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Le phare de Bülk montre patte grise

Patte-Grise

Le voilà qui godille au milieu de la baie à la recherche de poissons, qui fouine dans les algues de la côte et qui sort sa jolie petite frimousse de l’eau, les vibrisses aux aguets, entre les canards et les cormorans. Un phoque en visite.

C’est à la pointe de Bülk qu’on peut l’observer — là où le fjord de Kiel s’élargit vers la mer. Je le sais car il y a quelques temps, j’en ai vu un juste à côté du phare. Et comme pour me faire plaisir, il est resté au bord de l’eau tout l’après-midi. Jusqu’à ce que le soleil baigne l’horizon dans ses dernières couleurs. Lorsque je suis repartie, il faisait sombre et froid. Le phoque, lui, était encore là, tout près des deux pêcheurs qui s’étaient installés entre les pierres.



Un coup de chance car autour du fjord de Kiel, on ne trouve pas de colonies. De temps à autre, un phoque — ou parfois deux — s’installe sur un caillou ou au bout d’un ponton. Ou il se promène tout près de la côte.

Quand il reste un moment, dans la presse locale et dans les forums de pêche, on lui donne un nom. Il y a Trudi, une femelle qui a squatté la plage de Eckernförde en 2010, Sammy qui a préféré celle de Strande en 2016 et Patte-Grise. C’est « Patte-Grise » qui me plaît le plus — d’après le nom d’un pêcheur qui l’a vu nager autour de sa ligne. A Bülk justement.

Pour nous, les promeneurs, Patte-Grise est avant tout une tête ronde ; une nageoire anthracite ou une queue arrondie qui effleure la surface en chassant ; la quiétude d’un animal dans son élément ; un spectacle de la nature.

A Bülk, Patte-Grise est seul dans l’eau (ou seule — qui sait ?) car dans cette petite baie, la baignade est interdite. Juste à côté, une énorme station de purification évacue les eaux usées de Kiel après les avoir recyclées. Elle est d’ailleurs la plus grande du Schleswig-Holstein et un modèle du genre. Plus de 310.000 personnes, ça laisse des traces et des bactéries. Le coin est connu des pêcheurs car on y trouve de tout : de la truite de mer, de l’orphie, de la morue et du maquereau et quand les harengs arrivent dans le fjord, ils passent par là aussi. Pour un phoque, c’est peut-être l’occasion d’en faire son territoire de pêche. De temps en temps en tout cas.




Les phoques des côtes allemandes

Mer du Nord — Les côtes de la mer du Nord ne manquent pas de phoques. C’est surtout au bord des îles et sur les bancs de sable de la mer des Wadden qu’on peut les admirer. En haute-saison, il y a même des bateaux qui partent de la côte pour rendre visite à ces colonies.

Mer Baltique — Par contre, il y en a bien moins du côté de la Baltique. Dans les années 1970, on partait même du principe que les phoques avaient presque disparu. Aujourd’hui, les phoques communs sont revenus. Il y en aurait environ 8.000 dans la mer Baltique, leur population se concentrant au sud de la Suède, le long des côtes danoises et vers l’est, en Poméranie. Dans la partie orientale de la Baltique, on trouve aussi des colonies de phoques gris (environ 30.000 individus) et entre 7.000 et 10.000 phoques annelés. (source)

Fjord de Kiel — Près de Kiel, ces phocidés sont plutôt rares. C’est donc une question de chance quand on en découvre un. Bülk semble leur plaire, mais on en voit parfois aussi vers Eckernförde ou de l’autre côté du fjord, vers Heikendorf ou Schönberg. Donc, comme on dit en allemand : « Augen auf! » — Ouvrez les yeux.

Du noir au vert

Évidemment, Cap-Bülk a d’autres atouts. Pour commencer, il y a un phare qui signale les hauts-fonds de Stollergrund à l’entrée du fjord depuis 1865.



