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Where the F*** is Hohenfelde?

Préface

« Hohenfelde 😍 », écrit-elle pour répondre à ma question. Et quelques secondes plus tard, comme pour expliquer, juste trois mots : « C’est beau ».

Je la remercie pour l’info et je regarde à nouveau le coucher de soleil qu’elle a mis sur son statut. Moi qui pensais connaître la côte de la Baltique, je me demande où se trouve Hohenfelde. A la mer, c’est sûr. A part ça, jamais vu, jamais lu, jamais entendu.

J’ouvre mon browser et je tape H-o-h-e-n-f-e-l-d-e. Une seconde plus tard, la carte se met en mode zoom. Neuf petites épingles apparaissent sur mon téléphone. Trois se trouvent au bord de la mer : des photos de plage et de cailloux. Six autres sont juste à côté, sur le vert craquelé de petits cours d’eau. Des campings surtout. A l’ouest, il y a la réserve naturelle de Schmoel. Le coin des sorcières. Et à l’est, c’est le bout du monde. Je lis Todendorf. Le village des morts ou de la Mort ? Dans ma tête, j’ai une petite bande-annonce qui passe — un grand cimetière et un village de zombies ou de revenants. N’importe quoi.

C’est vrai qu’il y a des endroits inconnus sur la Baltique. Pas morts mais pas connus en fait. Des blancs sur la carte et dans la tête. Ou plutôt des gris car la zone autour de Todendorf est aussi grise qu’une souris. Les punaises qui prennent une couleur sang dès qu’on clique dessus, indiquent « caserne » et « champ de tir ». Il n’y a pas beaucoup de photos mais j’apprends quand même qu’il s’agit d’une zone militaire d’où les images de tanks couleur camouflage et les photos vintage de soldats assis dans la neige. Dix-sept images et cinq étoiles.

Hohenfelde est entre le fjord de Kiel et l’île de Fehmarn ; sur la côte qui défile gentiment vers l’est du Schleswig-Holstein ; avant Hohwacht et à l’endroit où finissent les randonnées dans les guides touristiques car on ne peut pas aller plus loin à cause des grillages et barbelés. Pas de grandes villes dans le coin, mais des petites communes axées sur l’agriculture et le tourisme. La côte du Holstein.

Je range cette nouvelle info dans mon classeur. Post-it : A faire. Un jour. Peut-être. 📌J’épingle. On verra plus tard.

Chapitre Un — Automne

Une des premières tempêtes d’automne s’annonce. Les rafales font rouler les vagues. Font vrombir la mer. C’est là que je ressors le petit pense-bête qui commençait à jaunir et à se racornir dans un coin de ma tête. Je lis « A faire » et je pense à la mer déchaînée. Malgré le vent qui siffle autour de la maison et l’envie de rester au chaud, je me dis : Pourquoi pas aujourd’hui ?

Pas forcément une rencontre avec le beau coucher de soleil des prospectus mais Hohenfelde a une plage axée plein nord, donc exposée aux vagues.

La voici, la première rencontre avec Hohenfelde :

Une rencontre qui décape les bronches et le nez.
Les cheveux en bataille, le vent qui s’engouffre sous le bonnet.
Une mer pleine d’embruns, de mousse et de grondements.
Plus de plage, plus de sable, plus de passage vers l’est.
Une écume qui se déverse sur des dizaines de mètres, blanche et envahissante.
Un bouillon anthracite et des pierres en plein carrousel.
Des mouettes qui défient les bourrasques.
Des herbes qui se cramponnent entre deux vagues.
Des rouleaux noirâtres où valsent les algues déchiquetées.
Une couleur qu’on ne voit pas souvent sur la Baltique.
Un monde en noir et blanc.




J’imagine ma copine qui demande : « Hohenfelde 😍 ? »
Je réponds : « Oui 😍 merci pour le tuyau ! 😘 »

J’aime bien. Enfin un peu d’action sur la côte de la Baltique. Un bruit d’océan sans son sel marin. Une rencontre impressionnante.



Chapitre Deux — Printemps

Est-ce que le tourniquet des saisons se serait arrêté en pleine course ? C’est comme si le printemps ne voulait pas se réveiller. Ou je perds patience. Mon carnet de randos s’est rempli d’idées pour l’année. En plein milieu, j’ai collé le petit post-it : Ne pas oublier d’aller à Hohenfelde quand il fera plus beau.

Dans ma tête, j’ai imprimé cette phrase. Et un point d’interrogation : beau ? Piste à suivre. Pour le savoir, il faudrait attendre la saison des plages mais le soleil n’arrive pas. La nature ne se réveille pas. Je me dis : Tant pis. Pourquoi pas aujourd’hui ?

