Le charme du chaume
Tous les ans à la même époque, mon toit se transforme en champ de bataille.
Début mars, tout un tas d’insectes sommeillent entre les briques de mes vieux murs et dans le chaume de ma toiture. Pas étonnant donc que les oiseaux, affamés, se ruent sur cette grande surface à la recherche de bestioles et que le matin, on trouve les restes de leur pique-nique par terre.
En l’espace d’une quinzaine d’années, ce toit est devenu une véritable jungle où poussent pêle-mêle toutes sortes d’algues, de mousses, de jolis lichens à trompette et les champignons les plus fantaisistes.
Un avantage : cette moquette verdâtre auto-fertilisante rend le jonc vivant, c’est le côté écolo du chaume. Un inconvénient : tout ce microcosme contribue à la décomposition de mon investissement.
Aussi, un petit nettoyage régulier, en l’occurrence celui involontaire des petits oiseaux, est bienvenu car le chaume coûte cher. Plus cher que la tuile, c’est un fait.
Tout d’abord, il y a la confection ou la réfection — la grosse facture de l’artisan chaumier. Ensuite, il y a l’assurance — la facture du mois de janvier — assez grosse elle aussi. Il vaut donc mieux que ce toit dure longtemps : jusqu’à 45 ans paraît-il. Une question d’inclinaison, d’humidité, d’aération, de qualité et d’entretien.
Mais qui vit sous un toit de chaume, sait qu’il apporte une qualité de vie indéniable. Isolant et chaud l’hiver, il est synonyme de fraîcheur l’été. En terme de durabilité et d’écologie, il est idéal aussi.
Au final, quand on aime les matériaux rustiques, il y a de quoi tomber sous le charme de ce genre de toitures — même lorsqu’un tapis de mousse recouvre la surface peu à peu.
De toute façon, cette flore fait partie de l’histoire des toits de chaume depuis qu’ils existent — des millénaires.
Cette spécialité très répandue dans le Nord de l’Allemagne, je vais vous la présenter de ce pas et j’en profite pour vous conseiller un musée en plein air : celui de Molfsee près de Kiel qui vous en apprendra plus sur le sujet.
Les chaumières du Nord
Dans le nord de l’Allemagne, les chaumières sont encore à l’ordre du jour, surtout en milieu rural.
Les toits
Evidemment, le chaume est plutôt rare sur les maisons neuves et en ville, vous n’en trouverez pratiquement pas. Cependant, le jonc a encore ses adeptes. Certains quartiers résidentiels construits récemment ont même misé sur ce matériau traditionnel. A Sylt et à Gelting par exemple — pour attirer les touristes à cause du cachet identitaire — ou à Achterwehr, dans le parc naturel de Westensee, où toutes les habitations d’un lotissement ont été pourvues de toits de chaume.
En fait, ce type de toiture n’est pas simplement rétro, rustique ou romantique. Il est surtout le mode de construction le plus ancien et donc le plus traditionnel sur la péninsule du Jutland. En effet, lorsque les premières peuplades du Nord décidèrent de se sédentariser il y a quelques milliers d’années, elles utilisèrent les matériaux qu’elles trouvèrent à proximité : les tronc des arbres environnants pour la charpente, les branchages pour les treillis, l’argile des sols pour les murs ainsi que les roseaux des lacs et des marécages pour le toit. Au musée de Haithabu (Schleswig) qui est consacré à la culture des Vikings et au Wallmuseum d’Oldenburg in Holstein, le musée des Slaves, vous verrez quelques reconstitutions historiques de maisons datant du Haut Moyen-Age.
Ce mode de construction resta prépondérant jusqu’à l’essor des villes au Moyen-Age, donc pendant des milliers d’années. Ce n’est qu’à la fin de cette période et après avoir constaté que la promiscuité favorisait les incendies que les habitants commencèrent à privilégier d’autres matériaux de construction, la tuile en l’occurrence. La ville de Flensburg interdit par exemple ces toits écologiques mais hautement inflammables à partir de 1388.
