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Les deux secrets de la forêt de Schierensee

Dans la région de Kiel, il y a quelques très jolies forêts dont celle de Schierensee qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de la capitale du Schleswig-Holstein et à une heure de route de Hambourg. Une promenade dans ce bois réserve deux surprises dont l’une vous paraîtra certainement banale alors qu’elle est très rare dans le Nord. L’autre par contre vous semblera étrange alors qu’elle l’est moins aux yeux des habitants de la région.

La première surprise, c’est une vieille allée de châtaigniers transformée en chemin forestier, des arbres qu’on ne trouve normalement pas dans le nord de l’Allemagne et encore moins dans les bois — à moins de les y avoir plantés bien sûr. La seconde surprise se trouve un peu plus loin, en plein milieu de la forêt. Il s’agit d’un petit cimetière familial privé où reposent les ancêtres d’un château. Un lieu de repos inattendu à l’ombre des tilleuls qui change d’atmosphère au fil des saisons. En quelques mois, on passe de la gaîté des tapis de jonquilles à la douce mélancolie de l’automne.

Printemps
Automne

Je vous invite à entrer dans la forêt de Schierensee — le « Schierenseer Forst » — à la recherche du calme des bois et du romantisme de ces tombes cachées, à mi-chemin entre le manoir de Schierensee et celui de Deutsch-Nienhof. Entre-temps, je vous expliquerai ce que l’ancienne reine d’Angleterre a à voir avec cet endroit si retiré.


Le château de Schierensee

Le parc naturel de Westensee est riche en bois, en lacs et en prés, mais il recèle également plusieurs manoirs dont les domaines s’étalent autour du lac de Westensee. Leur création remonte au Moyen-Âge et depuis des siècles, ils influencent l’histoire de la région. Un exemple : l’ancien domaine seigneurial de Schierensee qui appartient à Günther Fielmann depuis 1997 — Fielmann, un nom récurrent quand on parle des châteaux du Nord car ce géant de la lunetterie en possède plusieurs.

Le manoir qui date du XVIIIe siècle est privé. Vous n’aurez donc pas le droit de le visiter comme ça, néanmoins vous pourrez quand même vous en approcher un peu car une superbe route pavée passe devant l’enceinte du château avant de se transformer en chemin forestier.

Au fait, Schierensee n’est pas seulement un château qui recèle des trésors historiques dont une importante collection de meubles, de tableaux et de faïences du XVIIIe siècle. Le domaine est également connu en tant que ferme puisque Fielmann est tourné vers l’agriculture biologique. Depuis longtemps, il s’investit dans l’élevage de vieilles races animales. C’est donc pourquoi, en suivant cette route à pied, vous passerez devant quelques bâtiments annexes un peu avant d’entrer dans la forêt. Selon l’heure à laquelle vous y serez, vous pourrez admirer des chevaux près d’une écurie, des limousins dans la paille de leur étable et des moutons à lunettes autour des arbres fruitiers.



Une reine à Schierensee

Comme tous les châteaux de la région, celui de Schierensee a un passé aristocratique. Construit dans le style baroque par Caspar von Saldern entre 1772 et 1776, il resta dans cette famille jusqu’en 1968.

Ensuite, il fut racheté par Axel Springer, magnat de la presse allemande et directeur du BILD, un grand journal populaire. Étonnant donc que ce soit lui et non un noble de la région qui ait reçu une visite royale en 1978. Il venait de faire rénover son bien qu’il avait acheté dix ans plus tôt et après ces grands travaux, la propriété se composait d’un château restauré, de grandes collections d’art et de 500 hectares de champs, de prés et de forêts ainsi que de lacs. De quoi accueillir une reine et son époux et de leur montrer la richesse du Schleswig-Holstein.

C’est donc là que la Reine Elizabeth entre en jeu. Fraîchement arrivée en Allemagne, elle se retrouva un beau jour de mai à Schierensee, dans la campagne du Schleswig-Holstein. D’accord, n’exagérons rien. Elle n’y resta que six heures, mais pour les habitants du village, c’était « very important » et « so cute ».

