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Gothmund ou le petit Pont-Aven de Lübeck

Une nouvelle génération de peintres s’était frayé un chemin vers le nord de l’Allemagne. Ils étaient jeunes, s’appelaient Gustav, Ernst, Max, Christian ou Anton et s’étaient rencontrés dans les différentes écoles de peinture du pays. A Karlsruhe, Weimar et Düsselsdorf notamment. Comme les peintres de Barbizon avant eux et en même temps que ceux de Pont-Aven, ce qu’ils voulaient, c’était profiter des motifs offerts par une nature immédiate.

La peinture en plein air avait fait école et l’invention de la gouache en tubes ainsi que le développement des lignes de chemin de fer rendaient la chose plus facile même s’il était encore courant de faire des croquis sur place, au pire dans une barque vacillante, avant de peindre ses toiles en atelier ou, comme dans leur cas, dans une maison de pêcheur. Le tout, c’était de se mettre en mouvement, de trouver un cadre idéal et de donner un corps à ses impressions.

La colonie d’artistes de Gothmund

En Bavière, une grande colonie d’artistes s’était créée autour des paysages marécageux de Dachau mais le Nord aussi avait ses adeptes. Il y avait un groupe de peintres très novateurs dans les landes de Worpswede et autour de la mer Baltique, des artistes étaient en train de former des colonies à Ahrenshoop sur la presqu’île de Darß et à Ekensund près de Flensburg.

Au même moment, attirés par les motifs d’un petit village de pêcheurs et les loyers bas, un groupe de jeunes hommes avait commencé à se donner rendez-vous régulièrement à Gothmund. Il n’y avait qu’à prendre le train jusqu’à Lübeck et de là, marcher en direction de Travemünde pour rejoindre la rivière de la Trave au niveau d’Israelsdorf ou prendre directement le bateau qui allait jusqu’à Gothmund.

Le village de pêcheurs qui existait depuis longtemps avait été créé entre un escarpement et les joncs qui bordent la Trave. Un chemin de halage passait juste devant mais son anse et son petit port étaient bien cachés. Ce pied-à-terre avait été utilisé par les pêcheurs comme station intermédiaire pendant des siècles car la distance à parcourir entre la mer et le port de Lübeck était trop longue. Il valait mieux faire une halte et au fil du temps, ils avaient construit une vingtaine de maisons au bord de l’eau, installé des pontons dans les jardins et fait venir leurs familles.


Il paraît que les troupes de Napoléon qui avaient entendu parler de ce port caché dans les roseaux n’ont pas trouvé Gothmund. D’après une autre légende, lorsque les Français arrivèrent, les habitants leur donnèrent tellement d’alcool à boire qu’ils n’arrivèrent pas à retrouver l’endroit par la suite. Le flou le plus complet…

L’aventure commune des jeunes artistes avait débuté vers 1889 bien que Gustav Wendling y ait déjà séjourné avant puisque son tableau intitulé « Fischerdorf Gothmund » (Village de pêcheurs de Gothmund) date de 1884. On y voit une rive animée par ses habitants qui rappelle un peu les tableaux bretons de Pont-Aven : un bateau à voile prêt à partir, un autre dans lequel s’affaire un pêcheur, un groupe en train de bavarder et au premier plan, une femme qui lave son linge au bord de l’eau. Parmi toutes ces couleurs chaudes, des draps blancs sèchent dans le vent. Au fond, les toits des chaumières s’élèvent entre les arbres et les jardins. Une vie simple de labeur en pleine nature.

Les huiles, les gouaches et les dessins résultant de leur travail dégagent la même impression. Ainsi, on trouve par exemple le portrait d’un pêcheur ou de la tenancière d’un café, diverses toiles et estampes colorées représentant les chaumières d’Israelsdorf et de Gothmund ainsi que leurs jardins, le petit port de Gothmund caché dans les joncs et son matériel de pêche. Ou bien des scènes du quotidien : un bateau sur l’eau à la pleine lune, un pêcheur qui ramène ses filets en brouette, un homme qui rentre à la maison après le travail ou simplement la rivière de la Trave avec ses piquets, ses tonneaux et ses nasses.


Lorsqu’on se trouve au bord de la Trave, les chaumières et le port de pêche de Gothmund paraissent toujours aussi idylliques.

