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Voir Schwedeneck et mourir

Le panneau de la commune signale : « Le Coin des Suédois ».
La carte indique : « Forêt danoise ».
L’historien, lui, rappelle : « No man’s land ! »
Quant à l’archéologue, il s’exclame « Toï, toï, toï » pour se porter chance et met son tuba avant de plonger pendant qu’un collègue, un peu plus loin sur la falaise, prend sa pelle et se remet à gratter.
Au même moment, le géologue qui se promène sur la plage, pense « Encore un ! » et empoche sa trouvaille.
Bien plus pragmatique, OpenStreetMap précise du haut de ses données satellites : 54.48481, 10.11984.

Et toi, qu’est-ce que tu dis quand tu vas à Schwedeneck ?

Dans un premier temps, tu te dis évidemment « Mer Baltique » et puis « à mi-chemin entre Kiel et Eckernförde« . Ensuite, à Dänisch-Nienhof, lorsque tu marches sur le sentier en direction de la plage, tu murmures un petit « Ouaouh ! » de surprise parce que le contraste entre la forêt de hêtres centenaires en haut de la falaise et la mer qui scintille en contrebas, c’est tout simplement beau.



Et une fois que tu t’es imprégné·e des couleurs, que le lieu a dévoilé ses charmes, tu t’exclames : « Comme la Caraïbe ! » Certains, plus réalistes, te contrediront mais toi, tu t’y croirais presque. Le bleu et le vert de la mer, si vital, le blanc de la plage, si lumineux, et en comparaison, l’ombre de la falaise et ses arbres qui se sont jetés sur la grève, qui essaient de survivre, les branches tordues vers le ciel, ou qui dessèchent déjà au soleil, c’est aussi dramatique (surtout pour les arbres) que splendide ! To be oder not to be… C’est scandinave, c’est exotique, c’est Schwedeneck ! Il ne manque plus que les cocotiers, les bateaux colorés et peut-être aussi – quand même – la chaleur, surtout en hiver.

Regarde et rêve !… Il y a la mer, le vent, la nature et toi. Un point, c’est tout.


La plage en direction de Eckernförde. Surprise quand même : On est un peu au bout du monde, cependant, la plage est munie d’un horodateur. Eh oui, à la belle saison, il faut apparemment payer pour en profiter.

En longeant la mer en direction de Kiel, tu t’aperçois que les vagues structurent la plage au quotidien. Elles viennent lécher la grève, déposant les grains de sable les plus fins à tes pieds. Comme un chemin, comme un sentier. Quelques gouttes d’eau sont abandonnées au passage qui se regroupent en flaques ou en mini-deltas. Un Nil miniature…



Les tout petits cailloux du bord quant à eux, font d’éternelles galipettes dans un bouillon d’oxygène. Tourneboulez, petits Sisyphes ! Quelques plantes arrachées par les tourbillons ont été déposées sur le bord. Pareil pour les coquillages qui blanchissent entre deux cailloux.



Plus haut, les vents mettent à nu des pierres grosses comme le poing, des silex et des galets qui se superposent et s’entreposent pour le bonheur des minéralogues qui y trouvent des fossiles et des pierres venues de Scandinavie il y a longtemps, bien longtemps.



Et en haut de la plage, lorsque s’arrête le chemin empierré par la nature, il y a une falaise. De 20 à 30 mètres de conglomérat. Beaucoup de sable et d’argile qui disparaissent souvent derrière les arbres et qui se cachent la plupart du temps dans leur propre ombre jusqu’au moment où le soleil va se coucher en direction de Eckernförde. Parfois, certaines parties ramollies par les eaux de pluie et par les vents du nord-est décident de ne plus faire bloc. C’est alors qu’elles s’avachissent, qu’elles tombent en formant un amas boueux, qu’elles recouvrent le sol, emportant les arbres qui ne demandaient pas à glisser mais qui sont obligés de faire avec.



Victimes du mouvement, certains s’agrippent au bord du précipice, d’autres survivent à leur chute, un peu bancales, ou vont embrasser les vagues. Pour quelques-uns, c’est la fin. Ils finissent, les racines desséchées par le vent.



Plus loin, vers la falaise de Stohl, les grandes tempêtes de février ont fait tomber une partie du flanc. Si tu étais sur la plage jusqu’à présent, il est temps de monter à l’étage car de là-haut, tu t’étonneras du changement de perspective. Non seulement tu auras en général plus de soleil mais une vue magnifique en prime.

Comme tu as déjà remarqué les glissements de terrain et les promontoires vacillants en bord de falaise, tu es sur tes gardes, surtout si tu vois que le chemin emprunté normalement par les randonneurs a tout simplement disparu, croqué comme une pomme. Au mieux, fais un petit détour, quitte à écraser quelques pousses dans les champs.