Depuis, cette visite royale avait été un peu oubliée mais à l’occasion de son décès, les médias régionaux ont ressorti la petite histoire de leurs tiroirs. Sur une photo, on voit « notre » chère Queen Elizabeth sur une estrade, regardant les plus beaux chevaux de la région, entourée de 250 VIP venus pour la recevoir ou l’accompagner.


Et une reine de plus

D’après un vieux livre de randonnées de 1905, une autre reine — française cette fois-ci — s’est rendue à Schierensee également. Il s’agit de la comtesse de Provence, Marie-Joséphine de Savoie (1753-1810), qui était la belle-sœur de Louis XVI. En exil après les troubles de la Révolution française, elle erra quelques années en Europe centrale, accompagnée de sa lectrice et amante Jeanne-Marguerite de Gourbillon. Une de ses stations la mena apparemment à Schierensee en 1793.

L’épouse de Louis XVIII qu’on surnomma méchamment « La Reine velue » en raison de sa forte pilosité est considérée par certains comme la dernière Reine de France bien qu’elle soit morte quatre ans avant que son mari accède au trône.

Le domaine de Deutsch-Nienhof

À l’ouest de Schierensee, vers Emkendorf, un autre domaine s’étend sur des hectares : Gut Deutsch-Nienhof. Lui aussi mise sur l’élevage de vieilles races rustiques depuis quelque temps — il y a des White Parks. Il est également connu pour un projet original sur cette latitude. En effet, les propriétaires cultivent de la vigne depuis 2002 et produisent leur propre vin bio, le KROON 54°15′. Sinon, Deutsch-Nienhof est tourné vers la sylviculture ce qui explique la présence de bois autour du château.

En comparaison de Schierensee, ce domaine est plus accessible au public car il propose de la vente en direct, des hébergements et des activités comme des visites du vignoble ou des dégustations dans différents contextes.

Si vous vous intéressez à l’architecture de la région et surtout aux constructions historiques, je vous conseille de faire un tour dans un musée en plein air. Il se trouve près de Kiel, donc pas très loin de là.
Le « Freilichtmuseum Molfsee » présente 70 constructions typiques de la région dont une forge qui date de 1700 et qui se trouvait à Deutsch-Nienhof à l’origine ainsi qu’un porche de 62 mètres de long conçu par Georg Greggenhofer en 1770. Cet architecte baroque très connu au XVIIIe siècle en avait dessiné les plans pour les propriétaires de Deutsch-Nienhof mais le bâtiment n’y fut jamais construit. Celui que vous verrez à l’entrée du musée date de 1975 et servit d’accueil jusqu’en 2021.


La forge de Deutsch-Nienhof est composée d’éléments baroques.
Le « Torhaus » réalisé d’après les plans de Greggenhofer se trouve à l’entrée du musée.

Le cimetière privé des Hedemann-Heespen

Autour du château de Deutsch-Nienhof, un parc s’étend sur 12 hectares mais c’est un peu plus loin, dans la forêt de Enkendorf que vous trouverez les aïeuls du propriétaire actuel. En direction de Schierensee. Bien caché. Il n’est indiqué nulle part, ce cimetière. Il faut le chercher et c’est certainement parfait comme ça car il s’agit d’un lieu privé qui mérite le calme. Une petite aide cependant : sur OpenStreetMap, quelqu’un l’a cartographié.


Ce cimetière de famille a été créé par un ancêtre appelé Christian Friedrich, certainement à la fin du XVIIIe ou au début du XIXe siècle. En 1776, il avait hérité du domaine par le biais de son parrain qui, lui, avait acheté Deutsch-Nienhof en 1743.

C’est pour cette raison que les descendants actuels portent encore le double nom de Hedemann-Heespen. En signe de gratitude. Ils ont d’ailleurs adopté aussi le blason des Heespen qu’on peut voir à l’entrée du cimetière (même si je dois dire que je n’ai pas trop compris ce qu’il représentait).

En arrivant au cimetière, vous serez accueillis par deux flammes sculptées — un passage symbolique qui donne une petite atmosphère romantique quelle que soit la saison.


À l’intérieur, vous trouverez les tombes de la famille dont celle de Paul von Hedemann-Heespen, historien et chroniqueur du château qui était un « original », paraît-il. Son frère Hartwig von Hedemann-Heespen, ornithologue et écologiste des premières heures, repose près de lui. À la mort de son frère, c’est lui qui géra le domaine et pour que Deutsch-Nienhof reste dans la lignée, il finit par adopter un Hedemann apparenté dont le fils est le propriétaire actuel.