La voilà, la deuxième rencontre avec Hohenfelde. Le temps n’est pas beau, mais pas mauvais non plus. La plage qui avait été avalée par les vagues la dernière fois est réapparue. Cette fois, je veux la voir, la fin du monde. Aller jusqu’au Hubertusberg, jusqu’à son phare. Voir s’il y a les mêmes grillages que de l’autre côté, à Neuland.

J’arrive. On voit la mer. La route est droite. Je me gare sur le parking. Dans ma tête, ma copine réitère : « Alors c’est beau hein 😍 ? »

Je ne sais pas quoi répondre car qu’est-ce qu’une belle plage ?

La plupart diront d’abord : une mer bleue sous un ciel bleu. Ensuite : du sable clair et fin et des dunes immenses. Et pour finir : des herbes dans le vent ou des cocotiers. Or, Hohenfelde ressemble à autre chose. A ça :



Pour aimer Hohenfelde, il faut aimer les banquettes d’algues séchées au bord du rivage : la laisse de mer et son biotope.
Pour apprécier cette plage, il faut accepter qu’un beau sable n’est pas toujours fin et qu’il aime souvent se mêler aux pierres en tous genres. En ce qui concerne les pierres, les cailloux et les silex, Hohenfelde n’en manque pas. Ici, la côte ressemble plutôt à un champ de galets. Sur des kilomètres, il faut se faire une raison. Ce n’est pas une plage de touristes mais une côte au naturel. Et plus on va vers l’est, plus les pierres gagnent du terrain.

Près du parking et des restaurants, on peut encore parler d’un mélange équilibré. Le littoral a un aspect de plage comme on le connaît sur la Baltique et c’est ici que les pêcheurs s’installent en rangs d’oignons, comme s’ils s’étaient tous donné rendez-vous en fin d’après-midi.


Plus tard, vers l’est, il n’y a plus que des cailloux mais qui accepte cette plage comme elle est — nature —, qui décide de poursuivre sa route entre les pierres au lieu de privilégier le sentier plus plat et moins casse-gueule qui se faufile entre les herbes ou en haut de la falaise, pourra entamer une chasse aux trésors car entre toutes ces pierres et toutes ces banquettes, il y a des bélemnites, des oursins fossiles et de l’ambre.


Derrière la digue, on aperçoit les caravanes d’un camping. Jusqu’à Todendorf, il y en a encore plusieurs. Sinon, c’est la campagne.

Chancelante, je marche dans les pierres en direction de la falaise — pas vite, à cause de la couche de cailloux qui branle et qui bouge quand je pose le pied dessus — mais bizarrement, j’ai envie de répondre : « 😍 »

Pourquoi au juste ?

Pour commencer, ce qui me plaît, c’est l’unité pierreuse et la réduction du paysage à un monde de caillasse lunaire et désolé. Bizarre, mais de cette grisaille stérile se dégage une beauté particulière. Un peu comme les paysages de déserts qui fascinent un peu tout le monde. Ensuite, il y a le contraste entre les pierres et l’eau — des formes et des lignes claires. Et au bout d’un moment, lorsque les chevilles se sont habituées à une marche de funambule, que le regard et les pensées se sont détachés de cette uniformité et qu’ils se portent sur les détails, il y a la prise de conscience d’une variété sous-jacente, d’une individualité de la pierre. Une mine presque inépuisable de qualificatifs manifestant la richesse du monde cristallin. Un univers rond, poli, strié, tranchant, pointu, uniforme, troué, laiteux, marbré, rosé, noir, blanc, mat, scintillant, rocheux, basique, métamorphique, fossile qui se déroule comme un tapis sous les pieds.

Au fil des pas, la falaise se dessine sur le côté et se rapproche, austère, sombre, argileuse. L’objectif à atteindre. Clair.

Qui monte sur la falaise, peut profiter de la vue mais automatiquement, il redescendra vers la plage un peu avant le phare Hubertus. Un dernier camping, une dernière maison et voilà la fin du monde civil. Juste après le « paradis de pierres ». Je ne suis pas seule. Un dernier pêcheur s’est installé entre les pierres, à quelques dizaines de mètres du grillage.

Rien de différent ici. Le phare est petit et plutôt caché derrière ses grilles.

Il n’y a plus qu’à faire demi-tour.



En retournant au parking avec mon oursin fossilisé et quelques pierres que j’ai élevées au grade de trésors, je me fais un nouveau pense-bête parce que même si je sais maintenant où est Hohenfelde, il y a encore une chose qui me turlupine.

Un troisième chapitre ?