Cependant, à la campagne, le chaume resta une ressource privilégiée car elle était peu coûteuse si bien qu’il était encore commun de l’utiliser pour la toiture des fermes et des granges au début du XXe siècle. Les maisons anciennes que vous verrez en vous promenant dans le Schleswig-Holstein datent souvent du XVIIIe ou XIXe siècle. Si certains toits, souvent volumineux, sont recouverts de tôles métalliques (parfois, les plaques sont posées directement sur les vieux roseaux), c’est surtout pour des raisons économiques car la réfection du chaume est devenue chère.
Les murs
En ce qui concerne les murs extérieurs qui étaient en argile à l’origine, ils furent remplacés par un matériau plus imperméable lorsque la brique fit son apparition dans les habitats ruraux. Pendant des siècles, le sol essentiellement argileux du Nord favorisa d’ailleurs la création de briqueteries. Il permit aussi à la population de puiser dans les ressources locales. Quant aux murs intérieurs, ils restèrent longtemps composés de pans de bois dont les carreaux étaient remplis de briques en terre crue. Dans le cas de ma chaumière, les bois et les hourdages qui datent des années 1860 avaient été recouverts d’enduits colorés :
Lorsque les relations commerciales s’intensifièrent avec la Hollande au XVIIe siècle, les murs de certains salons, les fameuses « Friesenstuben » qu’on trouve surtout sur la côte ouest, furent recouverts de carreaux en faïence — les céramiques de Delft étant signe d’aisance. D’autres posaient des lambris de bois. Plus tard, les premiers papiers peints firent leur apparition. Vous pouvez voir quelques exemples d’intérieurs dans de vieilles chaumières de la mer du Nord qui servent aujourd’hui de restaurants ou au musée en plein air de Molfsee.
A l’intérieur des murs, le jonc avait son importance aussi, il était par exemple cloué à l’ossature des colombages pour faire tenir la couche d’argile. Quant aux plafonds qui séparaient la partie habitable de l’immense grenier (qui s’étendait en général jusqu’au faîte), ils étaient souvent isolés avec des nattes de roseaux.
Les sols
Le sol en terre battue, la brique et les dalles de pierre restèrent longtemps un élément traditionnel des chaumières. Les parties habitées des fermes anciennes avaient souvent aussi des planchers en bois.
Encore aujourd’hui, dans les chaumières privées, certaines pièces comme les couloirs, les entrées et les cuisines ont du terrazzo, un matériau qui fit son apparition dans la première partie du XXe siècle. Il a l’avantage d’être très résistant. Un inconvénient cependant : il est froid puisqu’il est posé directement sur le sol.
Les maisons traditionnelles que vous verrez dans le Nord de l’Allemagne sont donc globalement parlant faites de bois courts et de briques ainsi que de grandes toitures en chaume.
Le musée de Molfsee
Qui s’intéresse aux habitats ruraux traditionnels, en l’occurrence à ceux du Schleswig-Holstein, trouvera son bonheur un peu partout dans la campagne et dans les petits villages. Et si vous êtes attentifs aux détails en vous promenant, vous constaterez que malgré les ressemblances, il y a tout de même des nuances et des spécificités régionales : la couleur des briques et des parties en bois, la forme et la taille des bâtiments, les matériaux utilisés pour le faîte par exemple.
Mais pour faire le tour de la question en une journée, vous avez une autre solution : vous pouvez aussi vous rendre au musée en plein air de Molfsee.
Là, vous trouverez 70 bâtiments historiques issus des grandes régions du Schleswig-Holstein. Dans le paysage bucolique du sud de Kiel et à quelques kilomètres de la mer Baltique (une bonne occasion pour finir la journée en beauté !), vous pourrez aller d’une habitation à l’autre, entrer dans les fermes et les moulins, fureter dans les jardins et admirer le bétail qui vient de l’Arche de Noé et qu’on trouve dans les enclos et dans les prés.
En règle générale, surtout en saison, il y a aussi des artisans qui exposent leurs produits et montrent leur savoir-faire dans certains bâtiments.
