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Safari à Winderatt

L’année dernière, j’ai été invitée à Flensburg, une ville qui se trouve près de la frontière danoise. J’en ai profité pour m’arrêter dans un site écologique protégé à une quinzaine de kilomètres de là. On y trouve un lac, le Winderatter See, et une rivière qui font partie du réseau NATURA 2000. Autour, il n’y a que quelques hameaux, des fermes isolées et toute une série de collines bosselées typiques de la péninsule d’Angeln. En somme, beaucoup de verdure. Une brousse, une savane, un bush européen petit format.

De cette randonnée de cinq kilomètres, je garde des souvenirs qui reviennent régulièrement en loop et une petite envie d’appuyer sur « Repeat » : le tronc tordu d’un arbre exposé au vent juste au bord d’un lac ; à quelques mètres de moi, en liberté, un troupeau de gros mammifères qui broutent paisiblement entre les herbes ; des pelouses parsemées d’orchidées et de millepertuis ; quelques pommiers à l’orée d’un bois ; un pont qui enjambe une rivière et qui fait semblant de se perdre dans un fouillis de reines-des-prés et d’épilobes.

Aussi, j’ai décidé de vous présenter ce très beau site. Voici quelques impressions d’un après-midi de juillet dans le grand Nord, d’un petit safari-photos dans une savane où les aubépines font office de baobabs et où les points d’eau n’attirent ni les gnous ni les marabouts mais les galloways et les hérons.


Pendant que j’évite les bouses qui sèchent au soleil et les fleurs sauvages qui oscillent dans le vent, que j’arrive devant un labyrinthe d’aubépines — des bosquets bien compacts sucés, croqués et machouillés avec délice par des générations de ruminants —, j’essaie de m’imaginer où se trouvaient les limites du lac de Winderatt il y a encore 180 ans.



Heureusement, une carte m’aide un peu avec ses pointillés. Fait curieux : ce lac qui miroite en bas de la colline était quinze fois plus grand en 1845.

D’ailleurs, ici et là, à plusieurs dizaines de mètres de l’eau, quatre pierres le prouvent. On les appelle des « Königsteine », c’est-à-dire des pierres royales. C’est Christian VIII, un roi danois, qui les fit installer autour du lac. En tant que maître des eaux, il voulait marquer ses possessions.



Aujourd’hui, ces stèles sont loin de l’eau, cachées dans les fourrés, néanmoins, l’une d’elles fait partie de la promenade, un sentier y mène. Elle se trouve dans les sous-bois, de l’autre côté de la rivière. Son monogramme est toujours et encore visible.


Le C et le VIII signifient Christian VIII, quant au R, il indique qu’il s’agit d’une possession royale (Rex).

Donc, d’après la carte que j’ai devant moi, la rivière qui coule entre les tapis de joncs à l’ouest du lac disparaissait sous l’eau avant. Pareil pour les zones de pâturages que j’embrasse du regard avant de poursuivre mon chemin. Je suppose que les mares qui poussent comme des champignons un peu partout dans le vert des prés humides sont les restes de ce qui fut le grand lac de Winderatt.



Voici le lac tel qu’il est aujourd’hui. 24 hectares d’eau et une profondeur maximale de 2,2 mètres. Ce n’est pas énorme mais assez pour en faire une belle réserve de pêche…


Le lac de Winderatt a une profondeur moyenne de 1,2 mètres. Parfait pour les vaches qui viennent s’y désaltérer ou prendre un bain.

Quinze fois plus, cela me paraît grand et je me demande quelle profondeur ce lac avait à l’époque. En tout cas, il y a encore 200 ans, le « Winderatter See » accueillait un moulin à eau du côté de Ausacker qui moulait le grain de la région. Au XVe siècle, lors de sa construction, le niveau de l’eau avait été élevé artificiellement si bien qu’en 1845, quand Christian VIII fit poser ses pierres royales, le lac recouvrait une grande surface et était ponctué de petites îles.

