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Les frères de la Baltique – Corsaires ou pirates ?

Pirate (latin pirata, grec peiratês)

Aventurier qui courait les mers pour se livrer au brigandage, attaquant les navires de commerce.
Personne qui commet un acte de piraterie.

Parfois, il est intéressant d’examiner une définition de plus près, même lorsqu’il s’agit d’un terme commun. Elle reflète souvent notre vision du monde. En effet, selon le décorticage sémantique du Larousse, il y a pirate et pirate. Il y a les méchants, autrement dit les criminels qui s’adonnent au vol et à l’escroquerie. Et il y a les pirates des temps anciens (Notez le verbe courir à l’imparfait !), ceux que nous valorisons en les considérant comme des « aventuriers » des mers. C’est certainement aussi pour cette raison que l’on trouve à côté des nombreux synonymes péjoratifs tels que les termes bandits, canailles, brigands, arnaqueurs, escrocs, fripouilles, requins ou vautours des métaphores aux connotations romantiques. Dans ce cas, on préférera les écumeurs des mers ou les frères de la côte.

En y réfléchissant, le Larousse a raison. Vu le nombre de romans, de films et de spectacles offrant une image stéréotype du monde de Jack Sparrow, il est clair que les pirates d’autrefois nous fascinent encore. Leur côté hors-la-loi nous projette dans un monde de liberté et d’aventure en contraste complet avec notre vie très carrée et surtout très cosy. N’oublions pas non plus toutes les légendes qui en ont fait des figures de proue mythiques.

Ce phénomène est valable aussi pour les pirates de la mer Baltique, surtout pour ceux du Moyen-Age.

Les corsaires de la Baltique

Selon la définition, les Vikings sont les premiers pirates de la Baltique puisqu’ils remontaient régulièrement les fleuves et les rivières pour piller les villes et villages. Un navire marchand aux cales pleines était toujours bon à prendre au passage. D’ailleurs, c’est en grande partie à cause de ces raids réguliers que les marchands de la Baltique décidèrent de créer la Ligue Hanséatique.



C’est au XIVe siècle que survient une autre forme de piraterie. Lorsque Waldemar, roi du Danemark, meurt en 1375, deux personnes réclament la couronne : Albrecht III et Margarethe. D’un côté, le duc du Mecklembourg qui est aussi roi de Suède, de l’autre la fille du défunt qui est l’épouse du roi de Norvège et veut exercer la régence jusqu’à ce que son fils soit en âge d’accéder au trône.

Pour parvenir à leur fin, tous les moyens sont bons. Tandis que Margarethe s’assure du soutien de l’aristocratie suédoise pour affaiblir son rival et le détrôner (ce qu’elle arrive à faire, d’ailleurs !), Albrecht III, lui, recherche activement des volontaires pour attaquer les navires de la flotte danoise, le but du jeu étant de nuire le plus possible à son ennemie. Pour ce faire, il signe au préalable des contrats appelés lettres de marque ou « Kaperbriefe » qui assurent une impunité totale aux intéressés. Les biens confisqués aux Danois peuvent être revendus sans problèmes dans les ports du Mecklembourg, par exemple à Rostock ou à Wismar.

Comme la noblesse terrienne a été affaiblie par la peste et les mauvaises récoltes, ce contrat séduit non seulement les criminels, les bannis, les réfugiés, les infâmes et les miséreux mais aussi de jeunes nobles.



Les pirates pratiquent donc en toute légalité si bien que je préfère le terme de corsaires puisqu’ils sont commandités par le biais de lettres de course. Et ces compagnons font partie d’une grande organisation faîtière dont le point de chute est la ville de Visby, sur l’île de Gotland, du moins entre 1394 et 1398. Il semblerait que les pirates se soient perçus comme une confrérie ce qui explique le nom qu’ils se donnèrent : « Likedeeler » vient du bas-allemand et signifie « partageurs à parts égales ». D’ailleurs, on les appelle aussi les frères vitailleurs ou « Fratres Vitalienses », terme emprunté au français qui se réfère aux marins qui ravitaillèrent Calais en 1347.

