You are currently viewing Le sanctuaire de la Schwentine

Le sanctuaire de la Schwentine

La Schwentine est une rivière qui prend sa source dans l’est du Schleswig-Holstein et qui va se jeter 68 kilomètres plus loin dans le fjord de Kiel. Nommée Sventana — « La Sainte » — par les Slaves qui peuplèrent la région du Holstein au tout début du Moyen-Âge, la Schwentine marqua longtemps la limite des territoires slaves et saxons. Aujourd’hui, ses méandres idylliques attirent de nombreux promeneurs sur le chemin de Compostelle, mais aussi et surtout les pagayeurs.

Car même si elle ne peut pas rivaliser en taille avec la plus grande rivière de la région, elle a un avantage. Au contraire de l’Eider dont une bonne partie a été remodelée et canalisée, la Schwentine a gardé son aspect d’origine. Son cheminement très sinueux et sa profondeur plutôt faible n’ont jamais favorisé la grande navigation. Heureusement pour les amoureux de rivières intactes.

Les plus ambitieux embarquent au lac d’Eutin et vont jusqu’à l’embouchure, les plus confortables prennent une des barques motorisées qui proposent le « Tour des Cinq Lacs » et les plus romantiques se concentrent sur certaines parties comme celle qui se trouve entre Preetz et Schwentinental. Un parcours qui passe pour être la portion la plus sauvage de la rivière — son sanctuaire pour ainsi dire.

Montez dans mon canoë, je vous y emmène.



La Schwentine en canoë

La Schwentine prend sa source juste à côté du Bungsberg qui est le mont le plus élevé du Schleswig-Holstein. Ensuite, elle passe entre les collines et les forêts de la Suisse du Holstein, traverse en tout dix-sept lacs dont le Kellersee et le Grand Lac de Plön. Elle arrose quelques jolies petites villes au passage : Malente qui est connue pour ses services de cure thermale, Plön pour son château et Preetz, la ville des cordonniers.

Sur les 68 kilomètres qui s’écoulent entre la source et le fjord de Kiel, cinquante sont praticables en canoë, ce qui représente vingt kilomètres de rivière et un peu plus de 28 kilomètres de lacs. Au niveau de la ville d’Eutin, il n’est pas permis de remonter vers la source et qui veut descendre jusqu’à l’embouchure, a besoin d’un chariot avant Kiel car au niveau du parc animalier de Schwentinental, une centrale hydraulique barre le passage sur un à deux kilomètres. Mais entre les deux, il y a de quoi pagayer.

Comme le courant de la Schwentine est plutôt paisible, je vous propose de partir avec moi d’un lac artificiel appelé le Rosensee et de remonter la rivière jusqu’à Preetz. Nous ne sommes pas très loin de Kiel.



Par contre, je vous préviens tout de suite. Même si le courant est faible, il vaut mieux se méfier un peu du Rosensee car à partir du mois de juin, il faut parfois se battre avec un méli-mélo de lianes aquatiques qui retiennent le bateau, l’emprisonnent et l’immobilisent. Alors, la pagaie ressemble à une cuillère en bois dans la purée. Mais rassurez-vous, une fois que vous aurez laissé le lac derrière vous, tout ira mieux. En plus, vous serez à l’abri du vent.


Le bout du lac en allant vers Preetz. Au fond à gauche, un kayakiste arrive sur le Rosensee.


Bon à savoir

Si vous décidez de louer un canoë ou un kayak sur place, vous pourrez évidemment faire un aller simple et descendre de Preetz avec le courant. De là, vous rejoindrez mon point de départ ou même, vous irez jusqu’aux portes de Kiel.

Chose curieuse pour ceux qui sont habitués à d’autres prestations « tout inclus » : j’ai lu que le camion qui venait chercher le canoë au point d’arrivée, ne prenait pas tous les passagers mais juste le conducteur. Qui veut éviter ce Schmilblick, peut peut-être négocier ou faire tout simplement l’aller-retour que je décris, mais dans l’autre sens. On ne se lasse vraiment pas de la beauté du site et c’est tout à fait faisable quand on programme une journée pique-nique.

Le Rosensee

Le départ est un peu bruyant car nous sommes juste à côté de la B 202, une départementale qui passe au-dessus du lac avant de filer vers l’est. Nous avons porté le canoë quelques dizaines de mètres à partir du parking et je l’ai glissé sur l’eau au niveau du pont. Il n’y a plus qu’à s’asseoir et à prendre connaissance des environs.

Installez-vous à l’avant, je vous en prie.