Même s’il n’a pas le charme de celui de Holtenau, il s’agit là du plus vieux phare de la baie de Kiel. Sa tour en brique jaune a été construite en partie par les Danois qui voulaient remplacer une balise sur cette petite langue de terre.

Aujourd’hui, le phare fait 29 mètres de haut et se termine par deux galeries dont l’inférieure est accessible au public pour 2 € (2024 : son accès est interdit depuis un moment, je ne sais pas trop pourquoi et pour combien de temps).



Au départ, il ne s’élevait qu’à 20 mètres mais assez vite, on remarqua que sa tour se perdait dans la végétation et qu’elle n’était pas assez visible. Aussi, après avoir utilisé un bateau-phare à partir de 1892, un second phare fut placé plus au large en 1967 : le phare de Kiel. On l’appelle le « Leuchtturm Kiel » en allemand. De la côte, on distingue son bâtonnet blanc et rouge qui sort de l’eau comme s’il était sur une île offshore.


Leuchtturm Kiel

La façade de « Hein Bülk » a été repeinte à plusieurs reprises. Ainsi, elle a commencé sa carrière en blanc et rouge avant d’être camouflée en vert olive pendant la Seconde Guerre mondiale. Si son pied est encore en brique apparente, le reste est revêtu de panneaux muraux depuis 1969 et en 2011, une antenne radar a été installée au-dessus de sa plateforme.

Vous verrez, le phare ne fait pas son âge. D’ailleurs, il a à nouveau changé de couleur en 2021. Noir et blanc depuis 1969, il est passé au vert au début de l’année 2021. Un vert pomme vivifiant sur fond blanc qui tranche avec le bleu de la Baltique. J’avoue que cette couleur me plaît moins mais elle se voit peut-être plus et elle est plus conforme aux exigences internationales…


La pêche à la pierre

Les hauts-fonds de Stollergrund se situent à trois kilomètres de la côte au nord du fjord de Kiel. Qui se penche sur l’histoire de cette bande de sable sous-marine, sait qu’il y cinquante ans encore, on y pêchait la pierre. En effet, à cet endroit, le relief sous-marin de la mer Baltique a été modelé par un inlandsis scandinave. Sur leur passage vers le sud, les glaciers ont charrié tout un tas de pierres et certaines se sont immobilisées sur leur chemin. C’est pourquoi ces hauts-fonds sont truffés de ce qu’on appelle des « Findlinge ».

A partir du XIXe siècle, on se servit de ces grosses pierres, entre autres pour la construction des ports. Du reste, cette pêche à la pierre, interdite dans le Schleswig-Holstein depuis les années 1970, était dangereuse, surtout pour les scaphandriers ou les plongeurs. Les pierres devaient être remontées sur les bateaux au moyen de grosses pinces qui lâchaient parfois prise.
Ce n’est qu’assez tard qu’on remarqua que ce paysage chaotique avait deux avantages pour le littoral : non seulement il représente un écosystème particulier puisqu’il permet la création de récifs mais en plus, il fait office de brise-lame pour une côte basse et exposée aux vagues.

Aujourd’hui, cet endroit est protégé et utilisé comme cimetière marin, les urnes reposant entre 7 et 20 mètres de profondeur au large des côtes.

Autour du phare, quelques maisons se regroupent sur la butte : d’anciens bâtiments de fonction, habités aujourd’hui par des particuliers. Derrière un fouillis de mûres et des grillages hauts se dissimulent aussi les restes d’une station téléphonique ainsi qu’un poste signal à vapeur et des baraques. Alors que ces constructions ne sont pas accessibles au public, un café installé juste au pied du phare permet de se reposer et de profiter de la vue entre les arbres — soit sur la terrasse soit dans le pavillon.

Pour les nostalgiques — L’ancien chapiteau en cuivre qui avait été stocké dans le petit musée de Wendtorf, de l’autre côté de la baie de Kiel se trouve à nouveau à Bülk. Il attend sa réfection juste à l’entrée de la pointe.

