Le nord de l’Allemagne n’est pas connu pour ses forêts. Avec ses 11% de surfaces boisées*, le Schleswig-Holstein est même le Bundesland le plus pauvre en bois. Evidemment, il y a des zones forestières mais la répartition n’est pas égale. Dans le Dithmarschen, c’est-à-dire près de la mer du Nord, il n’y a que 3,3% de forêts alors que les régions les plus boisées, le Sachsenwald par exemple, sont concentrées au sud du Land et autour de la ville de Bad Segeberg.
Dans le parc naturel d’Aukrug et ses environs, une forêt recouvre une partie de la montagne du Boxberg, un endroit idéal pour prendre un peu d’air et d’altitude (77 mètres, ce n’est pas rien dans le nord) et pour faire de la luge en hiver. Mais on trouve aussi une vieille forêt enchanteresse : la forêt de Tönsheide. C’est ici que nous allons faire un tour — entre Hambourg et Kiel. Vous pourrez vous rassasier de vert, traverser des paysages de lande et prendre un bon bain de forêt à deux pas d’une clinique spécialisée dans les maladies pulmonaires.
*A titre de comparaison, on trouve un peu plus de 30% de surfaces boisées en Allemagne ce qui équivaut au même pourcentage qu’en France.
Les paysages de lande
Le paysage du parc naturel d’Aukrug qu’on appelle « Geest » en allemand a été créé il y a 130.000 ans, donc bien plus tôt que les autres reliefs du Schleswig-Holstein qui sont en règle générale la conséquence de la dernière glaciation. En vous promenant dans cette région, vous pourrez remarquer que ce Haut Geest est composé de terrains vallonnés et sablonneux. C’est ce sol qui a favorisé le développement de la lande.
Evidemment, cela ne veut pas dire qu’il y a toujours eu de la bruyère et des myrtilles à cet endroit. En fait, il fut même un temps où le Boxberg par exemple était recouvert d’une grande forêt de hêtres. C’est au Moyen-Age, à la suite d’une déforestation massive que les forêts primaires disparurent au profit d’un nouveau paysage, semi-culturel cette fois. Les hectares de lande, les forêts claires de pins et de bouleaux qui poussent aujourd’hui sur les pans du Boxberg et à Tönsheide sont donc le produit d’un défrichement, d’une exploitation de nouvelles surfaces agricoles et finalement de leur abandon.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet écosystème particulier est non seulement fragile mais il accueille en plus de nombreuses espèces rares comme la guêpe fouisseuse, diverses espèces de coléoptères et de papillons et la vipère péliade.
La Forêt de Tönsheide
Entrons maintenant dans la Forêt de Tönsheide. Des hectares à parcourir en prenant des chemins et des sentiers aménagés dont 61 hectares qui sont particulièrement protégés.
Dans les parties plus sèches poussent des chênes aux troncs noueux et des hêtres dont certains, tombés pendant une tempête, servent de support aux champignons. Du bois mort vous attend couché entre les arbres, au bord d’une rivière asséchée — la Sellbek — ou au milieu d’un tapis d’herbes. La forêt n’est plus exploitée depuis 60 ans et on la laisse se développer seule.
Comme la plupart des forêts du nord, celle de Tönsheide est décidue, c’est-à-dire qu’elle a un fort pourcentage en arbres à feuilles caduques. Et cette forêt n’est pas jeune, au contraire de la plupart des zones forestières du Schleswig-Holstein qui n’ont pas plus de 60 ans. Etant donné qu’elle apparaît sur d’anciennes cartes, on peut partir du principe qu’elle existe au moins depuis 1780. Un symbole de sa valeur écologique sont les amateurs de vieilles forêts tels que les grands-ducs, les milans et les cigognes noires qui y ont trouvé refuge et qui s’y reproduisent volontiers.
Dans les parties humides, des frênes et des chênes rouvres ou pédonculés poussent au bord des étangs et peuplent les zones marécageuses.
Le sanatorium
Pendant très longtemps, cette belle forêt et les paysages de lande avoisinants ont appartenu à une clinique qui existe à Aukrug depuis 1931. Spécialisée à l’époque dans le traitement de la tuberculose, elle propose aujourd’hui des cures dans le domaine de l’orthopédie, des maladies psychosomatiques et pulmonaires.
Quand vous arriverez devant le bâtiment principal, que vous verrez l’étendue de son parc, ses grands massifs de rhododendrons, son mini-golf et ses bassins réservés aux bains selon Kneipp, vous aurez peut-être l’impression de vous trouver dans un film. Un thriller à la Hercule Poirot ou un drame historique se déroulant sous le régime nazi.
Cette grande bâtisse en briques rouges déploie ses deux ailes symétriques en pleine nature, faisant penser à un tryptique imposant dans le style de l’architecture néo-germanique des années 1920. Actuellement, il est question de remplacer cet ensemble monumental par une nouvelle construction. D’après la direction, la clinique telle qu’elle a été conçue ne correspond plus aux standards modernes. Cependant, la valeur culturelle et historique du bâtiment en question n’a pas encore été examinée (2020).
