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La presqu’île de Priwall

964 — c’est le nombre de kilomètres qui séparent la frontière danoise de la Pologne lorsqu’on longe les côtes allemandes de la Baltique. 541 kilomètres appartiennent au Schleswig-Holstein, le reste se trouve dans le Mecklembourg-Poméranie occidentale.

Allons ensemble à l’endroit où ces deux Bundesländer se relayent, c’est-à-dire au nord de Lübeck, dans l’estuaire de la Trave. Zoom sur une presqu’île de trois kilomètres qui fait partie de Travemünde (bien que cette ville balnéaire soit sur l’autre rive) et qui servit de frontière aux deux Allemagnes pendant cinquante ans.

Qui se rend à Priwall, vient admirer un vieux gréement de plus près — le Passat — et il est attiré par les plages de sable. Ou il veut se promener car cette presqu’île dont la partie sud est classée réserve naturelle est entourée d’eau à 96 %. Une bonne occasion pour profiter du paysage du « Südlicher Priwall » qui varie entre bois, prés et bocages et qui offre de beaux points de vue sur Travemünde, la rivière et sur une zone lagunaire appelée le Pötenitzer Wiek.


Deux chemins mènent à Priwall.

Du côté du Mecklembourg-Poméranie occidentale, donc à l’est de Priwall, quelques petites routes parcourent la campagne dans la direction du cordon littoral.

Certaines, les plus proches de la presqu’île, ont été aménagées après l’ouverture des frontières. En effet, jusqu’en 1990, une grande partie de cette zone était interdite d’accès : après la Seconde guerre mondiale, Priwall avait continué à appartenir à Lübeck mais de ce fait, elle était devenue une petite exclave à la limite du territoire de la RDA. Comme le gouvernement de Honecker voulait éviter tout passage, toute fuite surtout, il avait truffé les bords de la Trave et les plages situées à l’est de Priwall de barbelés, de murs, de miradors et de projecteurs. Pendant plusieurs décennies, les derniers villages furent surveillés de près, la côte entre Priwall et Boltenhagen était taboue.

A l’ouest, donc du côté du Schleswig-Holstein, la situation était différente. Priwall représentait la fin du monde occidental — sur la dernière plage de la RFA, on pouvait se baigner dans un décor de dunes et faire sécher sa serviette sur les grillages de la frontière. Pour y accéder, il fallait traverser la rivière en passant par Travemünde — ce que faisaient les touristes de toute façon depuis longtemps car depuis 1847, il y avait une station de bain à Priwall.


Les premiers bancs de sable qui bordent la côte de Priwall

La situation n’a pas changé. Travemünde dispose toujours et encore de plusieurs bacs qui font la liaison entre le centre-ville et la presqu’île.


Travemünde, ville balnéaire depuis 1803, est très appréciée du public allemand.

En tout, deux sortes de navettes effectuent les trajets. Le Travemünde et le Pötenitz sont réservés aux piétons et naviguent entre le port de plaisance (le « Passathafen ») et l’ancien phare, alors que le Berlin et le Welt Ahoi, un bac électrique qui vient d’entrer en service (2023), transportent également des véhicules. En cinq minutes, on est de l’autre côté. En fait, acheter un billet dure presque plus longtemps que la traversée…


Sur l’autre rive, Priwall attend son public avec sa physiognomie moderniste.
Les bacs naviguent même le soir (ou la nuit selon la saison).
Les quais, les pontons et l’ancien phare de Travemünde — le bac est en plein centre.

Information pratique :
La vente de billets se fait à des guichets automatiques qui se trouvent aux embarcadères (prix pour un trajet adulte sans voiture : 1,70 € tarif 2024).

La plus grande attraction de la presqu’île se trouve le long des quais, juste à côté de l’embarcadère. Il s’agit du Passat, un grand voilier à la retraite depuis 1960 qui coule ses derniers jours dans le port de Priwall et qui sert de bateau-musée à ses visiteurs. Tous les ans, il ouvre ses portes de début avril à fin octobre.


Des quais de Travemünde, on voit le Passat assez tôt. Il domine l’estuaire.

Dans l’estuaire, ses quatre mâts en métal et son enchevêtrement de cordages, de vergues et de bômes se dressent au-dessus d’un beau cube rouge et de bâtiments rectangulaires récents. Toutes ces constructions modernes encadrent le port de Priwall.


Priwall et son port

A côté de lui, Fiete, le dernier matelot du Passat, accueille les visiteurs. Il s’agit d’une statue en bois très photogénique qui repose sur un poteau d’amarrage juste devant le Passat.


