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Rien ne se crée, rien ne se perd…

… tout se transforme. C’est ce que déclare Antoine Lavoisier dans son « Traité de Chimie élémentaire » en 1789, rappelant un fait connu depuis l’Antiquité mais qui ne fait pas forcément l’unanimité à son époque. Selon sa célèbre maxime, la matière peut changer d’état sans que la masse totale des produits et des réactifs ne varie pour autant. C’est ce qui m’est venu à l’esprit à plusieurs reprises lorsque j’ai visité les anciennes carrières de craie de Lieth qui font partie des trois géotopes nationaux du Schleswig-Holstein.

1844 après Jésus-Christ

Nous sommes en 1844 et depuis l’invention de la machine à vapeur, l’Europe a décidé d’accélérer la cadence. Les Britanniques construisent leurs premières lignes ferroviaires et le continent suit le mouvement. Le cheval n’est pas encore au chômage mais il ne suffit plus, même si on continue à l’utiliser pour tracter la plupart des véhicules. Ainsi, lorsque la première ligne est édifiée en Bavière, 75% des trajets se font par traction hippomobile. Le train, trop coûteux, ne circule que deux fois par jour. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que les chevaux de traie ne cèdent la place aux machines car la modernité mise désormais sur la vapeur et la motorisation.

C’est pareil au nord de l’Elbe. Ici, le Danemark prévoit de construire sa première voie de chemin de fer entre la mer du Nord et la Baltique. Le train doit relier deux villes importantes : Altona et Kiel. A une vitesse moyenne de 45 km/h (30 km/h la nuit), on compte aller d’un port à l’autre en trois heures.

Nous nous trouvons dans le tout petit village de Lieth, à 35 kilomètres au Nord-Est d’Altona et de Hambourg et dix mètres au-dessus du niveau de la mer. D’après les plans d’un ingénieur britannique, le sol a été creusé afin qu’on pose les rails et c’est alors qu’on fait une découverte intéressante. On tombe non seulement sur un diapir de sel mais aussi sur une couche d’argile rouge ce qui est totalement atypique dans le Nord de l’Allemagne.



Pour Lieth, c’est le début d’une grande carrière. Ludwig Meyn, géologue de son état, en est sûr : l’argile que le dôme de sel a soulevée vers la surface vient du Permien. Il s’agit de ce qu’on appelle le « Rotliegende » dans le jargon des géologues. Du jamais vu dans les contrées du Nord ! Néanmoins, en 1847, c’est l’intérêt monétaire qui prime. Rapidement, on crée une briqueterie qui se met à extraire ces sédiments argileux pour fabriquer des briques. D’ailleurs, de nombreux bâtiments industriels et administratifs de la ville d’Elmshorn ont été construits avec ce matériau régional au XIXe siècle. Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.



Ce n’est qu’en 1965 que la briqueterie ferme ses portes faute de rentabilité. L’argile n’est pas de très bonne qualité, il contient trop de gypse. Entre temps, Meyn qui a également découvert de la craie en 1876, en a profité pour en faire un commerce. Son fils a fait de même. Cette craie est vendue comme amendement agricole, sert à la fabrication de ciment et de routes. De fil en aiguille, à force de l’extraire, la carrière a pris des proportions impressionnantes. Au fond de la fosse, on tombe sur une calotte de gypse, un « Kalkhut » donc un ‘chapeau’, et en 1993, le gisement est finalement bel et bien épuisé mais comme on sait : Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.



Aujourd’hui, la calotte de gypse qui se trouve tout au fond de la carrière est recouverte partiellement de sélénite qu’on appelle « Marienglas » en allemand (littéralement, il s’agit de « Verre de Marie ») car autrefois, on utilisait les blocs les plus gros pour protéger les images de la Vierge. Autour, des bassins d’eau stagnante ont développé un écosystème adapté au sol.


Une partie du « chapeau de gypse ». Est-ce que vous voyez l’éléphant couché au soleil ?

