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L’embouchure de la Schwentine

Dans un article intitulé Le sanctuaire de la Schwentine, je parle d’un cours d’eau qui fait partie des grandes rivières du Schleswig-Holstein et qui est connu dans le Nord pour sa nature préservée et son romantisme : la Schwentine.

Cette fois-ci, nous allons découvrir son embouchure et une partie du fjord de Kiel puisque c’est au bord de la rive est qu’elle se jette dans la Baltique.

Après 60 kilomètres de verdure et de lacs, méconnaissable, cette rivière appréciée des pagayeurs devient urbaine car son embouchure a été canalisée et aménagée au cours des siècles. Aujourd’hui, on y trouve une succession de ports, de pontons et de bâtiments qui profitent de la proximité du fjord et qui offrent un panorama maritime. Je vous invite donc à découvrir cet endroit qui ressemble à un fjord miniature.

Faisons une promenade citadine — au bord de la Schwentine, à deux pas de la Faculté des Sciences Appliquées de Kiel et en face de GEOMAR, l’Institut Leibniz d’océanographie.



Le puzzle des couleurs

C’est fou ce qu’on oublie vite. On oublie les détails d’un paysage, même quand on l’a aimé. On oublie la silhouette des maisons et les méandres d’une rivière, même quand on a essayé de s’en imprégner.

Ce qui reste, c’est le flou — un bric-à-brac d’impressions, une aquarelle de sensations. Dans ce cas, le tableau d’une embouchure nonchalante, vétuste et sans cohérence ni dynamisme — un lieu de bohème un peu cracra.

Et quand on retourne au même endroit des années plus tard, on ne reconnaît plus vraiment. On sait que quelque chose a changé. Parfois, il s’agit d’un détail qui saute aux yeux et parfois, il y a eu tellement de changements qu’on a du mal à se souvenir et on se demande à quoi ressemblait ce lieu auparavant.


La Schwentine dans les années 1990

J’avoue que l’embouchure ne m’a jamais intéressée. Pour moi, elle se réduisait à un vieux pont en mauvais état, à une location de canoës entre les arbres et à un petit bistrot juste en face, au bord de l’eau. Belle en amont, ce qui suivait en direction du fjord était un ensemble de constructions plus ou moins délabrées. Industrielles. Inesthétiques. Inaccessibles.


La Schwentine, pour moi, c’était un parc animalier…
…et les promenades à pied au bord de l’eau…
…ou en canoë…
…avec de beaux jardins romantiques.

Depuis, l’embouchure de la Schwentine a beaucoup changé. Les quartiers alentours ont pris « de la gueule ». (Au passage : Merci à l’Union Européenne et vive URBAN II qui a cofinancé ces travaux et revalorisé cet endroit.)

Le petit bistrot d’antan a disparu, le barrage a été modernisé et le pont restauré. Quant aux vieux bâtiments qui bordaient la rive nord, ils ont été détruits. Ici et là, on voit encore quelques vestiges et certaines surfaces attendent d’être réaménagées. Par contre, un joli chemin partant du vieux pont de la Schwentine a été créé au bord de l’eau. C’est celui que nous allons prendre. Nous irons jusqu’à Hasselfelde, une plage qui se trouve au nord de l’IUT.

Le vieux pont et ses histoires de moulins

Dès le Moyen-Age, les habitants de la région s’intéressèrent à l’embouchure de la Schwentine. Pour commencer, on y construisit un moulin à eau qui servit longtemps aux agriculteurs de toute la région. Plus tard, à la fin du XVIIe siècle, on profita du courant pour y installer également un moulin à tan car les fermes de la Probstei étaient florissantes et le lieu propice au travail des peaux. Avec le temps (et les incendies), un moulin en amena un autre — ou plusieurs d’ailleurs : un moulin à grains, un moulin à écorces de chêne, un moulin à huile, un moulin à farine d’os. A partir du XVIIIe siècle, on y trouva même une savonnerie, un four à chaux et sous le pont, une laverie.

Aujourd’hui, il ne reste plus grand chose de ces moulins : quelques vestiges, quelques tableaux et des photos en noir et blanc. Certains Kielois se souviennent aussi de l’embouchure au début des années 2000. A l’époque, il y avait encore un grand silo blanc au bord de la rivière, les restes de la « Langesche Mühle », un moulin qui avait été construit en 1864 et qui resta longtemps le plus grand moulin de l’Empire allemand avec ses huit étages, ses turbines et ses 80 meules à grain. Colossal, il finit quand même par être détruit en avril 1945, pendant un bombardement. Alors, on restaura un silo pour en faire un nouveau moulin, lequel ferma ses portes en 1993. Après 700 ans, l’ère des moulins touchait à sa fin.

Voici ce qu’il reste du grand moulin qui se trouvait au nord du vieux pont — un grand cube jaune qui sert aujourd’hui de restaurant :



Grâce à sa couleur, vous le verrez facilement. En fait, il s’agit d’une partie de l’ancien moulin des frères Lange (d’où son nom). C’est à cet endroit que se trouvait le moteur. Dans le jardin, on aperçoit d’ailleurs encore quelques turbines dans l’herbe et si vous descendez vers la rive, vous découvrirez non seulement le chemin que nous allons emprunter mais aussi huit arcs historiques.