Le fait est que pendant ma promenade en plein confinement, la clinique paraissait déserte. Les chaises-longues attendaient leurs patients sur la grande pelouse bien tondue. Ni les stations du mini-golf ni les bassins n’avaient été préparés pour la saison et à l’ombre des rhododendrons, les bancs étaient vacants eux aussi. Comme une pandémie peut changer les choses…
Un peu plus loin, vous rencontrerez un autre bâtiment historique, le Heidehof qui date de 1935 et qui servait de lieu de convalescence. Lui aussi est typique du style néo-germanique avec son toit en chaume et ses statuaires. Comme sur la façade du vieux bâtiment qui comporte des mosaïques d’intérêt historique et artistique, la porte du Heidehof est encadrée d’éléments en céramique.
C’est Alwin Blaue, artiste allemand connu pour ses sculptures ornementales (1896-1958), qui les réalisa toutes. Les céramiques du sculpteur créent un contraste avec le fonctionnalisme du sanatorium et soulignent le cadre naturel du lieu. Alors qu’à la clinique, il s’agit plutôt de plantes et d’animaux stylisés, ici, deux personnages vous accueilleront.
En effet, sur la façade de cette chaumière rustique, un berger porte un agneau dans ses bras d’un côté de la porte pendant qu’un jardinier se tient debout avec une plante et son outil de l’autre. Au-dessus de l’entrée, un troisième élément pastoral symbolise l’activité en pleine nature : une ruche.
Un message visuel plein d’optimisme car qui venait à Tönsheide en cure ou en convalescence, profitait d’un encadrement et d’un traitement médical mais aussi de la proximité de la forêt et avait la possibilité de s’inspirer des statues champêtres réalisées par Alwin Blaue pour se propulser vers un renouveau — une vie future, meilleure et active.
Shinrin-yoku
De nos jours, on parle beaucoup de sylvothérapie, du shinrin-yoku japonais et de ses bienfaits. Prendre un bain de forêt, entrer en contact avec la nature et ses arbres semblent avoir des effets positifs psychiques et même physiques. Dans les médias, c’est comme si cette notion était nouvelle. Pourtant, l’idée de s’entourer du calme des forêts pour se refaire une santé remonte à longtemps.
Dans la littérature européenne et au cours des siècles, de nombreux poètes ont prôné l’harmonie entre l’homme et la nature, certains (les romantiques surtout) l’ont même sublimée, faisant de cet espace une antithèse du monde moderne — un locus amoenus divin en quelque sorte.
En quelque sorte,Tönsheide est un poème vivifiant et sa forêt fait certainement partie des endroits propices au shinrin-yoku. Au printemps, lorsque la nature s’est réveillée (même par temps pluvieux), la promenade est belle. Je suppose qu’elle l’est aussi au mois d’août lorsque la bruyère fleurit.
En guise de conclusion, voici un poème expressionniste que je trouve plein de modernité.
Il anticipe notre recherche actuelle du repos dans la forêt et d’une unité entre l’âme humaine et l’arbre. « Ich möchte hundert Arme breiten » est une déclaration d’amour à la symbiose et à la dissolution dans une nature cosmique, l’aspiration à déployer ses bras comme un arbre qui fait pousser ses branches vers la lumière.
J’aimerais déployer cent bras
Ich möchte in dir hochwellen
Grüner Baum!
Ich möchte treibfroh in deinen Markzellen
Aufschwellen
Bis in den Wipfeltraum
Lichtoben –
Ich möchte in die Lichtweiten
Hundert Arme breiten
Wie Zweige ––
Armzweige mit Blätterfingern
Und dann fühlen wie Mittagsgluten,
Wie Lichtfluten
Durch sie schlingern ––
Ich möchte aus deinem Wirbelkopf,
Lebensbaum,
aus dem Laubtraum
Wie Lichtgetropf,
Wie Windsingen
Mich aufschwingen
In den Weltraum!
J’aimerais onduler en toi
Arbre vert !
Bourgeonnant, j’aimerais gonfler dans les cellules de ta moelle
Gonfler
Vers le rêve de tes cimes
Vers la lumière du haut —
J’aimerais déployer cent bras
Dans l’étendue de la lumière
Comme des branches —
Des branches de bras avec des doigts de feuilles
Et sentir ensuite comme les braises du midi,
Comme les flots de lumière
Se faufilent entre eux —
J’aimerais sortir du tourbillon de ta tête.
Arbre de vie,
Hors du rêve de feuilles
Comme les gouttes de lumière,
Comme le chant du vent
M’élever
Dans l’espace !
Poème de Gerrit Engelke (1890-1918), mort en France pendant la première Guerre mondiale. Tiré du recueil « Rhythmus des neuen Europa » (Rythme de la Nouvelle Europe, publication posthume), Jena 1921, p. 48-49. Traduction personnelle.