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Friedrichstadt — La (toute petite) Venise du Nord

À Friedrichstadt, il n’y a pas de sérénades, même pas sous le plus beau soleil. Pas de sole mio amoureux ni de mandolines aux balcons comme on se les imagine à Venise. Cette « ville hollandaise » en plein pays allemand ne peut pas non plus se vanter d’avoir mille ponts ou un immense réseau de canaux car elle est toute petite. Pourtant, parmi les sites touristiques du Schleswig-Holstein, elle fait partie des classiques — et des grands coups de cœur de la mer du Nord.

Rendons-nous à une vingtaine de kilomètres de la côte, dans la région d’Eiderstedt. A nous les façades hollandaises, les vélos fleuris et l’atmosphère aquatique d’une ville posée sur l’eau qu’on surnomme communément « le petit Amsterdam » — Friedrichstadt, la (toute) petite Venise du Nord.


Petit mais joli !

Le monde du tourisme aime les comparaisons et les exagérations. Ici, sur la côte ouest du Schleswig-Holstein, il n’y a pas de grandes villes. Husum est la plus peuplée avec 24.000 habitants. Aussi, comparer Friedrichstadt à Amsterdam, c’est assez osé.



En fait, Friedrichstadt ne compte pas plus de 2.400 habitants. Le tour de la ville est donc vite fait, cependant, comme le lieu est charmant, il invite à la flânerie et donne envie d’apprécier ses rangées de maisons en briques peintes, sa place couronnée de pignons à créneaux, ses ponts et ses canaux bien ordonnés. Bref, de découvrir son petit côté néerlandais.


La presqu’île d’Eiderstedt

Pour commencer, quelques informations géographiques…

Le littoral de la mer du Nord évolue au quotidien. Il faut dire que son relief est excessivement plat si bien qu’en quelques siècles, un grand nombre d’îles et de terres ont disparu des cartes, happées par les tempêtes et le balancement des marées. Deux exemples : Rungholt a été anéantie au Moyen-Age, quant à l’îlot de Nordstrandischmoor, il se bat régulièrement contre les éléments. Dans le même laps de temps, de grandes surfaces côtières se sont créées grâce aux dépôts de nouveaux sédiments.

Mais la mer n’est pas la seule à avoir contribué à la formation du littoral actuel. Depuis que l’homme s’est installé dans cette région, il n’a pas chômé. A grand renfort de canaux et de fossés, il a asséché les marais. Pour protéger ses habitations, ses plantations et son bétail, il a construit des centaines de kilomètres de digues. Enfin, attiré par les terres inondables riches en sel, il a voulu gagner du terrain. Peu à peu. Tous les jours. Sans relâche. Comme on peut le voir à Schobüll, à Nordstrandischmoor ou à Westerhever aujourd’hui.


Nordstrandischmoor
Westerhever

C’est ainsi qu’a été créée la région d’Eiderstedt à partir du XIIIe siècle. Difficile de se l’imaginer mais auparavant, cette grande langue de terre n’existait pas. Au Moyen-Age, vous y auriez trouvé de l’eau et peut-être quelques bateaux de pêche ou des drakkars.



Aujourd’hui, cette grande péninsule fait 30 km de long sur 15 km de large et ses côtes attirent de nombreux touristes à toutes saisons. St. Peter-Ording, par exemple, fait partie des endroits les plus visités de la région car cette ville balnéaire a le privilège d’avoir de grandes dunes qui la protègent et des plages de sable fin sur des kilomètres.

Sankt Peter-Ording

En matière de protection côtière, vous trouverez également le barrage de l’Eider vers Tönning. Lui aussi démontre quelles mesures impressionnantes sont prises au quotidien afin de protéger l’arrière-pays des caprices de la mer.

Friedrichstadt

La ville de Friedrichstadt se trouve au commencement de la péninsule, là où la rivière de l’Eider coule vers la mer du Nord et où la Treene, son affluent, la rejoint.