Evidemment, ces avalanches peuvent être très intéressantes car elles créent des fenêtres géologiques et la falaise parle à qui sait l’écouter. Cependant, parfois, elles détruisent aussi des habitats précieux comme les cavités creusées par les hirondelles de rivage (en allemand, on les appelle des Uferschwalben). Lorsque ces petites bestioles reviendront en mai, elles risquent de devoir refaire une partie de leurs tunnels…



En marchant encore plus loin, te voilà à Stohl, à l’endroit où la falaise est la plus haute et où les parapentistes se retrouvent du premier octobre au 14 avril lorsque le vent leur est favorable (voir mon article). Mais si tu veux faire demi-tour, reste en haut cette fois-ci et privilégie la forêt de hêtres. Le sentier côtier qui va de Kiel à Eckernförde te mène jusqu’à ton point de départ.
Un petit conseil — Avant de repartir, installe-toi au restaurant de la plage. Le « Strandhaus » est situé juste en bas de la falaise, au départ de cette promenade, et profite de son cadre naturel très romantique. En plus, on y mange bien. L’hiver, tu es à l’abri du vent et même parfois au coin du feu. L’été, pourquoi ne pas t’installer sur la terrasse ? Par contre, si tu veux y manger en pleine saison, il vaut mieux réserver. De ta table, tu verras la mer, la plage et peut-être même le coucher de soleil… Ah, voir Schwedeneck et mourir !



Le passé caché de Schwedeneck

Malgré son aspect intemporel très nature, Schwedeneck a une longue histoire humaine.

La Forêt de Fer et ses enfants-loups

Pendant longtemps, la région, une péninsule située entre deux fjords, resta un demi-mystère et surtout très sauvage. Certains pensent même que l’écrivain islandais Snorri Sturluson y fait allusion dans l’Edda, anthologie des grands mythes nordiques. D’après les interprétations, c’est peut-être dans les forêts près de Schwedeneck (il l’appelle le Iarnvithi, donc « la forêt de fer ») que vécut la Géante Iarnvidia avec ses enfants-loups Hati et Sköll.*

*Les deux loups issus d’une union entre Fenfir et Iarnvidia jouent un rôle important pendant le Ragnarök, destin final des Dieux nordiques. C’est durant cette phase apocalyptique qu’ils rattrapent la lune et le soleil et les avalent.

Le Limes Saxoniae

En tout cas, ce qui est plus sûr, c’est qu’après une désertification presque complète vers 500 après Jésus-Christ, une forêt très dense y poussa, séparant trois peuples ennemis. Les Vikings s’étaient installés au nord, dans la région de l’actuel Schleswig, les Saxons vivaient à l’ouest, à proximité de l’Elbe, tandis que les Slaves avaient choisi les contrées vides du sud-est. Une analyse des toponymes de la région montre que ces trois peuples utilisèrent la région de Schwedeneck comme frontière naturelle pendant longtemps. Le « limes saxoniae », zone frontalière tracée en 809 par Charlemagne, aboutissait certainement là.

La colonisation danoise

Ce n’est que plus tard, lorsque cette région se trouva sous domination danoise, qu’elle fut habitée. Au début du XIVe siècle, on l’appelait d’ailleurs « danica silva » ou Dänischer Wohld en allemand, donc « Forêt danoise » (et cette forêt porte encore ce nom aujourd’hui). Comme partout en Europe, les besoins en bois et en surfaces agricoles augmentèrent si bien que les zones boisées diminuèrent ou même disparurent. Si l’ancienne forêt de fer, l’Eisenwald, se morcela petit à petit, certaines zones furent néanmoins épargnées. C’est ainsi qu’on trouve une dune boisée à l’est de Schwedeneck, sur la falaise de Noer. De même, des analyses de pollen montrent qu’il n’y a jamais eu de plantations agricoles au cœur de Stodthagen, forêt située au sud de Schwedeneck. Il s’agit donc d’une très vieille forêt.

Quoi qu’il en soit, même si le petit bout de forêt dans lequel vous entrez au début de la promenade n’est pas ancestral, certains de ses arbres sont quand même au moins centenaires.

Schwedeneck et l’épave de Hedvig Sofia

Il y a 300 ans, lorsque le Danemark et la Suède se firent la guerre, des batailles navales féroces eurent lieu sur la Baltique. L’une d’entre elles se trouve figée dans le nom de Schwedeneck ou « le coin des Suédois ».