Les falaises

Derrière Bülk se dévoile la beauté sauvage de la côte. En effet, de l’autre côté de la pointe, en direction de Eckernförde, le sentier suit les contours d’un paysage plus marqué. C’est là que commencent les falaises du Dänischer Wohld qui s’élèvent jusqu’à 40 mètres de hauteur.

Cette partie du E1, un sentier de grande randonnée qui part de Norvège et mène jusqu’en Sicile, longe le littoral, offrant des panoramas changeants — un agencement de falaises d’argile et de plages. Qui veut en savoir plus sur cette portion du E1, peut lire cet article.



Un peu d’ histoire(s)

Bülk ou anciennement « Bülleke » signifie apparemment ‘petite élévation’ ou ‘monticule’ ce qui reprend la topographie des lieux. Un endroit prédestiné pour y bâtir une forteresse.

C’est au sud-ouest du phare, entre la station d’épuration et la côte, qu’une motte féodale a été construite entre 1300 et 1400. Il semblerait qu’elle ait été rasée à la fin du XVIIIe siècle parce qu’elle était trop délabrée.
Sincèrement, même si ce site archéologique du XIVe siècle est protégé par la loi, il n’y a plus grand chose à voir aujourd’hui — surtout qu’on ne peut pas vraiment s’en approcher puisque le spot se trouve au milieu d’un pré. Apparemment, il resterait encore des briques, des tuiles brisées, les traces des fondations et l’esquisse du fossé qui entourait la tour. J’avoue qu’en été, la végétation cache généreusement ces quelques vestiges. Heureusement qu’il y a un panneau et pour certains, un peu d’imagination…

D’après certains écrits anciens, le célèbre pirate Störtebeker se serait servi de la pointe de Bülk comme repaire (comme à d’autres endroits sur la côte d’ailleurs). Il n’y en a aucune preuve. Par contre, on peut certainement se fier un peu plus à une légende locale qui date du début du XVIe siècle et dont il reste une trace écrite (1773). A l’époque, cette partie du « Dänischer Wohld » appartenait à la famille de Rantzau. Le seigneur, Otto, était mort jeune et sa veuve, Anna Breide, veillait sur le domaine et ses trois fils. En 1525, il semblerait qu’elle ait dû protéger ses enfants. La légende ne dit pas qui étaient ses ennemis et comment Dame Breide alias Rantzau parvint à préserver sa demeure mais l’histoire souligne son amour maternel et son dévouement puisqu’il paraît qu’elle aurait refusé de dire où étaient ses fils qu’elle avait cachés — malgré la torture qu’on lui infligea.

En conclusion

Évidemment, je ne peux rien vous promettre. Aucune idée si Patte-Grise sera au rendez-vous au moment où vous viendrez. Si vous ne voyez pas de phoque et que vous êtes déçus, allez à Kiel. Devant l’Aquarium de GEOMAR qui se trouve à la Kiellinie, vous trouverez un bassin avec quelques phoques. Il y a même des heures de nourrissage mais j’avoue que c’est bien moins romantique.

Par contre, en allant à Bülk, vous pourrez profiter d’une jolie promenade en bord de mer, d’un paysage de douces falaises aux sommets chapeautés de vert et si vous vous y rendez aux heures d’ouvertures, vous aurez la possibilité de monter jusqu’à la plateforme de « Hein Bülk » pour admirer la vue. Sympa aussi : le café qui se trouve au pied du phare. Pour finir, voici le résumé visuel de cette jolie promenade hivernale…


Note : « Five Bridges » (2021), la sculpture de Jörg Plickat que vous voyez sur deux photos, avait été installée sur la côte dans le cadre d’une exposition temporaire appelée « SKULPTUREN AM MEER ».

Sources intéressantes

Sur le site baken-net, vous trouverez une présentation détaillée et chronologique des balises et des phares de la mer du Nord et de la mer Baltique (on y trouve un article sur Bülk ainsi qu’un article sur le phare de Kiel avec d’anciennes photos, en allemand).