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Un p’tit train s’en va dans la campagne

A mi-chemin entre Kiel et Hambourg, juste à côté de l’autoroute A7, vous passez tout près d’une ville du nom de Bad Bramstedt. C’est là que je vous emmène faire un petit tour de train, à la recherche de « la rosée du soleil ». Un petit train appelé Oskar Alexander Kurbahn qui a une histoire pour le moins originale.




Regardez le nom de la ville de plus près ! Vous verrez le substantif « Bad » qu’on trouve régulièrement en Allemagne et en Autriche. Il s’agit d’un titre officiel qui fait référence à l’existence d’une station thermale. On pourrait donc le traduire par « Bramstedt-les-Bains ». En effet, la ville de Bad Bramstedt se nomme ville thermale depuis 1910, date à laquelle le tourisme de cure était en plein essor en Europe. Les gens aisés allaient se refaire une santé à la montagne, à la campagne ou à la mer en profitant des bienfaits des sources salines, de l’air vivifiant et, comme le nom l’indique, de bains qui tenaient une place prépondérante.

A Bad Bramstedt, on y venait entre autres pour les bains de boue. D’ailleurs, il y a encore un an, on pouvait encore en profiter. Malheureusement, ce bain de tourbe vient d’être fermé (fin 2018), faute d’argent. Il aurait fallu rénover les locaux ce que la clinique, apparemment, ne pouvait pas se permettre.



Mais revenons aux années 1930. Sinon, pas possible de comprendre l’histoire du petit train. A l’époque, chaque patient avait sa baignoire ovale en bois qu’il louait pour le temps de sa cure. Elle était montée sur roulettes ce qui permettait de la préparer dans la « Moorküche » (une cuisine à tourbe) avant de l’emmener dans les salles. Comment s’imaginer la chose ? Pour commencer, il fallait avoir de la tourbe ce qui était très pratique car à Bad Bramstedt, il y avait une belle tourbière appelée « Hamanns Sumpf » sur le site de la clinique.



Et c’est là que le petit train dont il est question a son importance. En effet, c’est dans des wagonnets à benne basculante qu’on transportait la tourbe fraîche vers la clinique et que cette même tourbe, une fois utilisée, repartait dans la nature.



Evidemment, il fallait préparer le bain entre temps. Au préalable, la tourbe était broyée, diluée et malaxée dans des bassins, mise sous pression et finalement chauffée à 42 degrés avant d’être mise dans les baignoires.

Dans les années 70, comme l’acidité de la tourbe a un effet antiseptique et que le nombre croissant de patients ne permettait plus de bains individuels, ceux-ci furent remplacés par des bains communs. En 1977, on construisit un pipeline pour acheminer la tourbe. Il paraissait aussi plus rentable que des camions se chargent du transport. Le train et ses wagons qui avaient perdu leur raison de vivre furent rangés dans la gare, une partie des rails fut démontée. Petit train aux oubliettes !



En 1998, Andreas Knopf décida d’acheter ce qui restait du petit train et de créer une association.

Grâce à des bénévoles, de nos jours, on peut prendre ce joli petit train retapé avec amour le week-end. Après un petit tour dans les marais, tout le monde descend, fait une caresse au chien accompagnateur après avoir admiré la locomotive et on s’en va en direction des anciens bassins où a été stockée la tourbe utilisée par la clinique.



C’est alors que Christian Stockmar, en costume, propose une visite guidée très intéressante expliquant l’historique de la Kurbahn, les particularités de la tourbe ainsi que les bienfaits de son utilisation à des fins médicinales. Il nous montre également les fameuses « rosées du soleil » ou droseras, petites plantes carnivores qui poussent dans les zones de tourbe. Et ici, il faut faire attention où l’on met ses pieds car qu’est-ce qu’il y en a ! Et pourtant, elles sont rares et protégées.



Comme l’association vit de ses recettes, n’hésitez pas à leur donner une obole et à vous offrir une part de gâteau fait maison à l’arrivée. Ils pourront peut-être un jour s’acheter la locomotive à vapeur qu’ils reluquent depuis un petit moment.



Qui va prendre le train, passe par une rue qui est dédiée à un certain Oskar Alexander. Le train lui-même porte ce nom. Je tiens absolument à parler de cet entrepreneur visionnaire qui décida de revendre son entreprise qu’il entretenait à Hambourg pour investir dans une clinique rhumatologique à Bad Bramstedt.

Il faut lui rendre hommage parce que son esprit d’entreprise et son dynamisme lui permirent de motiver divers hommes politiques locaux, des actionnaires, des patients et les assurances sociales. C’est grâce à ses efforts que fut bâtie une grande maison de cure au début des années 30. La clinique actuelle n’aurait pas non plus profité de certaines méthodes qu’il inventa telle que la « Trockenmoorsole », pâte à base de tourbe destinée à l’importation. On lui doit aussi la construction innovante d’un « Schwingweg », sentier fait de tourbe et de branchages qui avait la particularité d’avoir un effet élastique ce qui était bénéfique aux articulations (Pendant la visite, vous en ferez l’expérience. Le sol paraît mou et quelque peu flottant).

J’aimerais également qu’on le garde en mémoire pour une autre raison. Cet homme ingénieux et courageux mourut, ôté de ses droits, sans reconnaissance, oublié, assassiné par les nazis dans le camp de concentration de Sachsenhausen en 1942. Pourquoi ? Il était d’origine juive.

Un homme qui mérite qu’on ne l’oublie pas.