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Hohn – l’eldorado des loutres

Il y a les stars d’ordre planétaire, celles que tout le monde connaît et qui se partagent les écrans du monde au quotidien. Et il y a les petites étoiles, celles qui ne brillent que dans leur microcosme et qu’on ne détecte que par hasard.

Les deux vedettes dont il est question ici se trouvent dans le nord de l’Allemagne, à mi-chemin entre la mer du Nord et la mer Baltique — dans la toute petite ville de Hohn. Dans la presse, deux ou trois articles leur sont consacrés, mais au-delà d’une dizaine de photos et de quelques lignes génériques, vous ne trouverez rien sur Internet. Pour en savoir plus, il faut donc se rendre sur place.

C’est ce que j’ai fait au printemps, intriguée par ce qui m’avait été raconté, et j’en ai profité pour aller à la découverte du lac environnant, le Hohner See. Ma conclusion : un petit tour bien sympathique que je recommande si vous êtes de passage dans l’après-midi.

En attendant, propulsons-nous ensemble à l’ouest de Rendsburg, à quelques kilomètres des rivières de l’Eider et de la Sorge et non loin du Canal de Kiel. Mesdames et messieurs, le spectacle va commencer. Lever de rideau sur deux célébrités locales : Otti et Becki, les deux petites loutres de Hohn !


Tous les jours, à 16 heures, qu’il pleuve des cordes, qu’il gèle à pierre fendre ou qu’un soleil de plomb écrase Hohn de tout son poids caniculaire, les portes de l’enclos s’ouvrent sur un petit paradis de verdure et le public, si peu qu’il soit là, peut entrer. Rien à payer. La visite est gratuite. Il faut simplement y être à la bonne heure.

Je vous préviens tout de suite, l’association ne fait pas de chichis. Il y a juste une parcelle grillagée, une étendue d’eau au milieu d’un fouillis d’arbustes et de bosquets et un groupe de passionnés qui se relayent pour chouchouter leurs deux loutres chéries. Les points d’observation : une terrasse en bois surélevée et un banc juste à côté de l’eau.


Cette sculpture est une belle entrée en la matière juste derrière les grillages du « Ottergehege » de Hohn.

Après un bonjour sans grand cérémonial devant le portail (un simple « Moin! » en fait, comme cela se fait dans le Nord de l’Allemagne), le bénévole chargé du nourrissage ouvre le cadenas, laisse entrer les visiteurs et disparaît rapidement dans une cabane en bois dont il ressort quelques minutes plus tard, une petite bassine et une pince à la main. Pendant ce temps, vous pouvez déjà faire connaissance avec Otti et Becki.

Depuis la création du « Ottergehege » en 2007, c’est la troisième génération vivant à Hohn. Quelques panneaux en allemand donnent des informations sur les Mustélidés et sur tous les animaux qui ont vécu ici. On trouve Lilli et Anton, les pionniers, 14 ans de service, ce qui est exceptionnel car l’espérance de vie d’une loutre varie habituellement entre 5 et 10 ans. Parmi les anciens habitants, on apprend qu’il y a eu également Josefine, arrivée à Hohn en 2016 après un accident de voiture mais qui n’a pas eu la chance de vivre aussi longtemps que ses prédécesseurs. Un cancer. Et depuis 2021, c’est Otti qui y habite, un mâle originaire d’un parc animalier du Brandebourg, avec Becki, sa compagne de tous les jours, une femelle du même âge qu’on a sauvée d’une canalisation quand elle était petite.

Pourquoi Otti ? En fait, la loutre d’Europe se dit Otter en allemand — Otter, d’où ‘Otti’, le i faisant office de diminutif attendrissant.1


Près de la terrasse, vous trouverez deux panneaux explicatifs dont l’un présente les habitants de l’enclos.

Si vous préférez, vous pouvez monter tout de suite sur la terrasse et jeter un coup d’œil sur le bassin. Il est très probable que vous découvriez le duo dans l’eau. Ce n’est pas pour rien qu’on compte ces animaux parmi les « mammifères semi-aquatiques ». Otti et Becki, vifs et ludiques, adorent barboter.

Les Grecs de l’Antiquité appelaient les loutres des « serpents d’eau » (hydōr)2. Pas étonnant : quand la lutra lutra évolue dans son élément de prédilection, ses mouvements sont aussi fluides que ceux d’un serpent. Otti, par exemple, se tortille et se vrille entre les piliers du ponton délavé. Pour nous qui l’observons, c’est tout une ondulation. Un corps souple qui fait penser aux torsades d’une couleuvre. Combien de têtes sortent de l’eau en même temps ? Une ou deux ? Difficile à dire. Dans l’eau, Otti et Becki sont d’une rapidité surprenante. Apparition et disparition éclair.