Devant vous, un énorme tapis d’algues et de plantes en tous genres s’est répandu sur la surface du lac. Ici et là, des petites fleurs blanches sortent leur tête de l’eau pendant qu’un peu plus loin, une centaine d’oies et de canards s’est retrouvée des deux côtés du lac. En bandes, ils glissent entre les algues, se sèchent sur des branches d’arbres et des troncs couchés dans l’eau, se posent dans un grand battement d’ailes ou décollent tout aussi bruyamment. Certains dorment d’un œil morne, d’autres font disparaître leur tête sous l’eau. Les queues s’ébrouent dans un caquètement général. La surface pullule de pollen et de plumes noyées.



Regardez autour de vous — sous l’eau par exemple. Des filaments verts tout tordus remontent vers la surface. De leur pointe sortent des bulles au compte-goutte. Des bulles qui prennent leur temps avant de quitter leur plante mère. Qui rejoignent l’air au ralenti. Quelques alevins nagent tranquillement entre les tiges et dans l’entrelacs de ce tapis mousseux.



Dès le premier virage, le monde de la Schwentine se rétrécit et se condense. Entre les bandes de roseaux, à quelques mètres des fleurs de nénuphars, l’eau claire dévoile ses champs de salade et son sable clair. Des demoiselles aux ailes bleutées papillonnent dans un gentil chassé-croisé au-dessus des plateaux de nénuphars. Un ballet expérimental sans musique ni chorégraphie. Les libellules voltigent à quelques centimètres du miroir translucide. Elles se posent sur les moignons vert jaune et écartent leurs ailes avant de repartir dans un petit crissement. Tout d’un coup, juste à côté d’un caneton, une couleuvre traverse l’eau dans un petit zigzag discret, la tête raide, à quelques millimètres de la surface.

Dans les herbiers, des bancs de poissons se cachent et se faufilent. Au contact de notre ombre, comme pris d’un frissonnement, ils sursautent et changent de trajectoire.

De méandre en méandre, les berges se montrent de plus en plus luxuriantes. Le canoë glisse sur l’eau. La rivière est parfois si peu profonde qu’on entend les algues frotter sur la coque. Les ailes bleu noir des demoiselles scintillent au soleil tandis que la rivière reflète toutes les nuances de vert qui l’entourent. Ici et là, des nénuphars se sont étalés dans les poches et les recoins, là où il y a moins de courant.



Le domaine de Rastorf

Ce n’est pas l’Amazonie mais en entrant dans la forêt qui s’annonce après une petite presqu’île, vous aurez peut-être quand même l’impression de vous trouver dans des mangroves européennes car plus le canoë avance, plus les arbres semblent s’incliner. Et leurs racines, en forme de contreforts et d’échasses, suivent les contours des berges avant de plonger dans l’eau.


Peu à peu, les couronnes forment un tunnel touffu — une galerie royale qui mène jusqu’au domaine de Rastorf. Des deux côtés, le paysage se vallonne. Parfois, il semble même escarpé. Tout à coup, un petit pont droit apparaît — et quelques secondes plus tard, les bâtiments du château de Rastorf.



Les plantes de la berge, exubérantes, dissimulent l’entrée et les granges du XVIIIe siècle. Vous n’en apercevez que les toits. Quant au château, il est encore mieux caché derrière les arbres mais son cadre idyllique invite à la rêverie quand même.



Alors, le paysage change et s’ouvre vers une vallée. La Schwentine la traverse en grands bandeaux. Sur un des deux côtés, des prés apparaissent derrière les joncs — une vache nous regarde passer, un oiseau tape contre un arbre et des voitures roulent sur un grand pont qui traverse la rivière. On ne les voit pas encore mais on les entend. Preetz arrive.



Si vous voulez aller plus loin, libre à vous de poursuivre cette promenade et de lire un autre article. J’y présente non seulement une partie de la ville de Preetz, mais aussi le chemin de Compostelle qui longe la Schwentine et sa vallée, qui passe devant le château et qui vous fait découvrir cet endroit en automne.

Pour ma part, je préfère m’arrêter ici, à l’ombre d’un arbre — avant que les bruits de Preetz ne m’envahissent. Je m’allonge, je mets un pied dans l’eau fraîche. Je sors mon pique-nique et j’apprécie chaque plante, chaque libellule, chaque rayon de soleil. Et je repense à la tortue que j’ai pu admirer en plein sanctuaire.

Liens intéressants

Si vous voulez avoir des informations plus précises sur la Schwentine (ou sur les autres rivières du nord), je vous conseille deux sites excellents :

  • un blog avec de très beaux récits personnels et un grand nombre de photos (kanu-natur.de)
  • une page d’informations très exhaustive sur le réseau des rivières d’Allemagne du nord (flussinfo.net)