L’écomusée qui existe depuis 1965 et qui fait en tout 60 hectares a été créé dans un souci de préservation du patrimoine et d’après un principe géographique si bien que sur votre chemin, vous découvrirez les éléments typiques des différentes régions, les plus représentées en nombre étant celle du nord-est (Angeln) et la région qui se trouve à l’est de Kiel, la Probstei.
Voici pêle-mêle quelques impressions de ce très beau musée qui mérite d’être visité :
En vous promenant soit à pied soit à bord du petit train historique, vous serez transportés dans les régions de la mer du Nord et dans celles de la côte Baltique, mais aussi à l’intérieur des terres et vous aurez même accès aux petits potagers :
Ici, nous voici près de la mer du Nord :
La Frise du Nord — Nordfriesland en allemand — se trouve dans la partie nord-ouest du Schleswig-Holstein. Il s’agit d’une région au relief plat dont les sols tourbeux et humides sont balayés régulièrement par les vents.
Cette région comprend également les îles de la côte dont celle de Sylt où se trouvait la maison de Lorenz Petersen de Hahn, inspecteur des plages et des dunes. Il l’avait fait construire en 1699.
A l’époque, cette côte vivait de la pêche à la baleine, les hommes partant traditionnellement le 22 février vers le Groenland et ne revenant qu’à l’automne. Historiquement parlant, le commandant de Hahn peut être considéré comme le baleinier le plus important de l’île. Il était aussi le plus riche car en trente ans de sorties en mer, il avait réussi à tuer 169 baleines. Pour les gens de l’époque, un record, pour nous, un sacrilège. Ce chiffre d’affaires représentait beaucoup de viande et de graisse, mais aussi une énorme fortune. On parle de quatre millions d’euros (après conversion bien sûr). Il était donc très riche, cependant sa vie resta somme toute assez modeste — très croyant, il versait de l’argent à l’église et aidait les pauvres. Pas étonnant car le métier était dangereux.
Dans sa maison, vous trouverez des ossements de baleines, trophées que les pêcheurs ramenaient habituellement de leurs sorties. En guise de portail, il avait aussi planté deux os de mâchoires dans la terre.
En règle générale, les bâtiments historiques qui témoignent de l’architecture du XVIIIe et du XIXe siècle ont été reconstitués après avoir été démontés dans leur terroir respectif. La maison la plus ancienne date de 1569, la plus récente, une laiterie, de 1914.
Certaines sont impressionnantes par leur taille ou par leur confort. C’est le cas des bâtiments de ferme de la Probstei qui, spacieux, sont entourés de dépendances et celui des grandes « Haubarge » de la côte ouest. D’autres par contre, de toutes petites habitations comme les maisons de pêcheurs du village de Gothmund, attestent de la pauvreté de leurs habitants.
Dans l’enceinte du musée, vous ne trouverez pas que des habitations, mais aussi des granges, des forges et des greniers qui retracent la vie rurale d’autrefois à travers les outils et les objets présentés.
Quant aux moulins, vous pourrez en admirer plusieurs modèles, entre autres un moulin à vent de style hollandais, un moulin sur pivot et un moulin à eau.
En conclusion
Si ce sujet vous intéresse, le musée en plein air de Molfsee est très intéressant à visiter puisqu’il vous fait voyager dans le temps et dans l’espace en quelques heures. Personnellement, je lui réserverais une journée.
Qui a envie de voir de vieilles chaumières dans leur lieu d’origine, en verra ici et là dans les petites villes, mais il en trouvera en grandes concentrations entre autres dans ces villages :
- Gothmund (région de Lübeck)
- Unewatt (région de Flensburg)
- Flemhude, Achterwehr et Westensee (région de Kiel)
- Sieseby (région de la Schlei)
- le village vacances de Gelting (région d’Angeln)
- Selent (région de Plön)
- Berghusen (région d’Eiderstedt)
Adresse
Freilichtmuseum Molfsee
Landstraße 97
Molfsee