Au bord de la rivière de la Treene

« Le petit Amsterdam » dispose donc, à l’instar de son modèle, d’une coulisse aquatique avec deux beaux courants d’eau, plusieurs petits ports et des canaux qui quadrillent la vieille ville en quartiers minuscules.

La création du petit Amsterdam

Remontons maintenant le cours de l’histoire et concentrons-nous sur la création de Friedrichstadt qui resta danoise jusqu’en 1864 (à moins que le duché de Schleswig n’ait eu les commandes). La naissance de la ville remonte au XVIIe siècle. A cette époque, l’Allemagne est ébranlée par les guerres de religion. Mais alors que la Réformation et la Guerre de Trente ans font des ravages dans la plupart des régions, la partie ouest du Schleswig-Holstein, de tradition agricole et commerçante, reste assez paisible.



C’est en 1621, en plein milieu de ces guerres, qu’une vague de réfugiés venus des Pays-Bas arrive dans le Scheswig-Holstein, fuyant les persécutions religieuses de leur pays. Ils ont été invités par Frédéric III, le duc de Holstein-Gottorp qui leur a proposé de s’installer sur un petit îlot situé entre la Treene et l’Eider. Il n’y a pas forcément d’humanisme derrière cette invitation. Quelques années plus tôt, son oncle, le roi du Danemark et de Norvège, avait fondé Glückstadt au bord de l’Elbe de la même manière. A l’instar de Christian IV qui voulait ainsi s’assurer le contrôle de la région, il pense créer sa ville à lui : « la ville de Frédéric » — Friedrichstadt.



L’île en question, Seebüll, s’est formée naturellement quelque temps plus tôt lors de la construction d’un barrage construit entre les deux rivières. En tout, il y a assez de terrain pour y bâtir une petite ville. En contrepartie, le duc promet des privilèges et des avantages aux nouveaux arrivés dont la liberté de religion et la possibilité de régir la ville « à la Hollandaise ». Évidemment, cette alliance est intéressante pour le duc. Les Néerlandais sont réputés pour leurs connaissances en matière d’architecture, de commerce, de construction de digues et d’assèchement des marais. Frédéric part donc du principe que la région (et ses caisses évidemment !) profitera de leur savoir.


A leur arrivée, les nouveaux habitants se mettent à la tâche. Ils font venir des matériaux de leur pays d’origine et bâtissent ce petit joyau qui ressemble aujourd’hui à une toute petite miniature d’Amsterdam. Quant aux marécages et aux terres régulièrement inondées qui entourent la ville, ils les rendent peu à peu arables en construisant des digues et en canalisant les eaux.



Etant donné que l’Eider se jette dans la mer du Nord, Friedrichstadt connaît un essor économique rapide grâce au transport de marchandises. Ce commerce maritime florissant est intensifié au XVIIIe siècle après la construction d’un canal, le Canal du Schleswig-Holstein, car cette nouvelle jonction permet de faire voyager les biens à l’intérieur des terres — jusqu’à la mer Baltique.



Maintenant, vous comprenez certainement mieux pourquoi on appelle Friedrichstadt aussi « Holländerstadt » — la ville hollandaise. Mis à part l’effet de pub, il faut rendre à César ce qui est à César. Sans ces migrants pleins de dynamisme, la ville n’aurait pas ce cachet si sympathique et amstellodamois aujourd’hui. Et même s’il y a eu un effet d’assimilation depuis, il paraît que dans l’église de Remontrants, la bénédiction et le « Notre Père » sont encore prononcés en hollandais de nos jours. Douze fois par an, un pasteur vient spécialement des Pays-Bas pour les messes.


L’influence néerlandaise dans le nord de l’Allemagne

L’architecture de Friedrichstadt n’est pas le seul témoin d’une influence hollandaise sur les côtes frisonnes. Les régions de la Dithmarse, d’Eiderstedt et de la Frise du Nord profitèrent très tôt du savoir-faire des migrants néerlandais ainsi que de leurs relations commerciales avec les Pays-Bas. Les Hollandais contribuèrent entre autres à développer l’économie et l’agriculture du nord de l’Allemagne. C’est grâce à eux que se développa la production fromagère dans le Schleswig-Holstein et que l’on apprit à enrichir les sols marécageux et tourbeux de la côte. A les exploiter également car la production salicole, le sel frison en l’occurrence, fait partie de l’histoire de ce littoral. Les régions côtières du Nord leur doivent évidemment beaucoup aussi en matière de construction de digues.