C’est par eux que passait l’eau de la Schwentine pour activer les turbines.

Les clubs de voile

En soi, la Schwentine n’est pas très profonde. Aussi, lorsque l’embouchure se transforma en zone industrielle au XIXe siècle, on approfondit la rivière et on aménagea les berges afin d’accueillir une flotte qui était chargée d’exporter les produits du moulin. Il paraît que ces 12 navires allaient jusqu’en Angleterre.

Les aquarelles et les photos de l’époque représentent le pont ainsi que les moulins imposants qui se trouvaient à l’embouchure mais près des berges, on aperçoit également quelques bateaux. De nos jours, cinq clubs de voile se partagent les rives de l’embouchure.



Au sud, près du vieux pont (vue sur le quartier de Wellingdorf)

Nous sommes sur la rive nord, du côté de Neumühlen-Dietrichsdorf, un quartier populaire de Kiel. Sur le chemin qui longe la rivière, le paysage est maritime.

Fini le temps où les berges du fjord étaient verdoyantes. En marchant vers la pointe de la presqu’île, vous tomberez sur quelques roselières mais en général, l’atmosphère est plutôt urbaine et parfois même portuaire.

Au bord de l’eau, il y a une clinique, quelques bâtiments appartenant à l’IUT et des jardins individuels. Le chemin de promenade les longe et une passerelle sur pilotis permet de se rapprocher du lit de la rivière. Elle offre une vue sympathique sur l’embouchure. Hiver comme été, des bateaux sont amarrés à des pontons en bois.

Sur les pontons, les mouettes et les cormorans ne se laissent pas déranger par les passants. Ils profitent du soleil hivernal.



Même en février, il y a du passage sur la rivière car deux navettes desservent l’embouchure de la Schwentine : le « Düsternbrook » et le « Schwentine ». Les embarcadères se trouvent des deux côtés. L’un d’eux, côté sud, permet de rejoindre l’Institut océanographique — GEOMAR —, l’autre, au nord, le quartier de l’Université de Sciences Appliquées. Un avantage pour les étudiants qui habitent en « ville » puisqu’ainsi, ils peuvent venir en bateau.

Les bâtiments de GEOMAR

Juste en face de l’embarcadère de Dietrichsdorf, vous pouvez admirer un bâtiment en construction sur la rive sud (février 2022). Ses vitres bleutées translucides déclinent les couleurs du ciel et de la mer ce qui est logique car il accueillera très bientôt GEOMAR, un institut scientifique allemand spécialisé dans la recherche océanographique, géologique et météorologique. Un dépôt central de 1.550 m³ se trouve juste à côté.

GEOMAR emploie un millier de personnes et dispose de plusieurs navires océanographiques, l’Alkor, le Littorina et le Polarfuchs ainsi que des robots sous-marins autonomes. Ils sont parfois amarrés sur les quais.

Qui veut savoir à quoi ressemblera ce complexe d’ici quelque temps, peut regarder ce petit film d’animation. Les perspectives permettent également de découvrir l’embouchure de la Schwentine vue d’en haut.



De l’embarcadère, la silhouette de Kiel — jolie — se profile au fond à gauche. Notez que la tour de la mairie a des accents italiens.



L’IUT et ses environs

Un peu avant le port de commerce, on trouve un vieux bâtiment carré en briques rouges et jaunes. Il s’agit d’une ancienne fonderie qui appartenait au chantier naval de Georg Howaldt dans le temps. Elle date de 1884 et sert de musée aujourd’hui.


Le chemin côtier s’arrête aux portes du « Ostuferhafen » qui est le grand port de commerce de Kiel. Cette grande structure portuaire a été implantée sur une ancienne aire du chantier naval en 1985. Elle dispose également d’un terminal pour les ferries qui vont en Russie et dans les Pays Baltes.

Il faut donc traverser le campus pour retrouver le fjord. Le quartier universitaire qui se crée ici est un ensemble composite de constructions modernes, de vieilles baraques et d’immeubles ouvriers.


On y trouve même plusieurs bunkers réaménagés dont le Bunker D qui abrite entre autres un cinéma. Dans un autre bunker, on trouve le musée de l’ordinateur. Ici, la rouille fait partie des couleurs récurrentes.


La plage de Hasselfelde

Pour rejoindre la plage de Hasselfelde, il faut laisser le port derrière soi et contourner la nouvelle centrale thermique de Kiel. Le quartier résidentiel qui se trouve juste à côté est séparé de la côte par une zone d’arbres et de broussailles. Une vieille voie de chemin de fer abandonnée la traverse.

Je suppose que cet espace sera réaménagé un jour mais pour le moment, si on veut aller jusqu’à la plage ou rejoindre le sentier de randonnée qu’on appelle le « Fördewanderweg », il faut emprunter une piste qui traverse les rails et suivre un des petits sentiers qui se faufilent entre les arbres.

Dès que vous aurez laissé les cheminées et les grillages de la centrale derrière vous, vous arriverez sur une plage toute récente dont je parle en détails dans cet article. Une plage qui n’est pas encore vraiment connue du grand public. Son panorama portuaire vaut le coup car la silhouette de Kiel s’offre à vous en gros plan !