Fiete devant le Passat et derrière lui, la silhouette de Travemünde

Construit en 1911 à Hambourg, ce voilier a navigué sur les océans jusqu’en 1957. Somme toute, si sa carrière n’a pas été très longue, elle a été parfois houleuse. Au contraire de son frère jumeau le Pamir, il a survécu à un grand ouragan. Il a aussi changé plusieurs fois de propriétaire et de nationalité (il a d’ailleurs appartenu à la France en 1921). Pendant des décennies, il a transporté du nitrate, du blé, du salpêtre et il a même servi de navire-école.



Le port du Passat, lui aussi, a un passé mouvementé. Difficile de se l’imaginer mais à l’endroit où se trouve la zone portuaire aujourd’hui, il y avait un hippodrome. Pendant plus de cinquante ans, les chevaux ont couru sur ses pistes et les touristes de Travemünde prenaient le bac pour se rendre aux courses.

Pourquoi il n’existe plus ? Parce que ce lieu de villégiature, très apprécié du reste, fut démantelé au profit d’un port de sous-marins en 1940. Un peu plus loin, il y avait aussi un aéroport. C’est là que l’aérostat LZ 127 Graf Zeppelin se posa en 1931 devant 23000 personnes qui étaient venues l’admirer à Priwall.


Encore quelques infos sur l’histoire de Priwall :

De 1939 à 1945, les nazis interdirent l’accès de Priwall à la population civile. Ils y avaient une base militaire et un camp de concentration.

Pendant un temps, la presqu’île accueillit également un chantier naval qui n’existe plus aujourd’hui. On y créa aussi un hôpital de fortune lorsque Lübeck et Travemünde furent victimes d’une épidémie de choléra. Aujourd’hui, on trouve un port de plaisance et une grande maison de retraite à la place de l’ancien chantier naval.

Vous voyez qu’il y a eu du mouvement sur Priwall.



Aujourd’hui, les rives sont accessibles au public (on peut même passer par le parc de la maison de retraite). Alors, profitons-en pour faire un tour.

De Priwall, évidemment, on ne peut pas voir la ville de Lübeck. Elle se trouve trop loin. Par contre, depuis le départ, on peut admirer la silhouette de Travemünde, ses villas et sa pointe.



Bien que les deux rives se resserrent au niveau de l’embouchure, le chenal reste tout de même assez large pour que les gros ferries puissent passer. Ils font leurs aller-retour entre l’Allemagne et la Finlande, la Suède, la Lituanie ou la Lettonie.



En descendant vers le sud de la presqu’île, on peut donc admirer les gros bateaux. Certains sont à quai et attendent leurs cargaisons. D’autres glissent vers l’estuaire et passent devant Priwall tout près de la rive. Leurs moteurs font vibrer l’air, l’eau de la Trave et le sol sans vraiment gêner les cygnes qui pêchent dans les eaux moins profondes.



La côte ressemble à un chemin de halage, à un canal presque, avec sa route droite et les plaques en béton qui se suivent en parallèle. A mon avis, ce n’est pas la portion la plus belle mais plus loin, le sentier réserve d’autres cadres. Dans la réserve par exemple, on trouve des chemins plus sinueux et surtout plus « nature ».


En fait, la faune et la flore qui peuplent cette partie sud de Priwall ont eu de la chance.



En tout, il n’y a que 1600 habitants à Priwall. Si la presqu’île propose des locations de vacances aujourd’hui, ces habitations sont plutôt récentes.

Dans le passé, la presqu’île ne fut jamais vraiment sujette à des constructions ni à des activités agricoles. Il faut dire que le sol très sablonneux et peu fertile ne s’y prête pas. Pendant des siècles, Priwall servit surtout aux pêcheurs et aux bergers ainsi qu’au transport des marchandises entre le duché de Mecklembourg et Lübeck.

Lorsque les touristes s’éprirent de Priwall au XIXe siècle, il fallut trouver une solution pour les accueillir. Pour commencer, on créa une maison de bains. Quant aux maisons de vacances placées dans les dunes, on exigea longtemps qu’elles soient démontables.

Pourquoi les petits et les gros oiseaux de Priwall ont-ils de la chance ?

Parce qu’au début du XXe siècle, un petit groupe d’ornithologues influents fit en sorte que les zones les plus utilisées par le monde aviaire soient protégées. Il s’agit des parties humides et inondables au sud de la presqu’île.



Lorsque Travemünde instaura une taxe de cure en 1898, de plus en plus de touristes choisirent les plages de Priwall qui étaient gratuites. Les oiseaux étaient d’autant plus perturbés par les passages qu’ils étaient victimes de chasse et qu’à l’époque, la collecte des œufs était courante.