Et en descendant dans cette carrière, on se retrouve quand même jusqu’à 30 mètres en dessous du niveau zéro. Si des pompes ne marchaient pas en permanence, ce grand trou en plein milieu d’un paysage plat se remplirait automatiquement comme ce fut le cas en 1990 lorsque les pompes tombèrent en panne. Voilà pourquoi aujourd’hui, après que ce site soit devenu paysage protégé en 1969, puis aire protégée en 1991 et qu’il ait finalement acquis le statut de géotope national en 2006, peu à peu, nous nous retrouvons devant un paysage étonnant. Dans une région qui manifeste si peu de reliefs, c’est un peu comme se retrouver devant une montagne ou un canyon. Totalement inattendu !

258 millions d’années avant Jésus-Christ

Bien évidemment, on s’était déjà rendu compte de l’intérêt géologique du site avant 2006 mais le nouveau statut de géotope a valorisé cette ancienne carrière et l’a figée dans le temps. Elle est devenue un livre d’histoire en trois dimensions. En effet, quand vous descendez dans la carrière, vous remontez le fil du temps. Regardez les fronts de taille de plus près et vous vous rendrez compte que l’exploitation du gisement a mis à nu plus de 258 millions d’années.



Chaque couche explique ce qui s’est passé ici, à Lieth, depuis le Permien : qu’il y a eu un climat saharien autrefois, une plaine aride, une mer salée peu profonde avec des poissons gros comme des harengs, qu’il y a fait froid et que tout a été recouvert de glace, que des forêts y ont poussé et qu’il y a à peine 14 000 ans, des chasseurs y ont campé. Entre le Harz et la Suède, il n’y a aucun endroit faisant office d’un tel document et qui sait lire entre les lignes et prend le temps d’y réfléchir, remontera plus humble après cette balade sur l’échelle de temps. Humble devant l’âge canonique de notre Terre et la fine couche que représente notre espèce. Et qu’il soit croyant ou pas, il se rendra peut-être compte d’une chose : Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.

Descendre dans la carrière, c’est remonter dans l’histoire !

Le circuit bien aménagé permet de faire le tour du site et de profiter de vues très différentes. Les panneaux le long du sentier et les écriteaux agrafés aux rambardes donnent tout un tas d’indications historiques, géologiques et biologiques.

Bon à savoir — La grosse pierre que vous trouverez en chemin (en faisant le tour par le haut) rappelle un ancien record du monde.

C’est à cet endroit que se trouve un puits de 1338 mètres de profondeur. Partant du principe qu’il pourrait y avoir une couche ligniteuse dont on pourrait tirer profit à cet endroit, l’Etat prusse (de qui dépendait Lieth à cette époque) fit creuser un puits pendant 6 ans. Le forage fut interrompu en 1878 ce qui était en fait une sage décision car les couches du Carbonifère ne commencent qu’à une profondeur de 7 kilomètres. De toute façon, ils n’auraient rien trouvé.

Au juste, pourquoi s’agit-il d’un record ? A l’époque, personne n’avait jamais creusé aussi profondément !



Côté bestioles et verdure

Depuis que la carrière a été abandonnée, un écoystème intéressant s’est développé dans l’ancienne carrière de Lieth.

Ainsi, vous pourrez entre autres admirer de superbes orchidées au printemps. Sur les 140 sortes de plantes recensées dans la carrière, 14 sont placées sur la « Liste Rouge ». Côté bestioles, six espèces d’animaux dont deux amphibiens (le pélobate brun et le crapaud calamite) se sont implantées près des mares. Elles s’avèrent extrêmement rares et sont protégées.

Au fait, par beau temps, partez du principe que vous pourrez avoir chaud car dans ce grand trou, il n’y a pas de vent.



Si vous aimez les pierres

Au départ de la promenade, vous trouverez toute une collection de pierres que l’on rencontre dans la région et qui ont été importées de Scandinavie par les glaciers. Encore une leçon de choses pour qui veut…

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