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Top of the North : La presqu’île de Holnis

Comme les temps changent.

Aujourd’hui, la presqu’île de Holnis fait partie des plus beaux paysages du Schleswig-Holstein et dans les guides touristiques, vous la trouverez toujours dans le « top ten » des randonnées à faire. Souvent, elle est même la première sur la liste avec Sylt ce qui est assez logique car sur la côte allemande, il n’y a pas plus « Nord » — l’île de Sylt est à l’ouest, au bord de la Mer du Nord, et Holnis à la même hauteur mais à l’est sur la mer Baltique. 



Cette fois-ci, nous sommes donc du côté de Flensburg et à la pointe de Holnis, nous avons presque atteint la Scandinavie. Quelques brasses et hop ! les voilà, les plages du Danemark. D’ailleurs, historiquement parlant, Holnis n’appartient pas depuis très longtemps à l’Allemagne. Depuis un peu plus de 150 ans seulement.



Si je dis que les temps changent, c’est parce que ce charme n’a pas toujours fait l’unanimité. En effet, au XIXe siècle, certains n’étaient probablement pas vraiment sensibles à la beauté de son paysage. Ils avaient même un peu le vague à l’âme en pensant à Holnis car c’est juste là, en plein milieu du fjord de Flensburg — à l’endroit où la mer se resserre avant une dernière ligne droite dans le fjord intérieur — que les navires venant de l’étranger devaient faire un stop obligatoire pendant plus de deux semaines.


La quarantaine à Holnis, c’était un peu comme ce ponton qui s’arrête quelques mètres avant la plage avec une chaîne : passage interdit.

Quatorze jours de quarantaine, c’est long, surtout quand on est sur un bateau, qu’on sait qu’il n’y a plus que quelques kilomètres à parcourir et qu’on a les côtes devant son nez.

Depuis que la COVID-19 s’est installée en Europe, on s’imagine mieux ce que représentent des semaines de confinement. Pour les matelots de l’époque, pas le droit de poser un pied par terre alors qu’ils en mouraient d’envie après des mois passés en mer à dormir dans le carré, entassés les uns sur les autres, et à tanguer sur le pont par tous les temps. Pas le droit non plus de faire un tour dans un troquet pour boire un coup avec les potes ou de rentrer tout simplement chez eux.


Une mer de pissenlits au premier plan et en contrebas, la mer Baltique — bleue, calme, lisse ! De leur bateau, les marins étaient entourés de côtes.


Apparemment, chaque siècle a sa pandémie et sa maladie. Celle du XIXe siècle, c’était le choléra.

Une première vague avait touché l’Europe en 1831. Comme dans le cas du coronavirus, le vibrio cholerae était venu d’Asie et s’était servi des voyageurs et de leurs allers-retours pour faire le tour du globe. Cette vilaine bactérie mit juste un peu plus de temps que notre virus à se déplacer, c’est tout — six ans à peu près avant qu’elle ne débarque sur les côtes de la mer Baltique. Par la suite, des millions d’Européens moururent, foudroyés par la maladie et victimes des conditions insalubres qui régnaient dans les villes et dont profitait le choléra-morbus pour proliférer.

A la fin des années 1840, voyant qu’une nouvelle épidémie gagnait le continent européen, l’Empire danois dont Holnis faisait partie à l’époque renforça ses mesures sanitaires en protégeant ses côtes et ses frontières. En tant que port, Flensburg disposait d’une maison appelée « Cholerahaus » (Kiel et son canal aussi d’ailleurs) et les équipages étaient sommés d’ancrer au large de Holnis. Quarantaine forcée. Un garde stationné sur la plage les ravitaillait régulièrement par bateau et veillait au respect des lois en vigueur jusqu’à ce que les marins puissent continuer leur route et débarquer leur marchandise à Flensburg, du sucre de canne par exemple.

Mais pourquoi, me demanderez-vous, est-ce que je raconte toute cette histoire de choléra en long et en large ?

Eh bien, parce qu’à Holnis, vous en verrez une trace et que, ma foi, vous reconnaîtrez que cette thématique de fermeture des frontières est à nouveau très actuelle. D’ailleurs, lorsqu’on lit comment les Etats européens ont procédé pour endiguer la pandémie au XIXe siècle, on voit certains parallèles avec aujourd’hui.

Mais rassurez-vous ! Sur la presqu’île, il y a bien plus de choses à voir :

  • des vieilles chaumières typiques de la région d’Angeln
  • de jolies petites plages bordées de saules et de marronniers
  • une grande falaise d’argile jaune où tourbillonnent les hirondelles au printemps
  • des highlands tout poilus qui se promènent au bord d’une belle lagune et dans les prés salés
  • une plage — vraiment bizarre ! — de briques
  • … et j’oubliais presque : le phare très Sixties de Holnis

Suivez-moi !