Parallèlement, certains objets témoignent des contacts et échanges culturels rapprochés entre les Hollandais et la côte frisonne à partir du XVIIe siècle. En visitant de vieilles chaumières de la mer du Nord (on en trouve également au musée en plein air de Molfsee et le musée de Husum expose l’intérieur d’une maison frisonne dans une de ses salles), vous remarquerez qu’elles contiennent du carrelage de Delft, des faïences bleues de Hollande qui firent apparition dans les maisons à partir de 1700. Pour carreler un salon (la fameuse « Friesenstube »), on utilisait jusqu’à 3000 carreaux ce qui représentait une fortune mais ils étaient à la mode.

Pour finir, voici quelques exemples d’apports culturels qui perdurent : l’importante consommation de thé au quotidien, surtout en Frise orientale, et un jeu de boule appelé « Boßeln » qui se joue plutôt l’hiver et entre deux équipes.

L’essor du tourisme

Dans l’histoire de la ville, l’année 1850 marque un tournant. L’Europe est alors marquée par divers courants nationalistes qui sont loin d’être paisibles. Pendant les guerres du Schleswig-Holstein, la ville est bombardée. 137 maisons sont incendiées, presque 300 sont endommagées. Après les conflits, il faut donc reconstruire une bonne partie de la ville ainsi que les églises des communautés catholique et remonstrante.


A la fin du XIXe siècle, la situation économique se dégrade à Friedrichstadt lorsqu’un nouveau canal, l’actuel Canal de Kiel, est inauguré en 1895. Son tracé est bien plus rapide et plus direct pour passer d’une mer à l’autre. Il représente aussi un atout international puisqu’il offre un raccourci de taille pour la navigation. Par contre, comme il ne fait que passer près de Friedrichstadt et pas dans la ville, « le petit Amsterdam » est voué à la reconversion.


Depuis, la péninsule s’est agrandie et la ville thermale de Friedrichstadt s’est éloignée des côtes. Elle se trouve de nos jours à 15 km des plages mais elle mise sur son charme dépaysant pour attirer les touristes. Friedrichstadt propose des activités sympathiques tout au long de l’année.

Bateaux sur l’eau

Friedrichstadt. Treene

Friedrichstadt a treize ponts, treize canaux et treize religions.

Dicton d’antan

Aujourd’hui, ce dicton n’est plus tout à fait valable. Il n’y a plus que cinq communautés religieuses actives (dont certaines sont d’ailleurs très, très petites) : les remontrants, les luthériens, les mennonites, les catholiques et les luthériens danois. Pour ce qui est de la ville, elle a toujours autant de ponts mais elle possède moins de canaux. En tout cas, j’en compte moins sur la carte. Certains ont dû être remplacés par des rues…

Néanmoins, comme toutes ces voies d’eau sont reliées les unes aux autres et qu’elles sont intégrées au système fluvial de la Treene, pourquoi ne pas faire une visite en bateau ?


En bateau-mouche ↗

La visite guidée bien classique comme on la connaît à Amsterdam ou ailleurs : une « Grachtenfahrt » d’une heure sans peiner et avec un toit sur la tête. Pratique parfois.

En pédalo ou en canoé ↗

Pour les sportifs, les ludiques et les écolos qui veulent choisir leur parcours et leur rythme. Si vous n’avez pas de matériel, vous pouvez louer sur place. Possible aussi : le stand-up paddle.

En bateau à moteur ↗

Pour le fun de faire un peu de motogodille. Sur Internet, on fait de la pub pour des bateaux électriques mais sur place, nous n’avons dégoté que son aïeul. Vieux, vibrant, pétaradant mais rigolo.

