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Là où la digue s’arrête

Quand on va à la mer du Nord, on s’attend toujours au même scénario. Sur des kilomètres, on roule dans un paysage d’une platitude extrême avant d’arriver devant une grande digue bien verte. Aucun moyen de la voir directement, cette mer, à part sur le Tomtom. Comme un animal sauvage, elle reste cachée. Toute la côte a été aménagée ainsi.

Toute la côte ? demanderez-vous. En fait, pas complètement car au Schleswig-Holstein, sur les 297 kilomètres de côte (j’ai décidé de ne pas compter les 200 kilomètres qui entourent les îles de la Frise), il y en a quand même 17 sans digue. A Sankt Peter-Ording, de belles dunes de sable servent de remparts naturels sur douze kilomètres. Sinon, il y a Schobüll qui est situé au nord de Husum, juste avant la péninsule de Nordstrand. C’est à endroit que le « Geest » s’arrête juste au bord de la côte si bien que le sol est assez élevé pour ne pas avoir besoin de digue. Enfin, n’exagérons pas. Cela reste quand même très plat même si effectivement, on remarque que la forêt de Schobüll qui commence juste derrière les maisons est un peu surélevée.

Digue Dondaine

Aller à la mer du Nord, c’est toujours tout un rituel donc prêtons-nous au jeu. Commençons par aller dire bonjour aux moutons qui vivent sur la digue car même à Schobüll, il y en a une, une grande digue. Même si elle s’arrête en cours de route.

Nos amis ovins sont tellement habitués à voir passer du monde qu’on pourrait penser qu’ils apprécient notre visite mais en fait, en général, ils font comme si de rien n’était. Ils continuent à croquer leurs herbes, dans une pose bien moutonneuse, et il faut vraiment qu’on s’en approche de trop près pour qu’ils lèvent la tête et qu’ils jaugent. En réalité, mine de rien, ça fait longtemps qu’ils nous ont remarqués. Avec leurs yeux tout ronds, ils ont un champ visuel qui va jusqu’à 320°. C’est juste qu’il n’y avait pas le feu, c’est tout.



On sait rapidement à qui on a affaire. Le mouton normal s’en va, parfois même assez précipitamment quand il pense qu’on est louche alors que le chef, lui, n’a pas froid dans le dos (pas étonnant avec sa tignasse). Il regarde bien droit et à la rigueur, il montre clairement que c’est lui le chef. Il bêle très fort et tape du pied.



Néanmoins, quand on est un ami des bêtes et tout doux, on arrive parfois à faire une belle rencontre et même à taper une discute. Regardez comme ces moutons ont l’air intéressé et curieux sur la photo.

Le Marschland

Ce qui nous attend de l’autre côté, c’est le paysage typique du Marsch ou Marschland. Ceci mérite une explication.



Imaginez que vous posez des glaçons dans une assiette. Assez rapidement, la glace va fondre et l’eau va se répandre en épousant les bords du récipient. Si vous avez saupoudré l’assiette de farine au préalable, celle-ci va se mettre à flotter à la surface jusqu’à temps qu’elle s’imbibe d’eau et qu’elle ne coule. Faites bouger l’assiette et l’eau et la farine feront la même chose aussi.

C’est un peu ce qu’il s’est passé il y a à peu près 11 000 ans dans le Nord de l’Allemagne. Lorsque les glaciers scandinaves se sont mis à fondre, la mer du Nord s’est déplacée en direction du sud vers la côte actuelle, charriant une énorme quantité de sable et de sédiments au passage.

Tout ce limon se déposa sur le sol et depuis, à chaque fois que la mer du Nord fait ses va-et-vient, elle soulève un bon nombre de particules pour les redéposer autre part ce qui rend cette côte vaseuse mais aussi en mouvement perpétuel. Des vasières, des bancs de sable et même des îles se créent sans arrêt tandis que d’autres disparaissent.


« Marcher dans le sable », dirait Gérald de Palmas. Ici, on marche plutôt dans la vase.

Depuis longtemps, les hommes ont remarqué qu’ils pouvaient profiter de ce système « de vases communicants » car d’un côté, les sols créés par les marées sont riches en limon et en sel ce qui les rend très fertiles. De l’autre, comme la côte gagne quelques centimètres par an, cela permet d’agrandir son territoire. Aussi, comme l’homme n’est pas d’une nature très patiente, peu à peu, il a élaboré tout un stratagème afin d’accélérer le mouvement.