Tandis que la noblesse suédoise soutient Margarethe, Stockholm reste fidèle à son roi, le duc de Mecklembourg. La ville est assiégée pendant plusieurs années. C’est alors que le père de Albrecht fait ravitailler la ville par les bandes de pirates. Inutile de dire que les confrères profitent de l’occasion pour piller les côtes danoises et leurs navires au passage.

La chasse aux pirates

La paix conclue en 1395 pose un problème existentiel aux bandes de pirates puisque les lettres de marque signées avec le Mecklembourg sont devenues obsolètes. Mais ces messieurs, faute de revenus licites, ne s’arrêtent pas pour autant d’attaquer les bateaux. Soudain, ils s’en prennent aux cogues hanséatiques et finissent par paralyser le commerce de la Baltique.

Pour la Hanse et l’Ordre des Chevaliers Teutoniques, il est grand temps de faire le ménage. On envoie une armada de 84 navires et 4.000 hommes à Visby. Les pirates, chassés de leur repaire en 1398, se mettent en quête d’une nouvelle planque. Et comme ils ont déjà des alliés bienveillants en Ostfriesland depuis les années 90, les voilà partis en mer du Nord. Au lieu de régler son problème, la Hanse l’a déplacé puisqu’à partir de cette date, les pirates se concentrent soudain sur la marchandise anglaise et attendent dans les embouchures de l’Elbe et de la Weser ce qui a des conséquences néfastes pour les villes hanséatiques de Hambourg et de Brême. La chasse aux pirates commence.



En avril 1400, on somme les Frisons de ne plus soutenir les criminels anarchistes. 80 pirates sont tués, 25 arrêtés. Le 22 avril 1801, une bataille sur l’eau devant l’île de Helgoland a lieu. Ce ne sera pas la dernière fois qu’on essaiera de régler le problème car à la fin du XVe siècle, on parle encore des navires pillés par les pirates dans le compte-rendu d’une réunion de la Hanse. Néanmoins, cette date reste en mémoire.

C’est ce jour-là que Störtebeker, arrêté pendant la bataille et sur le point d’être exécuté, aurait demandé à ce que ses compagnons soient épargnés. On lui aurait assuré que chaque personne devant laquelle il passerait une fois décapité serait sauve. Dépourvu de sa tête, il se serait mis à courir devant onze pirates et aurait été arrêté dans sa course par un vilain croche-pied. Ses confrères auraient tous été exécutés par la suite.

Klaus Störtebeker, mythe ou réalité ?

La légende qui s’est tramée autour de Störtebeker lui donne une importance qu’il n’a pas forcément eue parmi les frères vitailleurs. Mais au fait, que dit la légende, celle à laquelle les Allemands aiment croire encore aujourd’hui ?

Klaus Störtebeker aurait donc été arrêté au large de l’île de Helgoland et décapité à Hambourg en 1801. Peu de traces et beaucoup d’histoires. On a bien retrouvé deux crânes dans le port en 1878 qui semblent avoir été cloués sur des pieux. L’un d’eux provient d’un homme d’une trentaine d’années qui vécut il y a 600 ans et dont les ossements manifestent de blessures. Longtemps, on attribua ces crânes à Störtebeker et Michels, deux noms de pirates du Moyen-Age mais on n’en a aucune preuve. Les objets attribués à Störtebeker quant à eux ont disparu dans un incendie et même l’existence du pirate Klaus Störtebeker n’est pas prouvée. Dans les chroniques de Wismar, on parle d’un Nicolao Störtebeker (dont le diminutif est Klaus) qui aurait commis un délit. Sinon, il est plutôt question d’un certain Johann Störtebeker, commerçant et capitaine de bateau de son état.

Donc, ce « Gargantua » (il aurait été capable de boire 4 litres de bière en un coup !), ce « Robin des bois » (il aurait volé les riches pour aider les pauvres !), ce « Che Guevara » (il aurait prôné la liberté, l’égalité et la fraternité !) reste encore un mystère !

 

Les photos ont été prises en grande partie au Musée de la Hanse de Lübeck et sur les quais de la Trave.

Sur ce blog, vous trouverez également un texte de fiction sur l’Allemagne au début du XVe siècle : Les chroniques d’un pirate.

Sources et liens