L’homme qui est venu nourrir les loutres aujourd’hui s’arrête devant Otti et Becki qui sont sortis de l’eau pour aller à sa rencontre. Le poisson est coupé, la bassine pleine. Un kilo pour chaque animal. Une partie sera consommée tout de suite, l’autre, laissée sur le ponton à la fin de la visite, sera emmenée dans une des galeries.

Faute de personnel, les heures de nourrissage ont été réduites à un repas par jour. Les loutres savent que le reste est pour plus tard. C’est pour cette raison que Becki disparaît sous les racines d’un arbre. Elle entrepose son morceau de poisson dans sa cachette. Pour cette nuit certainement.


Dès que Otti et Becki voient la bassine arriver, ils se mettent en position.

Après cette première halte, le soigneur du jour s’approche de la terrasse pour mieux discuter. Becki qui venait de s’allonger sous les arbres, le ventre ceinturé d’un rayon de soleil, tourne la tête dans notre direction et glisse dans l’eau. Otti, reparti sous le ponton, s’arrête de jouer et plonge.

L’eau du bassin est assez trouble, on ne voit pas grand chose mais deux traînées de bulles se forment à la surface, comme les traces d’un avion qui traverse un ciel bleu. Ces bulles d’air, nous explique notre guide animalier, ne proviennent pas de leurs naseaux comme on pourrait le penser mais de leur pelage imperméable. En effet, la loutre européenne se sert de ses poils pour se créer une combinaison protectrice. Son corps est entouré d’une véritable toison — environ 70.000 poils au centimètre carré (contre 700 chez l’humain). Au contact de l’eau, ces poils emprisonnent des milliers de bulles d’air. Comme la loutre d’Europe n’a pas vraiment de graisse autour du corps, c’est ainsi qu’elle s’adapte aux températures froides et à l’humidité. Les quelques bulles qui s’échappent du pelage pendant la plongée trahissent sa trajectoire.

En quelques dizaines de secondes, Otti et Becki se sont propulsés sur la pelouse, juste en dessous de la plateforme. Ils attendaient leur ration de poisson depuis un petit moment et savent que c’est l’heure. Le poisson pêché juste à côté, dans le lac, est dévoré avec appétit.

Becki se montre assez docile. Lorsqu’elle était bébé, elle a été découverte dans une bouche d’égout avec son frère. Sa mère, peut-être victime d’un accident, les avait abandonnés. Donc, très tôt, la jeune loutre a été habituée à l’homme si bien qu’on peut la nourrir à la main sans problème.



Par contre, Otti est plus sauvage et plus brusque. Les bénévoles préfèrent le nourrir à la pince. En entendant ses cris affamés, on se dit qu’effectivement, il vaut mieux être prudent. D’ailleurs, il n’est pas patient. S’il trouve que son nourrisseur va trop lentement, il n’hésite pas à s’en prendre aux bas de son pantalon en grognant et en sifflant. Ses cris stridents sont aussi forts qu’impressionnants.

Quelques informations sur la loutre d’Europe

La loutre d’Eurasie, lutra lutra en latin, est un mammifère nocturne dont la morphologie est adaptée à une vie aquatique. La hauteur des yeux, du nez et des oreilles par exemple lui permettent de faire appel à tous ses sens sans trop lever sa tête relativement plate lorsqu’elle est dans l’eau. Quant aux vibrisses qui se trouvent des deux côtés de son museau, elles sont là pour repérer ses proies, même dans un environnement sombre ou glauque.

Après une période de chasse très intensive qui causa sa disparition presque totale dans le Nord de l’Allemagne, la loutre reprend du poil de la bête. Non seulement elle est protégée par la loi, mais en plus, des populations venant de l’est de l’Allemagne et du Danemark recolonisent peu à peu les cours d’eau du Schleswig-Holstein.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, il y a une population naturelle de loutres présumée autour du lac de Hohn.

D’abord, bien évidemment, pour le plaisir de voir ces stars locales, ce petit duo sympathique, mais aussi pour montrer à l’association qu’elle a raison de s’investir.

En effet, la visite est d’autant plus intéressante que la création de l’enclos de Otti et Becki a eu lieu à une époque où l’on considérait que la loutre avait pratiquement disparu de l’Allemagne du Nord. Depuis, la loutre revient dans sa région d’origine. Elle est encore rare, mais elle se fraie un chemin malgré tous les obstacles et les dangers qui l’entourent — la circulation routière, les nasses, l’urbanisation, l’exploitation agricole des zones alluviales et la rectification des cours d’eau. Evidemment, des projets écologiques de grande envergure ont contribué à ce développement, mais sans la création d’un enclos comme celui de Hohn et les coopérations existant entre de telles associations, les instituts de monitoring et les agents locaux, la loutre aurait moins de fans.