Les jeunes artistes restaient quelque temps, dessinaient ensemble, peignaient, discutaient avec les habitants, se promenaient sur la Trave et le long de la rivière puis repartaient, des croquis sous le bras et le tête pleine d’idées. Plus tard, d’autres vinrent, attirés eux aussi par la beauté du site, cependant, la colonie d’artistes de Gothmund n’eut jamais le succès d’Ahrenshoop. Il est d’ailleurs possible que l’incendie qui ravagea le village en 1893 et détruisit un tiers des chaumières y ait contribué. Il fallut des années avant que le village retrouve une certaine homogénéité* et le caractère idyllique recherché par les impressionnistes de l’époque.

Néanmoins, aujourd’hui encore, à côté de la décoration un peu passéiste et des éléments kitsch de certains jardins, on trouve les motifs d’antan : les toits de chaume et les vieilles cabanes en bois ; le linge qui sèche au vent en plein milieu des grands tournesols, les pommiers tordus et les filets de pêche ; enfin, les bateaux cachés dans les roseaux au bord de l’eau. Même si seules trois familles vivent de la pêche aujourd’hui, le village de Gothmund qui est rattaché à Lübeck de nos jours témoigne encore de son attachement au bon vieux temps. C’est comme si un petit air de nostalgie planait au-dessus des pointes de chaume !

*Les maisons détruites furent remplacées par des constructions plus modernes. Ces maisons n’ont d’ailleurs pas forcément de toit de chaume. Vous remarquerez aussi qu’elles ont été bâties plus en hauteur. En effet, en 1872, toute la côte avait été victime d’une grande crue millénale et les maisons avaient été inondées. Tant qu’à reconstruire, il valait mieux faire plus sûr.


Voici à quoi ressemblait le village de Gothmund il y a un peu plus de cent ans : des chaumières, des jardins et des baraques en bois pour stocker les outils de pêche. Au fond, des bateaux passaient sur la Trave.

Un petit tour dans Gothmund

Gothmund se découvre pas à pas car il n’est accessible qu’à pied. Par contre, ne partez pas du principe que vous y passerez la journée car à moins d’avoir prévu une demie-journée artistique et de prendre un tas de photos ou de faire des dessins, vous pouvez faire le tour du quartier en un quart d’heure. Aussi, je vous conseille de combiner la visite avec autre chose. Rassurez-vous, je vous donne quelques conseils plus bas.

Une seule route qui se termine en impasse mène au village : le Gothmunder Weg. De là, on a déjà une première vue d’ensemble sur le quartier historique de Gothmund car le cul-de-sac fait en quelque sorte office de plate-forme. En descendant sur la droite, on se retrouve dans une petite ruelle piétonne qui rejoint plus bas un chemin en sable. C’est le seul moyen de traverser le village. Les chaumières se succèdent, les jardins aussi.

Comment font les habitants pour ramener leurs courses à la maison ? A quoi ressemble un transport de meubles ? Pire encore : un déménagement ou une rénovation ? Il ne se fait probablement plus en bateau comme autrefois mais qui sait si quelqu’un déménage une fois qu’il a élu domicile ici, dans cette petite alcove…


Des maisons aux toits de chaume et au milieu, un chemin qui traverse le village, c’est Gothmund qui se fait à pied, comme avant.

Nous sommes à dix kilomètres au nord de Lübeck. A cet endroit, la rivière de la Trave fait un grand virage vers l’est avant de remonter en direction de la mer et de la rejoindre au niveau de Travemünde. Cette rivière a subi de fortes modifications dans le passé et à Gothmund, elle ressemble plus à un canal qu’à une rivière. En face, on voit d’importants stocks de bois qui attendent d’être transportés vers les scieries des environs donc on ne peut pas forcément parler d’un vis-à-vis esthétique. Ou justement, c’est ce qui fait son esthétisme. De temps en temps, un gros bateau passe mais plus souvent, il s’agit de voiliers qui glissent doucement sur une bande bleutée.


Les jardins donnent directement sur la Trave. Entre la rivière et les habitations, le petit port de Gothmund est protégé par les roseaux. De l’autre côté, les quais en béton ne sont pas franchement très beaux mais ils font partie du caractère maritime des lieux.
Souvent, les jardins ont des allures de jardins d’ouvriers. Propret !

En traversant le village, vous tomberez sur des chaumières classées historiques. Elle se trouvent entre le n° 10 et le n° 18. La maison au n° 19 quant à elle, n’est pas historique même si elle en a l’air. Le chaume est souvent trompeur. Par son caractère ancien, il confère de l’âge aux choses. En fait, la chaumière d’origine a été vendue en 1966 et se trouve aujourd’hui au musée en plein air de Molfsee près de Kiel. C’est d’ailleurs cette maison que Christian Rohlfs, un des artistes, a immortalisée si joliment dans plusieurs pastels. Par contre, je me demande pourquoi la maison de Molfsee n’a pas les couleurs pétillantes du dessin. La façade a été peinte en blanc alors que chez Rohlfs, elle est rougeâtre.