Le fascinage

En premier lieu, pour provoquer une sédimentation ciblée et plus rapide, il a inventé les fascines (on utilise le terme de « Lahnung » en allemand). Le fascinage consiste à planter deux rangées de piquets en bois et de remplir l’interstice de fagots et de branchages bien ficelés. En général, on trouve ces fascines sous forme de parcs rectangulaires (des « Lahnungsfelder ») ou de remparts selon leur fonction.



Elles sont là pour retenir le limon et accélérer la sédimentation. L’objectif est de transformer ces zones vaseuses en prés salés ce qui prend en moyenne de 10 à 20 ans. C’est pour cette raison qu’en arrivant sur la digue, vous verrez tout un tas de lignes sombres qui se faufilent bien droit entre les herbes au loin.



Evidemment, avec le temps, les fascines se dégradent et doivent être restaurées à moins qu’elles aient fait leur travail et qu’on passe à l’étape suivante.



Le drainage

C’est alors qu’on commence à drainer le terrain. Pour ce faire, des canaux sont creusés tous les dix mètres perpendiculairement à la côte. Ces « Grüppen » comme on les appelle ici permettent de drainer le sol tout en retenant les sédiments. Ces derniers se déposent sur les parties élevées pendant la marée haute et l’eau est évacuée automatiquement vers les fossés à marée basse. Comme les fossés s’embourbent avec le temps, il faut les recreuser régulièrement.

Pendant les travaux, le surplus est posé sur les carrés de terre ce qui contribue aussi à leur réhaussement.



On part du principe qu’en un an, ces parties prennent dix centimètres. Donc, vous voyez qu’il s’agit d’un travail de longue haleine pour créer de nouveaux marais salés regorgant de licornes et de petites herbes marines. Un régal pour nos amis les moutons d’ailleurs !

L’endigage

Deux fois par jour, la mer fait des kilomètres pour recouvrir l’estran plat et plutôt vaseux de la mer des Wadden. Qu’elle vienne ou qu’elle se retire, elle nourrit plein de petites bestioles et cède aux hommes quelques espaces côtiers … à moins qu’elle se déchaîne, la sauvage ! Et ça, elle le fait de temps en temps.



A la Mer du Nord, de mémoire d’homme, la tempête la plus dévastatrice est la « Große Manndränke » qui sévit le 16 janvier 1362. En une nuit, elle détruisit plusieurs villes de la côte à tout jamais et tua plus de 10.000 personnes sans compter le bétail qui fut emporté par les flots. Si vous regardez ce poteau de plus près, vous verrez combien de fois la mer a inondé la côte. La dernière grande tempête, meurtrière elle aussi, a eu lieu en 1962 et toucha le bassin de Hambourg. Une catastrophe dont les habitants parlent encore !

Donc, quand on vit au bord de la Mer du Nord, il faut se protéger au quotidien et du coup, depuis bientôt mille ans, on commence à s’y connaître en matière de digues. Aujourd’hui, on sait par exemple que les digues les plus efficaces ne sont pas celles qui font pare-choc ou rempart mais celles qui permettent aux vagues de se dérouler sur de grandes pentes douces. Par conséquent, il leur faut un profil particulier et une des clés du succès consiste à y faire pousser une herbe bien drue et bien compacte pour la solidifier. C’est là qu’interviennent toutes les tondeuses sur pattes qu’on voit brouter partout sur les digues. Ecologique, pratique, « gut » !

Sans digue, il paraît d’ailleurs qu’un quart du Schleswig-Holstein serait submergé par la mer pendant les tempêtes. Evidemment, il ne faut pas oublier que la mer Baltique a ses digues elle aussi depuis qu’une vague déferlante a ravagé les côtes en 1872. Le gouvernement en prend compte aussi dans son financement.

Schobüll et sa côte

Il est possible de faire un circuit qui longe la côte avant de partir à la découverte de la forêt de Schobüll et de son arrière-pays mais dans ce topo, je me concentre sur la partie de la côte.

Voici les coordonnées de la rando pour commencer, vous y trouverez une carte.

