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L’empereur, sa femme et les petits princes

Cela peut paraître un peu démesuré mais le paysage vallonné de la région de Plön lui a valu le nom de Holsteinische Schweiz — la « Suisse du Holstein ». Nous sommes à 25 kilomètres de Kiel, donc pas loin non plus de la mer Baltique.

Quand on parle de Plön, on pense tout d’abord à un vaste lac, le plus grand et le plus profond du Schleswig-Holstein d’ailleurs. Au palmarès allemand, il détient même la dixième place. Sa surface est entrecoupée de péninsules verdoyantes et parsemée d’une vingtaine d’îlots boisés. Une des plus grandes rivières de la région, la Schwentine le traverse et avant son abaissement artificiel au XIXe siècle, il englobait même ses lacs voisins d’aujourd’hui.


Le grand lac de Plön est ponctué d’îlots.

L’île aux Princes

C’est sur une presqu’île qui fait deux kilomètres de long et en moyenne trente mètres de large que je vous emmène : sur la Prinzeninsel ou « île aux Princes ». Cette très belle péninsule, elle ne se fait qu’à pied ou en vélo en empruntant un sentier côtier ou un chemin forestier. Mais au juste, d’où vient ce nom si noble et un peu trompeur ?

Premièrement, à l’origine, l’île aux princes faisait effectivement partie des nombreux îlots du lac. Ce n’est qu’en 1882 qu’elle fut reliée à la terre ferme lorsque le niveau de l’eau fut baissé artificiellement. D’ailleurs, au départ de la promenade, vous croiserez un petit canal qui se faufile dans les bois. Même si on ne s’en rend pas vraiment compte quand on se trouve sur le pont, c’est ce qui reste de l’ancienne séparation entre le « continent » et l’ancienne île.



Deuxièmement, il faut savoir que cette presqu’île appartient actuellement à George-Frédéric prince de Prusse. C’est Guillaume II, son arrière-grand-père, qui décida d’acheter l’île en 1910 après avoir envoyé ses fils à l’école de cadets de Plön. Depuis cette date, la presqu’île fait partie des possessions de la Maison de Hohenzollern. Voilà pourquoi un panneau explique à l’entrée qu’on se trouve sur un terrain privé. Cependant, à condition de respecter les lieux et d’accepter que c’est la faute à pas de chance si une branche vous tombe sur la tête, vous pouvez entrer sans problème.

La plage des princes

Pour rester dans les explications, au bout de la presqu’île, sur la rive ouest, vous trouverez une belle plage de sable blanc (surveillée) qu’on appelle Prinzenbad, donc la « plage des princes ». C’est ici que les fils de l’empereur apprirent, paraît-il, à nager. Et comme il était normal que ces jeunes princes ne vivent pas dans les mêmes locaux que les jeunes cadets ordinaires, Guillaume II fit rénover et aggrandir une belle bâtisse qui n’appartient plus au prince actuel mais qui s’appelle encore et malgré tout Prinzenhaus ou « Maison des Princes » (évidemment !).



Le verger et le cimetière

En route, vous tomberez sur un verger historique et un ancien cimetière militaire.

Ce verger est entouré d’un haut mur en pierres. Il faut dire que pendant très longtemps, l’île servit d’annexe au jardin du château de Plön. Au XVIIe siècle par exemple, on y trouvait un potager. Plus tard, en 1692, le duc Johann Adolph y fit planter des arbres pour en faire une réserve de chasse boisée. A l’époque, il paraît qu’il y avait même des orangers. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’on planta également des arbres fruitiers. Donc, n’hésitez pas à entrer et admirez les vieux pommiers du Alter Apfelgarten. Par contre, attention ! Même si les fruits vous font saliver, ne cueillez rien car chaque arbre a son parrain ou sa marraine. Seules ces personnes ont droit d’usage.



Quant au petit cimetière, le Kadettenfriedhof, vous pouvez le traverser pour poursuivre votre route vers la pointe de la presqu’île. Comme vous le constaterez en jetant un coup d’œil sur les dates, ce cimetière carré est réservé aux cadets de l’école de Plön morts pendant les deux guerres mondiales et aux enseignants de l’internat. Un petit moment de recueil et de réflexion sur la guerre et ses vices s’impose.



En longeant la côte, vous serez dans des bois souvent un peu marécageux, à quelques centimètres du clapotis des vagues qui laminent et dénudent les racines d’arbres. Admirez la vue, les îlots touffus et les rives qui se dessinent au loin. Ramassez quelques beaux coquillages pointus au passage et avec un peu de chance, vous entendrez même tambouriner un pivert.

La ferme des princes et le pavillon

Au niveau de la pointe, après un passage dans une forêt sauvage aux allures de jungle, vous tomberez sur deux constructions :

  • une ancienne ferme du XVIIIe siècle appelée Niedersächsisches Bauernhaus qui est entourée de prés
  • et un petit pavillon qui se trouve juste au bord de l’eau.

