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Le marais de Felm et ses bestioles

Il y a des endroits qui ont une puissance magnétique, surtout pour les personnes en mal de voyage. Aller dans la forêt de Stodthagen au nord de Kiel est déjà une invitation à la découverte de la nature, mais faire un tour dans le Kaltenhofer Moor, d’anciennes tourbières marécageuses qui se trouvent juste à côté, c’est pénétrer dans un paysage carrément dépaysant. Au début du printemps, ce paysage change chaque jour et qui a envie d’observer des bestioles rampantes devrait aller jusqu’au cœur du marais de Felm. L’avantage : on ne se fait pas (encore) croquer par les moustiques.


La forêt de Stodthagen

Stodthagen est une belle forêt de hêtres laissée à elle-même depuis une vingtaine d’années. Ses fossés et ses systèmes de drainage ont été renaturés si bien qu’elle reprend peu à peu son état de forêt vierge. Des troncs verreux sont couchés çà et là, formant des ponts naturels au dessus de trous d’eau glauques et impénétrables.



Les marais de Kaltenhof

Quant à Kaltenhof, il s’agit d’une zone de marécages et de tourbe, une succession de troncs blanchâtres rectilignes en plein milieu d’un paysage d’herbes humides. Entre toutes ces boulaies, une mare d’un bleu éclatant a pris rendez-vous avec les linaigrettes, les droséras et les sphaignes.

S’y promener au début du printemps ressemble alors à une aventure. Les bestioles sortent de leur léthargie hivernale et pour certains visiteurs, c’est le « thrill » complet. Pour les fanas de reptiles et de batraciens par contre, ça vaut un tour au zoo ou dans une animalerie. On se découvre alors un talent pour la marche feutrée et automatiquement, on est à l’affût de chaque vibrement d’air, de tout frissonnement de feuilles. Attentif comme un chercheur de girolles, on scanne les alentours car les petits lézards, les serpents et les batraciens sont de sortie. Leur objectif principal : trouver des partenaires adéquats et faire des petits.



La « mare aux serpents »

C’est autour de la « mare aux serpents » comme on l’appelle à Felm qu’on aura le plus de chance de les trouver et qu’il faudra faire attention. Ce lac qui fait à peu près un hectare est entouré de bouleaux. Le sol est spongieux et il vaut mieux emmener de bonnes chaussures, voire même des bottes si on veut faire le tour du plan d’eau. Le point d’observation officiel se trouve sur une plate-forme naturelle bien piétinée. On y a même installé un banc et un panneau qui informe sur l’écosystème des tourbes.


La mare aux serpents début avril
La même mare fin avril

En avril, les couleuvres à collier adorent faire bronzette juste devant. Pour ceux qui veulent voir toutes ces petites bestioles, je conseille les heures matinales et ensoleillées. S’il n’y a pas beaucoup de passage humain, les couleuvres sortent de leurs trous et vont se réchauffer au bord de l’eau. Et comme la période de reproduction débute en avril, vous risquez de les voir en groupes. Pour les observer, il faut s’approcher du bord très doucement. Scrutez la surface de la mare aussi car aux heures d’affluence, elles la traversent de part et d’autre. Même s’il y a déjà plusieurs couleuvres à se câliner entre les herbes, il n’est pas rare d’en voir une sortir de l’eau pour rejoindre un groupe. Alors, sa langue sonde le terrain et vibre au contact des autres couleuvres. Qui n’a pas trouvé âme sœur, repart en glissant doucement dans l’eau fraîche ou disparaît entre les racines de l’arbre d’à côté. Un va-et-vient continu de reptiles, à la recherche de partenaires.

Pendant ce temps-là, les crapauds et les grenouilles des champs sont très occupés par leur flirt. On les entend scander des « coaaa-coaaa » gutturaux dans l’eau et on les repère plutôt à leur paire d’yeux globuleux qui flottent à la surface et à leur brasse saccadée. Quelques passifs, indécis ou timides, restent cachés dans les herbes. Ils semblent attendre leur tour ou écouter ce concert bruyant.

Observer ou pas, telle est la question.

Evidemment celui qui a peur des serpents et veut surtout profiter du paysage n’a qu’à faire le bruyant en piétinant un peu partout. S’il a des enfants ou un chien avec lui, ça devrait suffire (au risque d’agacer les personnes qui sont en pleine séance d’hypnotisation). Dites-vous qu’un serpent a vite peur et qu’en règle générale, ces trouillards se cachent tellement bien dans les herbes et les bruyères que c’est plutôt un coup de bol de les voir. Rassurez-vous aussi. Dans la plupart des cas, les petits bruits que vous entendez sont causés par les souris qui se faufilent dans les feuilles sèches et par les lézards qui sont peureux aussi. En Allemagne, il n’y a que six espèces de serpents dont seulement deux sont venimeuses. La vipère aspic vit dans une seule vallée du Sud. Ici, on verra donc beaucoup de couleuvres (tout à fait inoffensives) et s’il y a quelques jours, je suis tombée sur une vipère péliade, c’était bien la première fois et certainement une exclusivité.


Quand les feuilles grésillent dans les fourrés, c’est souvent cette demoiselle qui en est la cause.

L’important pour ceux qui veulent assister à un tel spectacle, c’est de se déplacer lentement car le sol qui contient énormément de tourbe émet des vibrations qui pourraient les effrayer. Et si vous remarquez qu’une personne ou qu’un groupe de promeneurs a l’air immobile, comme figé, vous savez qu’il faut se faire léger et des plus silencieux. En général, à cette époque, il y a toujours quelques professionnels ou semi-professionnels à faire des photo-shootings.