Au sud de la presqu’île, on venait de créer de nouvelles surfaces de sable que les oiseaux, en partie migrateurs, avaient adoptées. En 1909, il fut donc décidé de protéger ces populations en créant une réserve. On engagea même un gardien pour veiller sur les nids. Ce statut fut malheureusement modifié quelques années plus tard au profit de la construction d’un aéroport mais le cours des choses —- le fait que Priwall devienne une zone frontalière très spéciale — permit à la nature de ne pas être dérangée pendant des décennies.



Finalement, le sud de la presqu’île est redevenu zone protégée en 1998. Aujourd’hui, un chemin mène à travers cette nature bucolique. La réserve est composée de prés humides, d’un système d’anciens bocages, de zones inondables où prolifèrent les roseaux.



Ces endroits sont habités par un grand nombre d’oiseaux. Des moutons et des biquettes nettoyent le terrain en toute tranquillité et le soir, les biches viennent s’abreuver au bord de l’eau.



Alors qu’un peu avant l’embouchure, les berges de la Trave sont aménagées, en direction de la pointe sud de Priwall, la rivière s’étend, s’élargit, se libère. Les rives se retirent et prennent de la hauteur. Son entourage verdit, jaunit, brunit, se courbe, se boise, se plie. Devient collines, forêts, plages. Devient nature.


Le Pötenitzer Wiek

Tout au bout de la presqu’île, le regard se porte en direction de Gothmund et Lübeck, cependant il ne les voit pas. Par contre, sur la rive opposée, il aperçoit une péninsule verdoyante et des falaises boisées. Ce sont les Dummersdorfer Ufer qui plongent leurs pieds dans l’eau. Cette succession de bosses vertes et soyeuses fait penser à des paysages d’autre part.


Les collines de Dummersdorf ont été façonnées par les transports de bateaux. Il s’agit de collines de lestage.

A la pointe, un platelage qui traverse une petite mer de joncs nous fait entrer dans l’univers d’une anse d’eau saumâtre qu’on appelle le Pötenitzer Wiek.



Quelques mots sur un chapître peu réjouissant du XXe siècle — Après avoir servi de piste d’amerrissage pendant la Seconde guerre mondiale, le Pötenitzer Wiek et ses rives furent déclarés zone frontalière au début de la guerre froide.

Afin de réglementer la circulation sur la Trave, voie d’eau devenue limitrophe après la guerre, un accord fut signé entre les deux républiques allemandes. Les pêcheurs et les amateurs de voile de l’ouest avaient le droit d’accéder aux berges orientales de la Trave et du Pötenitzer Wiek en cas de besoin. C’est pour cette raison que les grillages commençaient à quelques centaines de mètres de la rive. D’ailleurs, d’après ce que j’ai lu, on trouve encore quelques constructions telles que des tours d’observation envahies par le lierre autour de cette étendue d’eau.

Par contre, l’accès au Pötenitzer Wiek et à la Trave fut interdit à la population de l’Allemagne de l’Est. En conséquence, les pêcheurs du lac de Dassow durent renoncer à leurs domaines de pêche. Il paraît qu’ils durent transporter leurs bateaux par la route.

Un chapître très, très triste de cette époque — Afin de fuir le régime de la RDA, plusieurs personnes essayèrent d’atteindre la rive opposée à la nage ou à bord de radeaux de fortune en passant par cette zone. La plupart trouvèrent la mort dans le Pötenitzer Wiek ou un peu avant.

Evidemment, je suppose que si vous êtes dans la région, c’est plutôt pour visiterTravemünde.


Du bac, Travemünde dévoile son charme.

Située sur la rive ouest de la Trave, cette station balnéaire qui appartient à la ville de Lübeck depuis le XIIIe siècle servit d’abord de forteresse, laquelle avait pour tâche de surveiller et protéger le passage des navires du temps de la Ligue Hanséatique.

Par la suite, Travemünde changea de rôle et de visage lorsque le tourisme se développa. Travemünde est d’ailleurs une des premières villes balnéaires allemandes à avoir été créées sur la côte Baltique. Les pontons et les chaumières des pêcheurs furent remplacés par des villas et par une promenade qui aboutit de nos jours au plus haut phare d’Europe (114 m). Ce dernier se trouve aux derniers étages de l’hôtel Maritim.



Aujourd’hui, cette commune très touristique accueille des centaines de milliers de touristes tous les ans — avec la ville de Lübeck, cela fait même plus de deux millions de visiteurs. Tout guide touristique invite à y aller. Profitez-en pour aller voir aussi la falaise de Brodten et le joli petit port de Niendorf.


Le petit port de Niendorf se trouve à quelques kilomètres dans la commune de Timmendorfer Strand.