Mon petit tour débute sur la digue qu’il faut longer vers la droite (donc vers le Nord). Juste en face de vous, vous voyez la péninsule de Nordstrand. Cette ancienne île est reliée aujourd’hui par une route. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la baie de Schobüll s’envase autant. La longue route endiguée empêche l’eau de circuler librement si bien que Schobüll a perdu son petit port depuis des dizaines d’années.

Après avoir dit bonjour aux moutons et profité de la vue, longez la digue vers Nordstrand. Vous pouvez rester sur la crête ou marcher sur la voie cyclable en contrebas. Faites comme vous le sentez et selon le vent.

Au bout de quelques centaines de mètres, la digue pique du nez et finit par disparaître complètement dans les prés. Alors arrivent les premières maisons de Schobüll dont quelques vieilles chaumières aux jardins romantiques. Leur existence prouve qu’ici, il est possible d’habiter en bord de mer, sans digue et avec une vue directe sur la mer…



… enfin, pour tout dire, cette vue n’est pas si directe que ça puisqu’à Schobüll, une large bande de joncs de presque 3 mètres de haut recouvre une bonne partie du littoral. Cette végétation est assez unique en son genre car il s’agit de plantes d’eau douce alors que la Mer du Nord est salée. Son existence est due aux particularités géologiques de Schobüll. Du Geest sableux ruisselle assez d’eau douce pour que les joncs poussent sans problème en milieu marin.


En arrière-plan, vous apercevez la route qui mène vers Nordstrand ainsi que ses éoliennes.

En passant devant ces roseaux, vous entendrez des petits cris d’oiseaux un peu partout. Aucune idée s’ils jouent à cache-cache entre les tiges mais en tout cas, ils sont bruyants. Au fait, n’ayez pas peur de prendre un chemin qui passe entre une maison d’habitation et l’écurie, c’est le chemin qui va vers la côte.

Longez cette roselière jusqu’à un premier pont qui mène à la mer. Vous êtes juste au niveau d’un camping qui ressemble plutôt à un pré mais ici, c’est souvent le cas. Vous trouverez le gros poteau indiquant les inondations provoquées par les grandes tempêtes juste au début du pont. Au fait, vous verrez aussi un panneau « Plage de Schobüll » mais où est-elle, cette plage ?



En fait, la plage se trouve au bout du pont. Oui, c’est bizarre mais c’est normal ici. A marée basse, il y a de la gadoue et surtout pas d’eau. Par contre, à marée haute, l’eau est au rendez-vous et vous n’avez qu’à descendre les escaliers. Comme à la piscine. Voilà la plage.

En poursuivant votre route, vous tomberez sur un second pont, plus petit et plus solitaire celui-là. Il se faufile dans la roselière avant d’arriver à la mer. A l’entrée, vous rencontrerez deux panneaux plantés sur les côtés. L’un interdit tout bonnement l’accès parce que le pont est en trop mauvais état, l’autre prévient que la commune ne casque pas. Quel est celui qui prévaut ? En l’occurrence, nous y sommes allés quand même et voici quelques photos.



Un petit goût d’aventure, surtout à partir de la deuxième moitié car les planches endommagées ont été démontées si bien qu’il faut jouer au funambule pour arriver jusqu’aux escaliers. Par contre, il n’y a personne. A part les oiseaux et les vers de vase évidemment ! Et vous verrez Husum au loin, sur la gauche.


Vue sur la baie de Husum à marée basse. Devant vous, il y a le grand pont et sur la gauche, devant la forêt, vous apercevez le camping de Schobüll.

A faire dans le coin

Le Multimar Wattforum à Tönning

Saviez-vous que la mer des Wadden était inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2009 ? Qui veut en savoir plus sur cette mer originale, peut pousser jusqu’à Tönning et aller au Multimar Wattforum. Là, vous pourrez passer une partie de la journée à admirer les animaux marins dans les aquariums et voir comment on nourrit une étoile de mer.

Si vous voulez en savoir plus, lisez mon article sur l’aquarium de Multimar Wattforum et celui dédié au port historique de Tönning.

Le port de Husum

Sinon, allez faire un petit tour à Husum. Au préalable, regardez mon topo sur son port historique et sur le musée de la Frise. On y découvre l’histoire de Rungholt, l’île engloutie.

Quand vous aurez longé le vieux port ou après la visite du musée, pourquoi ne pas aller manger dans un des restaurants du centre-ville et si vous aimez le poisson, je vous conseille de choisir un restaurant avec vue sur le port.