous avons atteint la frontière. Brasilien. Qui cherche le poste frontière, devra aller de l’autre côté de la digue, près du parking. Là, il y a un petit bungalow avec des toilettes. La totalité de son mur brandit le drapeau brésilien.



Jusqu’au 35, nous sommes au Brésil et nous parcourons ses plages de sable blanc.

Schönberger Strand se rapproche peu à peu, son pont aussi. Mais vraiment peu à peu car marcher dans le sable pendant 1,6 km, ça dure.


Juste avant Schönberger Strand et son pont

Ça dure, surtout quand on s’arrête souvent pour admirer les traces du vent sur le sol et regarder les oiseaux de mer courir le long des vagues, pour ramasser quelques coquillages blanchis par le soleil ou pour observer les va-et-vient d’un surfeur qui sillonne la côte avec son surf électrique. Au loin, un ou deux voiliers et un cargo naviguent en direction du large.



Parmi les visiteurs de la côte, on trouve ceux-là. Les inconditionnelles mouettes et les cormorans mais aussi les cygnes, symboles de la Baltique, et les corbeaux, polyvalents. En janvier 2021, il semblerait même qu’un phoque se soit un peu reposé sur les pierres du côté de Schönberg.



Et devant l’étendue de ces plages, même en hiver, on se rend compte d’une chose : donner rendez-vous à quelqu’un à Kalifornien ou à Brasilien, est aussi absurde que de chercher une aiguille dans une botte de foin.

Sur des kilomètres, il n’y a aucun repère si ce n’est la présence de panneaux comme on les connaît au bord des trottoirs. Cartésiens et stoïques, ils sont postés devant leur épi respectif et affichent leur numéro. Il vaut donc mieux préciser les choses :


A la recherche des petites différences dans ce paysage homogène, j’ai trouvé quelques pierres cimentées du côté de Kalifornien — le besoin de protéger une zone plus exposée et plus fragile que les autres sûrement — et un petit ruisseau qui va se jeter dans la mer. Sinon, le même sable, les mêmes épis et le même vent.



Et juste à l’entrée du village de Kalifornien, j’ai quand même fini par le trouver, LE petit bateau de pêche. Pas l’épave qui a donné son nom à la plage bien sûr, mais celui qui fait chavirer les cœurs, qui fait sortir les portables. Celui qu’on voit sur Internet quand on cherche la Californie en Allemagne et qui murmure : Te voilà au paradis des rêves. A Kalifornien. Respire mon calme et ma simplicité, pars en voyage, traverse les mers et les océans — cela te prendra juste un instant.



C’était un dimanche. Le bateau n’avait pas été hissé sur la plage mais il mouillait entre deux épis et dans les couleurs tamisées du soir, il portait bien son nom.

Schön comme « beau ». Schön comme Schönberg.

Une image pour un mot — Schönberg.

Là où la Californie et le Brésil tiennent dans un mouchoir de poche.



Bon à savoir

Taxes — Schönberg est une ville de cure. Qui y réside, doit donc payer une « Kurtaxe ». Parallèlement, il faut payer environ 2,50 € pour une journée de plage (selon la saison). Comme Kalifornien et Brasilien font partie de la commune, là aussi, il faudra que vous sortiez vos sous si vous voulez y aller, du moins entre mars et septembre. Néanmoins, entre les épis 32 et 33 qui sont des plages autorisées aux chiens (on les appelle des Hundestrand), vous pourrez faire un petit tour gratuit au Brésil.