Petite explication : Depuis 1700 déjà, une guerre opposait les Suédois, maîtres de la Baltique, au Royaume du Danemark. Le 24 avril 1715, une partie de la flotte suédoise dont le célèbre navire « Prinsessan Hedvig Sofia » (avec ses 47 mètres de long et ses 76 canons, il était énorme) se trouvait au large de l’île de Fehmarn afin de défendre le passage vers Stralsund. En route, l’amiral Wachtmeister avait fait piller des villages ainsi que des bateaux de commerce danois. C’est alors qu’une flotte danoise, plus importante en nombre et en canons, riposta. Boum, boum et re-boum… Les six bateaux suédois, endommagés, fuirent en direction du fjord de Kiel. Après un chassé-croisé, le lendemain, Wachtmeister se retrouva entre Bülk et Stohl mais fait comme un rat, amoindri par ses pertes et conscient que sa flotte était perdue.

Que se passa-t’il sur le voilier exactement ? Ceci resta un mystère jusqu’en 2008 où l’épave de la « Prinsessan Hedvig Sofia » fut découverte à un mille marin de Stohl. Et pourtant, il n’en reste plus grand chose : selon les archéologues à peine 5 à 6 %. Bien que l’eau de la Baltique soit réputée pour bien conserver ses trésors, le navire suédois repose à huit mètres de profondeur ce qui n’est pas profond. Son bois a été sérieusement attaqué par les vers. Et surtout : Les Danois ayant emporté tout ce qui pouvait leur servir après la bataille, avaient déjà désossé la pauvre Hedvig Sofia. A première vue, il s’agit plutôt d’un énorme tas de pierres. Son ballast !

Alors, que se passa-t’il vraiment ? Apparemment, pour commencer, Wachtmeister fit délester ses navires. C’est la raison pour laquelle on trouva autant de boulets de canons, de balles et même de canons sur sa route. Finalement, il saborda son navire, ne voulant surtout pas que celui-ci tombe dans les mains de ses ennemis. Le sabre retrouvé près des restes de l’épave serait peut-être même le sien puisqu’il est dit que, furieux, il lança son épée dans la mer avant de se rendre.

En tout, 353 Suédois avaient péri durant le combat. Ils furent enterrés tout près de la côte, en haut de la falaise, à Schwedeneck, dans le « Coin des Suédois ».


L’épave de la Princesse Hedvig Sofia se trouve quelque part dans cette direction.

Deux sites archéologiques hors du commun

Un village du Mésolithique

A un kilomètre des côtes, on trouve un site archéologique bien plus ancien. En effet, en 2011, des plongeurs tombèrent par hasard sur un amas de vieux arbres à six mètres de profondeur. Il s’avéra que ces chênes étaient issus d’une forêt ayant poussé là entre 5390 et 4750 avant Jésus-Christ ce qui signifie que la côte a sacrément reculé entre temps. A l’endroit qui se trouve sous l’eau aujourd’hui, il faut s’imaginer à l’époque un littoral bordé de lagunes et de baies peu profondes. Dans le cadre de fouilles sous-marines, on y découvrit non seulement différents nucléus et les fragments d’une pirogue du Mésolithique mais aussi les plus anciens ossements d’humains jamais trouvés dans le Schleswig-Holstein. Le groupe qui y vécut il y a 7000 ans, semi-sédentaire, vivait de cueillette, de pêche et de chasse. Les habitations issues de la Culture d’Ertebølle furent vraisemblablement abandonnées en 4700 avant Jésus-Christ lorsque la mer inonda les lieux.

Une église sur la falaise

Au même moment, la falaise de Surendorf (Jellenbek) fut également le lieu de recherches archéologiques. Il s’agissait d’explorer les fondements d’une des premières églises de la région : l’église Sainte-Catherine. Les fouilles se firent en plusieurs étapes et permirent de localiser une église en pierre du XIe siècle, laquelle avait été bâtie sur une ancienne église en bois. Mis à part des pièces de monnaie, des fermoirs de livres et des boucles, on tomba sur un cimetière. Les 98 tombes donnent des informations complémentaires sur les habitudes funéraires de l’époque. Un rituel assez étrange de nos jours : On trouva des pierres entre les mâchoires de certains morts, signe qu’on craignait qu’ils ne « reviennent ».

Il est facile de supposer pourquoi une nouvelle église fut construite plus loin dans les terres quand on sait que la falaise recule de 50 centimètres par an…

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Liens et sources

Je n’ai pas trouvé de sources en français sur cet endroit. Au plus, vous pourriez peut-être regarder le reportage sur la Prinsessan Hedvig Sofia en langue française puisqu’il a été diffusé sur Arte.

La promenade que je conseille commence à Dänisch-Nienhof (dans la Strandstraße) mais vous pouvez tout aussi bien partir d’autre part car le sentier fait partie des grands chemins de randonnée. Le Strandhaus, restaurant que j’ai indiqué se trouve sur la plage, tout au bout de la rue appelée Strandstraße. Pour y accéder, il faut descendre un escalier assez raide.