La couleuvre à collier


La couleuvre à collier (natrix natrix) qui est très courante dans les milieux humides d’Allemagne du Nord se reconnaît à deux éléments principaux. Comme le nom l’indique en français, elle porte un collier jaunâtre autour du cou qui s’arrête au niveau des joues, formant une demi-lune de chaque côté d’une tête arrondie. A la différence des vipères, ses pupilles sombres sont rondes. Son corps mince peut atteindre jusqu’à deux mètres de long. Les couleuvres à collier que j’ai vues jusqu’à présent avaient un corps d’un gris verdâtre alors que la partie ventrale était plus claire.
Dans l’eau, les couleuvres se déplacent étonnamment vite, la tête bien drue, tandis que le corps décrit d’élégants zigzags réguliers. De temps à autre, on les voit plonger et il paraît qu’elles peuvent rester une trentaine de minutes sous l’eau, à la recherche de nourriture. Je n’ai jamais minuté mais elles sont remontées bien plus vite. Lorsqu’elles viennent de sortir de l’eau, leurs écailles humides scintillent encore un peu plus au soleil. La couleuvre est un être essentiellement aquatique mais on les trouve aussi sur terre. Alors, elles sont « en boule » ou étendues sur une pierre afin de récupérer la chaleur du soleil. Elles ont même tendance à gonfler un peu leur corps lorsqu’elles font leurs réserves.

Je le répète :
Inoffensives pour l’homme et protégées par la loi, elles ne sont pas venimeuses du tout. Comme nous, elles aiment bronzer au soleil mais elles prennent la poudre d’escampette dès qu’elles ont repéré notre présence et qu’elles se sentent en danger. Du coup, on voit plus souvent leur queue fine que leur tête.



Deux couleuvres enlacées au soleil.
Est-ce que vous découvrez la couleuvre qui nage en plein milieu de l’étang?

La vipère péliade

Au bord du sentier, cette vipère profite des rayons de soleil pour se réchauffer.


La vipère péliade (vipera berus) est rare même si elle vit surtout dans le Nord de l’Allemagne. Sa présence est plutôt limitée aux zones marécageuses telles que les tourbières et les landes ou clairières. L’animal que j’ai rencontré se trouvait au bord d’un petit sentier entouré d’herbes sèches et de bruyère à une centaine de mètres de l’eau.
A sa posture en lacets, à son corps trapu ainsi qu’à sa réaction « territorialiste », j’ai tout de suite remarqué que ce n’était pas une couleuvre et qu’il valait mieux marcher lentement, ne pas m’en approcher trop et faire un petit détour. Au contraire de la couleuvre à collier, la vipère péliade est venimeuse (elle aussi est protégée). D’ailleurs, c’est la seule qui pourrait être dangereuse ici. Sa pupille verticale, son œil rougeâtre, sa tête plus triangulaire et la présence de narines lui donnent un air plus « féroce » et comme il s’agissait dans mon cas d’un spécimen mélanique ce qui veut dire qu’elle était toute noire (la langue aussi), elle inspirait le respect. Elle s’est positionnée entre les herbes, s’est mise à siffler et à lever la tête pour signaler qu’elle était prête au combat.
Je crois qu’elle a été dérangée dans son sommeil et qu’elle a eu sacrément peur, la pauvre. En tout cas, elle a quitté l’endroit en même temps que moi.



Il s’agit ici d’une vipère mélanique donc noire ce qui est assez courant dans les zones de marécages et de tourbières. En allemand, on les appelle des « Höllenotter », donc « vipères de l’enfer ». Il lui manque les zigzags habituels brun foncé sur le dos.
Intéressée par le bâton, elle le renifle de la langue (noire jusqu’au bout !).

Les « goudounes »

Les batraciens, eux, sont plutôt dans l’eau ou juste au bord et plus occupés à chanter à haute voix et à rameuter tout le quartier que de s’occuper de vous. Les hormones… Il faut vraiment bouger brusquement et leur faire de l’ombre pour qu’ils se sentent en danger et qu’ils prennent le large.



Encore quelques mots sur le Kaltenhofer Moor

Le marécage de Kaltenhof est protégé depuis le début des années 1940 mais jusqu’en 1953, on venait y chercher de la tourbe. Les gens de la région avaient besoin de combustible. Cette mare aux serpents n’est en fait pas naturelle, elle a été créée par l’homme et à la place de tout ce volume d’eau actuel, il y a eu de la tourbe dans le passé. Une tourbe partie en fumée au cours des derniers siècles.

En 1999, cette zone marécageuse et la forêt de Stodthagen qui l’entoure ont été déclarées zones protégées Natura 2000. En tout cas, non seulement pour les couleuvres mais aussi pour les vipères et les sonneurs à ventre de feu qui sont tous les deux très rares, c’est un vrai paradis.

*Petite actualisation : La pandémie a laissé des traces ici aussi. La forêt a été tellement fréquentée pendant le confinement et le déconfinement de 2020 que l’association chargée du site a décidé de fermer certains sentiers (les plus beaux et les plus sauvages, bien sûr !) afin de préserver la faune. Depuis le mois de septembre 2020, elle canalise donc les visites en proposant trois circuits qui font découvrir la forêt, les marais et la mare. Un avantage pour les novices : on ne se perd plus aussi facilement.



Et qui s’intéresse aux oiseaux, devrait regarder la zone de pâturages derrière le parking car au printemps, vous y verrez des oies, des hérons, des aigrettes et des grues cendrées. Et si vous êtes patients (ou chanceux), vous risquez aussi de tomber sur un aigle.



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