Je suppose que la petite chapelle a été construite à l’époque où les premières personnes ont été enterrées. Elle a une position centrale au sein du cimetière. Une petite allée y mène.

Sa façade est trompeuse. Du portail, le bâtiment paraît plus grand qu’il ne l’est en réalité car le mur a été rehaussé, élargi et enrichi de bandeaux et d’éléments horizontaux. Alors que la brique est apparente à l’arrière, le frontispice est recouvert d’un enduit blanc et sur le fronton rectangulaire qui est couronné d’une croix centrale, on lit SOLI DEO GLORIA en grandes lettres majuscules dorées. Uniquement à la gloire de Dieu.



La porte n’est pas verrouillée. Entrons dans la chapelle.

L’intérieur est composé d’une seule pièce rectangulaire assez nue mais les dalles sont belles et la couleur bleutée des murs épurée.



Joliment claire au printemps lorsque les arbres de la forêt sont encore dénudés, elle fait frissonner en automne car l’endroit devient alors mystérieux et assombri par les feuilles. La pièce n’a ni fenêtres ni électricité.



Le mystère des châtaigniers

Vous qui êtes habitués aux forêts de châtaigniers, vous ne pouvez probablement pas comprendre l’étonnement des Nordiques lorsqu’en marchant dans la forêt, ils tombent soudain sur des bogues. Je suppose que ces « Castanae » font partie du système d’allées qui fut créé de main d’homme et qui reliait les différents domaines.


Les bogues contiennent des châtaignes plutôt petites et les animaux de la forêt semblent les apprécier…

En vous promenant aux alentours de Schierensee, vous rencontrerez d’autres allées majestueuses, parfois plus ouvertes. Il s’agit essentiellement de tilleuls, de hêtres et de chênes.


Ce sentier en lisière de forêt mène vers le cimetière.

Je vous laisse le soin de trouver cette ancienne allée de châtaigniers vous-mêmes. Égoïstement, je ne veux pas trop partager mon secret sur la toile mais je donne quand même un indice. Ils ne sont pas très loin du cimetière.


Parmi les nombreux chemins dans la forêt de Schierensee, celui-ci va « aux châtaignes ».

Les autres grands châteaux du lac de Westensee

Emkendorf

Le domaine de Emkendorf est connu en Allemagne pour avoir accueilli un cercle littéraire au XVIIIe siècle. Situé au bord d’un petit lac, le château (privé) est accessible par une longue allée d’arbres bicentenaires qui s’étend sur plusieurs kilomètres. Aujourd’hui, il appartient à l’éditeur d’un journal régional. Néanmoins, son parc est ouvert au public si bien qu’on peut en profiter pour se promener dans un des plus vieux jardins à l’anglaise du nord. Plusieurs fois par an, des marchés ont lieu dans les bâtiments annexes.

Bossee

Le château de Bossee attire la foule tous les ans à l’occasion de son marché de Noël. Ces jours-là, les portes des greniers, d’impressionnantes bâtisses couvertes de chaume, sont ouvertes. Les exposants vendent leurs produits dans ce cadre rustique, il y a du sanglier grillé, de la purée de rutabaga et tout le charme de la période de l’avent.

Westensee

Le château de Westensee est le plus secret de tous. Privé, son domaine est grillagé si bien qu’on ne peut se contenter que d’un petit coup d’œil curieux en passant.

Marutendorf

Entre le lac de Ahrensee et celui de Westensee, on trouve le château de Marutendorf, privé lui aussi. Néanmoins, il propose certaines prestations. Dans ses prés, vous trouverez une partie du bétail de la ferme Fielmann. Au printemps, les mamans moutons digèrent entre les herbes pendant que leurs petits à lunettes gambadent et sautillent entre les pommiers.

Quarnbek

Un peu plus loin, en direction du canal de Kiel, le château de Quarnbek est bien caché dans son parc mais si vous aimez faire du tir à l’arc, vous aurez l’occasion de le voir de plus près en empruntant un parcours aménagé (payant).

A faire dans les environs