La falaise, un des highlights de Holnis

Le Fährhaus et son ancien passage

Partons du principe que vous voulez longer la côte à la découverte des paysages maritimes de Holnis. Si vous commencez votre promenade au parking qui se trouve en bout de route, vous passerez rapidement devant quelques chaumières superbes qui sommeillent à l’ombre de tilleuls centenaires. Un cadre idyllique avec de vieilles maisons bien typiques du nord de l’Allemagne !

Il s’agit en fait du Fährhaus, un groupe de fermes qui servait autrefois de point de chute à ceux qui voulaient traverser le fjord entre Holnis et Broager. Aujourd’hui, ce passage n’existe plus mais dans le passé, il faisait partie d’une route importante (le Strandweg). Celle-ci longeait la côte de Eckernförde à Copenhague en passant par Holnis justement. Au Moyen-Age, les moines du cloître de Glücksburg l’utilisaient eux aussi pour se rendre de l’autre côté du fjord où ils avaient leurs fermes.

Aujourd’hui, ces jolies chaumières bien rustiques abritent un hôtel et un restaurant.



De là, vous pouvez aller directement jusqu’à la pointe en longeant une petite falaise. Cependant, il y a aussi un chemin qui part sur la droite et qui permet de rejoindre la côte un peu plus tôt. N’hésitez pas à le prendre. Ce sentier — il s’agit en fait d’une bande tondue au bord d’un champ — donne directement sur la mer et vous fait passer par des tunnels d’argousiers et de noisetiers. Oui, la mer est bien là, en contrebas, cachée entre deux bosquets et trois taillis — bleu tendre comme un rêve.

En descendant jusqu’à l’eau, vous tomberez sur une plage étroite faite de pierres et de coquillages. Sa rive est bordée d’arbres inclinés et de buissons touffus qu’il faut parfois contourner pendant la promenade. Au bord de l’eau, des algues flottent à la surface. Quelques grosses pierres qui ont été transportées jusqu’à ici par d’anciens glaciers sortent leur tête de l’eau.



En cours de route, il se pourrait aussi que vous rencontriez quelques nudistes en mal de soleil et un canoé ou un stand up paddle. En tout cas, des canards sortiront des buissons et des arbres couchés sur la grève.



Que vous marchiez le long de cette plage très nature ou en haut, sur le chemin qui mène à la falaise, vous ferez le tour de la presqu’île dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Lorsque la plage commencera à ressembler à une vraie plage avec du sable fin et que peu à peu, il y aura plus de monde — des baigneurs qui ont trouvé un petit coin de paradis entre deux arbres —, vous tomberez automatiquement sur …



La tombe de Peter Thomsen

Eh oui ! sur une tombe qui fait partie des « exclusivités » de Holnis.



C’est à cet endroit qu’a été enterré Peter Thomsen, un timonier natif de Flensburg qui mourut en 1850 après avoir contracté le choléra. Son bateau qui revenait des Indes occidentales avait reçu l’ordre de rester au large de la presqu’île jusqu’à ce que son état s’améliore. L’histoire ne raconte pas si d’autres marins tombèrent malades mais en tout cas, la situation ne s’améliora pas pour le pauvre Thomsen puisqu’il passa l’arme à gauche. Néanmoins, malgré les mesures draconiennes, ses camarades eurent le droit de l’enterrer sur la terre ferme et une pierre tombale rappelle encore aujourd’hui son histoire tragique à deux pas de la plage.


Entre plage et falaise

Cette belle plage de sable fin est la plage allemande la plus septentrionale sur la Baltique. Le vis-à-vis est entièrement danois. Encore un peu de marche et vous atteindrez le cordon littoral, une bande de sable, ainsi qu’un ancien lac. Nous arrivons dans la réserve naturelle de Holnis. Alors, le chemin de randonnée qu’on appelle le Fördesteig vous fera redescendre vers le sud-ouest en direction de Glücksburg et de Flensburg.


Près de la pointe, on ne trouve pratiquement aucune habitation — juste un petit hameau, deux ou trois maisons isolées et un peu avant la tombe, cette belle villa en bord de mer.

A quelques mètres de l’eau, les marronniers et les aubépines en fleurs portent leur ombre sur la plage mais fin mai, ce n’est pas de refus lorsqu’il fait beau. Par contre, l’eau de la Baltique est encore fraîche malgré sa faible profondeur. Plus tard, les températures seront plus clémentes ; cela vous paraîtra peut-être étrange mais l’été, la Baltique se réchauffe jusqu’à 20 degrés.

Si vous décidez de vous arrêter un peu et de faire un petit pique-nique, vous pourrez voir passer les voiliers qui sont de sortie dans le fjord, surtout le week-end.