De nos jours, la chaumière est un restaurant très apprécié et cela ne date pas d’hier puisque la ferme a une licence de restauration depuis 1881. C’est alors que les touristes du dimanche commencèrent à découvrir le charme de cette presqu’île. Cependant (et c’est encore le cas aujourd’hui), son passé est agricole. Ainsi, c’est dans cette ferme que les princes apprirent les bases de l’agriculture selon un dicton en latin qui date de 1910 : Nihil melior nihil homini libero dignius agricultura (« Rien n’est meilleur, rien n’est plus digne de l’Homme libre que l’agriculture »). Vous ne serez donc pas étonnés d’apprendre qu’on l’appelle aussi … la Ferme des Princes.


La ferme des princes. Ici, en pleine rénovation (printemps 2019).

L’existence du petit pavillon au toit de chaume et de ses deux bancs date elle aussi du temps où les jeunes princes firent leur école à Plön.


Le pavillon de l’île des princes à Plön

Ce n’est certainement pas l’impératrice d’Allemagne (la dernière au fait !) qui fit le premier pas pour envoyer ses enfants si loin de la capitale. Lorsque son époux se retrouva empereur en 1888, Auguste Viktoria Friederike Luise Feodora Jenny von Schleswig-Holstein-Sonderburg-Augustenburg ou Dona pour faire plus court se vit confrontée à un nouveau rôle. Finie la belle vie de famille à Potsdam ! Soit, sa nouvelle vie de luxe au palais de Berlin avait des avantages. Par contre, maternelle comme elle l’était, elle eut du mal à voir partir ses six fils l’un après l’autre. C’est certainement pour cette raison qu’elle se rendit souvent à Plön entre 1896 et 1910. Une voie de chemin de fer qui n’existe plus aujourd’hui fut même construite à ces fins.

Si Papa choisit l’école militaire de Plön, c’est parce qu’il fallait consolider les liens entre la Prusse et sa nouvelle annexe, le Schleswig-Holstein. Qui plus est, l’impératrice était originaire de la région. Donc, il faut s’imaginer que lors de ses visites, la dernière impératrice allemande et princesse de Prusse faisait régulièrement le tour de l’île aux Princes. Le pavillon actuel rappelle celui qui existait au temps où Dona venait. On raconte que cette pointe isolée était son endroit préféré. Et il faut bien avouer qu’elle avait raison. Quelle vue ! Quel charme !


Assise sur son banc, près du pavillon, Dona a certainement admiré d’aussi beaux couchers de soleil.

La dernière impératrice, aussi aimée du peuple que Lady Di, mourut dans l’exil en 1921. Elle avait rejoint son époux en Hollande au lendemain de la première guerre mondiale, renonçant à la proximité de ses enfants et de ses petits-enfants qui restèrent en Allemagne. Fidèle. Soumise. Égale à elle-même.

Au retour, vous pourrez profiter du ponton qui se trouve sur la rive est, que ce soit pour apprécier la vue splendide sur Plön. De là , vous verrez aussi son château et l’autre partie du lac. Évidemment, vous pouvez en profiter pour repartir en bateau si vous voulez aller à Plön.



L’empereur de la lunetterie et son château

On vient à Plön également pour le superbe château aux murs d’un blanc resplendissant qui tranche avec sa toiture en ardoise anthracite. D’ailleurs, en arrivant vers cette petite ville touristique de 9 000 habitants, on ne peut pas le manquer puisque, construit sur une butte au XVIIe siècle, il surplombe les environs. C’est l’empereur de la lunetterie allemande, Monsieur Fielmann, qui racheta ce beau bâtiment et le fit restaurer il y a une vingtaine d’années. Depuis 2004, l’Académie Fielmann y forme plus de 6 000 opticiens-lunetiers par an dans un décor de meubles baroques et de plafonds en stuc.



Cependant, l’utilisation du château à des fins d’éducation n’est pas si récente. Depuis 1868, il a surtout servi d’internat et d’école. Au départ, c’étaient des jeunes cadets de l’armée royale prussienne qui y vivaient. Ces jeunes messieurs, souvent issus de familles aristocratiques, y apprenaient à grand renfort d’exercices militaires les vertus si chères à la Prusse, en premier lieu l’obéissance, la discipline et le respect des autorités. Ceci prit fin en 1919, il y a exactement cent ans. Alors, les écoles de cadets furent interdites par le Traité de Versailles. Les cadets restèrent, les mauvaises habitudes aussi (les petits se faisaient régulièrement tarabuster par leurs aînés), mais selon les nouveaux programmes, il s’agissait d’inculquer les principes démocratiques aux jeunes élèves ce que les cadets ne comprirent pas forcément. Plus tard, sous Hitler, on y créa une des écoles du régime nazi appelées Napola pour former l’élite militaire. Pour finir, à partir de 1946, c’est dans ces locaux que les élèves du lycée de Plön furent logés.

Du coup, il reste à dire merci à Monsieur Fielmann, empereur des temps nouveaux, seigneur des lunettes, d’avoir restauré (entre autres) ce beau château ! Je lui tire ma révérence.

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