Trois ans plus tard, en 1848, la politique avait des envies de réforme. On avait besoin de nouvelles terres agricoles. Aussi, on fit redescendre le niveau de l’eau, le vieux moulin prit sa retraite et un moulin à vent plus moderne de style hollandais, le Zufriedenheit, fut construit un peu plus loin.


Où était la rive du lac avant 1848 ?

De la colline sur laquelle je me trouve, au départ de ma randonnée, je domine une grande partie de la réserve. Dans la mesure où les arbustes ne sont pas trop hauts, je vois le lac en contrebas — — — et un peu partout, des zones humides, éparpillées dans ce paysage plutôt dégagé. Quelques hérons se tiennent aux aguets près des trous d’eau, des flaques et des mares. Quant aux batraciens, insouciants, ils coassent à qui mieux-mieux sous le soleil du mois de juillet.


En allant vers le lac, je passe d’espace en espace. Un portail en amène un autre. Les vaches semblent changer régulièrement de pâturages. Le paysage est changeant lui aussi.


En chemin, on rencontre des pommiers issus de la région. Juste à côté du site, il y a un musée de la pomologie.

C’est près de l’eau, entre les herbes hautes, que je rencontre un troupeau. La prairie est située entre le lac et la voie ferroviaire qui longe le site. Ces vaches rustiques mastiquent au soleil, sommeillent sous les arbres, broutent juste à côté de moi. Les petits m’observent et semblent se demander pourquoi je ne poursuis pas ma route.

La rencontre du moment est magique — calme pur. Je me contente de vous montrer quelques photos. Mon safari personnel.




Au passage, je me retrouve près d’une ferme, Neuseegaard, dont le bâtiment me fait penser à « La petite maison dans la prairie ». Plus loin, le panneau de la voie de chemin de fer me rappelle les plaines d’Amérique. Décidément, j’ai des envies d’exotisme.


La petite maison dans la prairie — c’est ce que j’ai pensé en voyant cette maison.
Le train longe le site naturel. De cette voie un peu surélevée, la vue est certainement très belle.
Autour, on trouve quelques éoliennes et des champs à l’est de la zone protégée.

Entre les mares, les pâturages et les zones boisées, il y a une rivière qui se faufile au milieu des tourbières basses.

La Kielstau traverse le lac de Winderatt avant de poursuivre sa route vers la rivière de la Treene, participant ainsi au plus grand système fluvial du Schleswig-Holstein. C’est d’ailleurs elle qui irrigue le site naturel protégé de « Winderatter See und Kielstau ».


Avant de traverser le lac de Treßsee et de retrouver la Treene, la rivière passe par le lac de Winderatt.

Après avoir contourné le lac, je traverse cette petite rivière une première fois. Près du pont qui l’enjambe, une libellule profite des rayons du soleil pour faire une pause par terre. Ici aussi, une porte battante empêche les vaches de se carapater.



Après avoir marché entre bois et champs, je fais une deuxième rencontre avec la Kielstau. Un platelage traverse ses berges très humides. Une zone marécageuse où les reines-des-prés foisonnent entre les joncs et les herbes.



Un tout petit retour en arrière histoire de compléter la visite : le petit bois dans lequel le sentier passe avant d’arriver au lac vaut plutôt une image intérieure. Ici, il y a eu une forteresse appelée Grauburg dans le temps mais il n’en reste plus grand chose.



Il paraît qu’on a retrouvé les traces d’un ancien barrage au fond du lac. Dans les bois, les fossés qui entouraient le « Fort gris » autrefois sont encore visibles. Ils faisaient cent mètres de long, douze mètres de large et trois mètres de profondeur. Pour finir, il reste une légende qui explique la création du village et la disparition du château. L’histoire d’un seigneur, le Seigneur de Winde, qui, faute d’héritier, légua ses terres à ses six filles. Ce sont elles qui créèrent Winderatt avec leurs maris. Lorsque leur père mourut, le château disparut sous terre. Depuis, seuls les talus témoignent de son existence. Les renards y font leurs galeries. Il paraît qu’il existe encore un couloir souterrain quelque part mais où ?