Au fait, ces arbres et arbustes ont une autre fonction. Ils retiennent le sable des talus avec leurs racines. Evidemment, ça ne suffit pas toujours pour le maintenir en place. De temps à autre, des avalanches se produisent, dues aux intempéries, et dans certains cas, les enfants et les chiens aident bien aussi.



La réserve sauvage

Il est temps de contourner une zone lacustre et ses prés salés, lesquels abritent environ 130 espèces d’oiseaux. C’est ici qu’il faudra sortir vos jumelles si vous les avez dans votre sac à dos. Vous pourrez observer des chevaliers gambettes, des huîtriers pies et des grands gravelots entre les herbes et dans le sable. L’été, il n’est pas rare non plus de voir des sarcelles d’hiver et des vanneaux huppés tandis qu’à partir du mois d’août, différentes espèces d’oiseaux migrateurs font halte au bord des lagunes. Des milliers d’oies par exemple.

Avant de quitter cette zone, vous passerez devant un poste d’observation qui se trouve entre les arbres. A vous de voir si vous voulez faire une petite pause ici.



Peu à peu, le chemin de randonnée s’éloigne de la côte mais comme il la surplombe, le paysage est à la fois maritime et champêtre.



Sus aux rosiers !

Un peu plus loin, vous voilà en haut de la falaise que vous ne voyez pas encore mais dont vous profitez. Dans quelques mètres, vous redescendrez vers le « Kleines Noor » mais restez quelque temps là-haut et appréciez la vue — une des plus impressionnantes de la presqu’île.


Le « Petit Noor »
La falaise et son sommet

Vous êtes devant la dernière partie du fjord de Flensburg, le « fjord intérieur », et même si vous ne la distinguez pas vraiment, cette ville aux accents déjà scandinaves est là, tout au bout. Le soleil vous éblouit et les côtes boisées la cachent un peu, c’est tout.


Vous avez remarqué la flèche ?

A cet endroit, vous vous poserez une question et j’imagine deux scénarios possibles :

1) Pour commencer, vous n’arriverez pas trop à apprécier les alentours car vous serez étonnés par ce qui se trouve devant votre nez.

2) Vous intégrerez cet élément perturbateur à votre panorama et en le réduisant à une couleur unie et claire, vous vous direz : « Tiens donc, ce coin a un petit air de Méditerranée ! »

Sans conteste, la vue est belle mais que font tous ces tapis sur le sol ? Et ses grosses pierres entre deux arbustes maigrichons ?



Voici la réponse :

En 1872, les vagues énormes d’une crue milléniale déferlèrent sur une grande partie du littoral sud de la Baltique, dévastant les baies, les villes et les villages de la côte sur des centaines de kilomètres. Par peur d’une nouvelle inondation, on se mit à construire des digues comme on les bâtissait depuis longtemps sur la Mer du Nord et c’est ici qu’entre en jeu une plante qui fait de superbes fleurs roses l’été et qui a une petite odeur sympa en plus : la rosa rugosa.

A l’époque, donc en 1900, ce néophyte semblait être une solution parfaite. Personne ne voyait d’inconvénient à la planter le long de la côte et sur les digues. Comme elle pousse bien, vite et qu’elle fait de fortes racines, on se dit que des haies serviraient de remparts et qu’elles consolideraient les digues.

Malheureusement, c’était sans compter sur le caractère expansionniste du rosier rugueux qui aime se développer au détriment de la végétation locale. Certaines parties de la côte sont même devenues inaccessibles. Après un siècle de bons et loyaux services, nous assistons donc au mouvement contraire. Le nouveau slogan s’appelle : Oui à la diversité ! Non aux grosses fleurs roses !

Cette plante, les écolos aimeraient bien s’en débarrasser sur la côte. Aussi, ils la combattent au lance-pierre même si aujourd’hui, elle fait partie de la mer Baltique comme les mouettes et les silex dans le sable.

En haut de la falaise de Holnis, ce que vous avez devant vous, ce n’est pas un mauvais Christo mais des bâches spéciales qui recouvrent le sol. Toutes ces étendues blanches sont là pour étouffer une plante envahissante. Donc, dans deux ans, si tout se passe bien, elles seront devenues invisibles, les bâches aussi.

Une falaise pour des briques

Maintenant, vous pouvez descendre.

En quelques minutes, vous aurez rejoint la rive et vous vous trouverez devant la falaise qui s’élève au-dessus de la mer. Elle sert d’habitat à des milliers d’hirondelles de rivage à partir du mois de mai. C’est pourquoi un panneau vous préviendra que vous n’avez pas le droit d’aller plus loin. Même si vous en avez envie, laissez tomber. Et même si vous voyez un couple qui se prélasse en plein milieu et que ça vous démange — non !