Le système routier du centre-ville — qu’il s’agisse des canaux ou des rues — est basé sur les parallèles et les perpendiculaires. Pourtant, sur l’eau, on perd un peu son sens de l’orientation au départ. A moins de jeter un coup d’œil sur la carte évidemment. Et comme Friedrichstadt n’est pas grand et qu’il n’y a pas beaucoup de canaux, on s’y retrouve vite.



Friedrichstadt est délimité à l’ouest par la rivière de la Treene et au sud par la grande rivière de l’Eider. À l’est et à l’ouest, il est entouré par deux vieux canaux appelés le Ostersielzug et le Westersielzug. Le Kurfürstengraben, un fossé navigable, crée lui aussi une limite au sud de la ville.



Tous ces canaux ont un accès direct à la Treene. Tandis qu’au nord, vous vous retrouvez sur la rivière, le Westersielzug mène au Vieux Port (Alter Hafen) et aboutit à une écluse, laquelle marque la confluence de la Treene et de l’Eider. Depuis les années 1960, il n’y a plus de lien direct entre les deux rivières.



Le centre-ville lui-même est traversé d’est en ouest par le Mittelburgwall, un fossé rectiligne qui passe devant la Place du marché et qui rejoint la Treene. C’est de ce canal que sont généralement prises les photos du pont en pierre qu’on trouve dans les guides ou sur les prospectus.



Sincèrement, j’en préfère un autre plus intimiste (même s’il n’est pas le plus joli) : le Hebammenbrüch. Ce petit pont qui enjambe le Ostersielzug permet d’accéder à une autre petite île. Ici, tout est petit mais d’autant plus ravissant.



En allant par là, vous verrez des enfilades de maisons en brique et leurs jardins ouvriers. Et en passant par les canaux, vous aurez des vues insolites sur ce quartier plus populaire. A vous la beauté nonchalante des petits jardins et les berges aménagées avec amour. L’Ostersielzug ressemble à une rue. Il y a des trottoirs privés miniatures des deux côtés et des embarcations garées un peu partout.



Un Français illustre à Friedrichstadt

Au fait, parmi ses réfugiés, Friedrichstadt compte un Français très connu. En effet, en 1795, la ville reçoit la visite d’un certain Monsieur de Vries, jeune homme qui travaille en tant que professeur et qui ne reste en tout que quelques mois. En réalité, il s’agit du futur roi de France Louis-Philippe qui s’est installé ici, au premier étage du Neberhaus, sous un pseudonyme. Par peur de représailles, le duc d’Orléans a fui les troubles de la Révolution française.

Après cette halte dans le nord de l’Allemagne, il poursuivra sa route vers la Scandinavie et restera un an en Laponie. Ce n’est que le début de son odyssée car il attendra 21 ans avant de retourner en France.

En conclusion

Voici donc une excursion charmante avec un petit brin de Hollande en perspective.



Comme vous le constatez, Friedrichstadt offre des panoramas exquis au détour de ses canaux et des activités à faire à pied et sur l’eau — que ce soit une heure de canoë ou un après-midi lèche-vitrines dans un décor hollandais.


Qui veut se restaurer, trouvera des restaurants sur la place principale et dans quelques ruelles du centre-ville historique (mais sans cuisine néerlandaise).

Qui veut se baigner, peut prendre son maillot de bain car il y a une aire de baignade au bord de la Treene. A moins que vous ne préfériez aller plus loin, vers le port de Tönning ou vers les plages de Sankt Peter-Ording — donc à la mer du Nord.

Et qui privilégie l’intérieur des terres, peut clôturer sa journée par une petite promenade dans les tourbières de Schwabstedt qui se trouvent à quelques kilomètres de Friedrichstadt. Là non plus, vous n’aurez pas de « sole mio », mais c’est impeccable dans le soleil couchant ! Au mois d’octobre, la végétation est encore dorée à souhait et le sentier pédagogique vient d’être restauré.


Sources :
Prof. Dr. Thomas Steensen : Die Niederlande und die Westküste Schleswig-Holsteins (Les Pays-Bas et la côte ouest du Schleswig-Holstein, en allemand)