Votre petite promenade vous fera passer devant une vingtaine de maisons et de jardins. Vous serez peut-être étonnés de voir que les habitants exposent leurs vieux outils de pêche et leurs coffres à l’extérieur tandis que les fenêtres présentent souvent tout un lot d’antiquités. Certaines devantures m’ont fait un peu penser à des natures mortes ou à une brocante mais bon, quand on est habitué à voir passer du monde avec des appareils photo et quand on est fier de Gothmund et de son passé, on soigne certainement le style « Vieux village de pêcheurs ». En tout cas, ça fait joli.


Le n° 15 fait partie des maisons classées historiques. Les propriétaires présentent leurs antiquités et contribuent ainsi au charme du quartier.

Dans les fenêtres des garages aussi, on trouve de jolies décorations qui rappellent que Gothmund est un village de pêcheurs.

A côté de ces décorations muséales, certains éléments font penser aux jardins d’ouvriers. Ici et là, il y a des petits nains en plastique ou des grenouilles bricomarché à grande bouche. Ce kitsch est un peu déroutant pour qui essaie de retrouver l’enthousiasme des jeunes impressionnistes et pourtant, il fait partie de l’idylle de Gothmund. A vous de sélectionner les motifs qui vous plaisent !



En tout cas, dans les jardins qui se trouvent au bord de l’eau, vous verrez des bateaux et des pontons. Les habitations des pêcheurs se reconnaissent à tout l’attirail stocké au bord de l’eau et aux vêtements de pêche qui sont pendus sous les porches.



En prenant des photos de tous ces tas de plastique fluo, des tiges rouillées et des bouts de polystyrène stockés sous les toits, je me suis posé une question :

D’où nous vient cet engouement si vivace pour les motifs maritimes ?

Il ne semble pas dater d’aujourd’hui puisque les artistes d’autrefois les aimaient eux aussi. La pêche a toujours été un métier difficile et la situation actuelle ne la rend pas romantique pour un sou. C’est peut-être un aspect que voulaient aborder les peintres mais en quoi réside le charme d’un bateau à quai, d’un méli-mélo de filets ou d’un fanion de pêche effiloché aujourd’hui ? A chacun de répondre comme il l’entend (si même il l’entend ainsi). En tout cas, il est présent à Gothmund.

Plus loin, sur la gauche, le regard se perd dans les joncs où se cachent les lagunes de Schellbruch. Mais avant d’y aller, je vous emmène tout près du port de pêche.



Le chemin de halage de la Trave

En quittant le village, vous laisserez les habitations derrière vous. Très rapidement, elles disparaissent à nouveau derrière les roseaux.



Le chemin de halage de la Trave que vous suivez, le Treidelweg, permettait auparavant de tirer les bateaux lorsque le vent ne permettait pas de se déplacer à la voile.


A Gothmund, la rivière qui fait en tout 124 kilomètres de long ressemble plutôt à un canal, ses rives à un entrepôt. Nous sommes à quelques kilomètres de l’embouchure et du fjord.

Aujourd’hui, on peut s’y promener et en le suivant vers l’ouest, on se dirige automatiquement vers la réserve naturelle de Schellbruch qui est composée de roselières et de lagunes.



En chemin, on rencontre de beaux voiliers ainsi que des navettes qui organisent des mini-croisières sur la rivière.



Parfois, un groupe d’oies sauvages traverse le ciel d’octobre. Pas étonnant car pas très loin, il y a les plans d’eau. Un spectacle pour les amateurs d’oiseaux, surtout en automne !

A faire dans le coin

  • parcourir le chemin de halage de la Trave et faire le tour de la réserve naturelle de Schellbruch
  • se promener le long de la falaise appelée Brodtener Ufer entre Travemünde et Niendorf
  • aller à la découverte du village de pêcheurs de Niendorf
  • visiter le port de Travemünde et faire le tour de la presqu’île de Priwall
  • faire la ville de Lübeck de long en large et visiter ses musées

Informations et sources

  • Le site dédié à Gothmund donne des renseignements sur l’histoire du village de pêcheurs (en allemand).
  • Sur un site créé par un artiste de la région, vous trouverez des textes sur les différents artistes de la colonie d’artistes de Gothmund ainsi que certaines de leurs œuvres (en allemand).
  • L’article sur wikipedia est complet et peut vous renseigner sur la colonie (en allemand).