Laissez plutôt ces jolies petites bestioles tranquilles pour qu’elles fassent leurs nids et qu’elles nous réjouissent au passage de leur gymnastique aérienne.



Concentrez-vous plutôt sur le sol. Très bizarre, cette plage !

Sur la plage du Nord, le « Nordstrand », vous avez peut-être déjà vu quelques briques à moitié enfoncées dans le sable mais ici, c’est le contraire. A la rigueur, on pourrait dire que quelques grains de sable se sont perdus dans une mer de briques.



Est-ce qu’il y aurait eu une maison ici auparavant ? Une — très grande — maison qui aurait explosé un jour et dont on aurait laissé les vestiges par terre ? Non. En fait, ces briques de toutes les couleurs (certaines sont même émaillées et vernissées) et de toutes les formes sont ce qui reste d’une ancienne briqueterie. Je ne parle pas des bâtiments dont les fondations se trouvent un peu plus loin mais de ses produits.

Il faut savoir que la région de Flensburg dont le sol est riche en argile a été un grand cluster international de production de briques pendant plusieurs siècles. Rien qu’à Holnis, il y en avait trois. Celle qui se trouvait juste au bord de la falaise resta en activité jusqu’en 1960. En tout, imaginez-vous une soixantaine de fabriques réparties autour du fjord de Flensburg avec leurs cheminées, leurs hangars et leurs pontons. Aujourd’hui, elles ont toutes disparu, du moins en Allemagne, mais de l’autre côté du fjord, vous distinguerez une grande cheminée, celle de Cathrinesminde (au Danemark) qui sert de musée de la brique et autour du Nybøl Nor, sept briqueteries danoises persistent et signent.

Une bonne partie des matières premières était donc sur place. L’argile déposée ici par les glaciers il y a 15.000 ans permettait de fabriquer des briques rouges ou jaunes selon les sédiments qu’on utilisait. Pour les premières (les rouges), on prenait l’argile des couches supérieures délavées par les pluies, donc pauvres en calcaire mais riches en fer. Pour les secondes (les jaunes), on puisait dans les gisements plus profonds qui contenaient peu de fer mais beaucoup de calcaire d’où la couleur jaunâtre qui apparaissait à la cuisson. Le reste — le charbon, le bois et la tourbe — venait par bateau. Et lorsque les briques étaient cuites, elles repartaient par la même voie vers l’Europe du Nord et même jusqu’en Caraïbe (malins, les commerçants les utilisaient comme ballast). Jusqu’à ce que les gisements soient épuisés, que de nouveaux clusters se créent autre part et que d’autres matériaux de construction fassent de la concurrence à la brique.

Ce que vous voyez par terre, sont des restes. Vu comme ça, cette partie de la côte devient plus esthétique, même avec tous ces débris.



Des Highlands dans le Lowland

Poursuivons notre route vers le Kleines Noor, la « petite lagune ».

Si Holnis est rattaché au continent aujourd’hui, à la base, il s’agissait d’une île. La surface que vous avez devant vous est le produit des courants marins, du vent et de l’homme qui décida d’assécher ces zones lacustres pour les exploiter.

De nos jours, on essaie de faire marche arrière à beaucoup d’égards. En recréant des pâturages et des surfaces humides par exemple. C’est le cas ici. Dans les prés salés, vous verrez non seulement des oiseaux mais aussi des highlands, une race bovine aux cornes impressionnantes et aux mouvements paisibles.



Cette zone reste fragile malgré tout car elle risque d’être inondée à tout moment dès qu’une grosse tempête s’annonce.

Au Petit Noor, vous trouverez une ouverture vers la mer qui permet un échange d’eau. Cependant, une digue qui va vers Schausende a été construite pour protéger les habitations qui se trouvent presque au niveau zéro.

Beau, non ?



Vive les Sixties ! Le phare de Holnis

Notre dernière étape se trouve à Schausende, dans un tout petit village au départ de la presqu’île et tout près d’un phare construit au début des années 1960.



C’est à quelques centaines de mètres de cette belle tour ronde que se termine ma promenade.

J’avoue que nous y sommes allés en voiture après avoir rejoint le parking. Si ça vous tente, faites comme nous. Prenez des fraises, des tartelettes, de la crème et un petit rafraichissement avec vous (vive les glacières !), descendez jusqu’à l’eau et dégustez tout ça tranquillement en regardant le soleil descendre doucement derrière le fjord.

Le long de la côte, vous trouverez des bancs, une table et un ponton en bois qui n’attendent que votre visite. Qui sait ? Devant ce paysage, vous aurez peut-être une petite envie de vous baigner même si la Baltique n’est pas vraiment très chaude.

Pour moi, Holnis fait partie des « Tops of the North ». A faire et à refaire !