Personnellement, j’ai été impressionnée et charmée par le travail des bénévoles : au quotidien, ils s’occupent de ce petit couple, l’encadrent, lui assurent des conditions optimales. Ils s’adressent à un public de petits et de grands et sensibilisent à l’importance et au sort de la loutre. Tout cela, ils le font très humblement et naturellement. Cela mérite vraiment une petite visite.

Aussi, si vous comprenez un peu l’allemand, n’hésitez pas à dire au bénévole en service que vous êtes là pour la première fois. Il se fera une joie de vous présenter Otti et Becki dans le détail, de parler des loutres en général et du travail réalisé à Hohn en particulier.

Ottergehege de Hohn
Bahnhofstr. 21
24806 HOHN
Visite libre et gratuite tous les jours à 16 heures

La commune de Hohn, une petite bourgade de deux mille habitants dont la création remonte au Moyen-Age, a deux autres attractions. Pour les amateurs de sites naturels, il y a le Hohner See, un lac qui s’étend sur 70 hectares à l’ouest de la ville. Et pour les amateurs d’aviation, il y a un Transall C-160 au bord de la route, à quelques centaines de mètres de l’enclos de nos deux petites stars.

Le Hohner See, un lac aux eaux peu profondes, fait partie d’un grand système fluvial appelé « Eider-Treene-Sorge-Niederung ». Cette grande plaine où coulent l’Eider, la Sorge et la Treene s’étend sur plus de 1600 kilomètres carré.



La création de ce paysage remonte aux deux dernières périodes de glaciation pendant lesquelles les calottes glacières scandinaves ont laminé et modelé le sol. Les trois rivières qui parcourent le Schleswig-Holstein ainsi que leurs plaines alluviales sont le produit d’eaux de fonte qui, autrefois, formaient un fleuve puissant. Le lac est apparu à la même époque.



Aujourd’hui, l’Eider, la Sorge et la Treene méandrent vers la mer du Nord, irriguant de grandes zones marécageuses dont certaines parties, drainées et asséchées par les générations passées, sont cultivées. Dans ce paysage essentiellement plat, l’eau joue toujours et encore un rôle primordial.3 Vous n’avez qu’à regarder une carte pour constater que le sol est segmenté et irrigué par une multitude de fossés, de canaux, de rivières et de ruisseaux. Le lac de Hohn et ses environs marécageuses contribuent à ce système.



Protégés par la loi allemande, les 365 hectares de zones humides font partie également des sites NATURA 2000. Sa spécificité : avec une profondeur moyenne d’un mètre, le Hohner See est le seul lac peu profond encore existant dans cette région de geest. Tout comme les tourbières attenantes, il accueille plus de soixante espèces d’oiseaux ainsi que toute une variété de batraciens, entre autres la grenouille des champs.

Dans un fossé, j’ai fait une belle rencontre avec une couleuvre qui avait l’air fascinée par mon appareil photos. Peut-être un nouvelle star ?

Alors qu’il y a une vingtaine d’années, les loutres avaient disparu de la région, elles semblent s’y installer à nouveau. Otti et Becki ne sont donc plus les seules à vivre à Hohn



A l’heure où vous viendrez, vous ne verrez certainement pas de loutres, mais munis de jumelles, ne manquez pas d’aller dans cette belle cabane sur pilotis. Située dans la partie nord du lac, elle sert de poste d’observation. Vous pourrez y observer tout un tas d’oiseaux sur l’eau, en l’air et dans les roselières : des cormorans certainement, un aigle peut-être et un gorgebleu à miroir avec chance.

Le lac se trouve à l’ouest de la ville. Une ancienne voie ferroviaire reconvertie en chemin de promenade y mène. Je l’ai emprunté à pied mais sincèrement, je pense que le vélo est le meilleur moyen de transport pour se rendre compte du paysage.


Depuis 2018, on peut admirer un Transall C-160 au bord de la route. Il est entouré d’un grillage, cependant, le premier dimanche du mois, les portes sont ouvertes de 14 à 17 heures.

Je n’ai pas eu la possibilité de monter à l’intérieur car ce jour-là, l’accès était réservé à une réunion privée. Néanmoins, j’ai pris quelques photos. Les voici :


  1. Je suppose qu’il a hérité du nom de son papa qui s’appelle Karl Otti. ↩︎
  2. Etymologiquement, la ‘loutre’ et le ‘Otter’ sont apparentés. L’hydre grecque, un animal aquatique mythique aux têtes multiples, vient de la même racine aussi. ↩︎
  3. Jusqu’à la construction de barrages tels que le barrage de l’Eider qui eut un impact important sur l’hydrologie du territoire, les marées se faisaient ressentir jusqu’à Rendsburg. ↩︎