Tout au nord de l’Allemagne, juste avant la frontière danoise, il y a deux villes à visiter du côté de la Baltique. La première — Flensburg —, grande, dynamique, étudiante, très scandinave à mon avis, est ancrée au fond d’un long fjord à qui elle a donné son nom. L’autre ville, bien plus petite, plus calme et plus classique aussi, se trouve au commencement de la presqu’île de Holnis. Il s’agit de Glücksbourg qui attire les visiteurs avec son très beau château blanc et sa situation idyllique au bord de la mer.
Je vous propose d’aller à la découverte des environs de Flensburg et de vous arrêter un peu à Glücksbourg, plus exactement à Sandwig (pas Sandwich même si la prononciation n’est pas si différente que ça). Qui aime l’architecture balnéaire de la côte, y trouvera une station miniature pleine de charme. Et qui ne connaît pas ce style, aura la possibilité de le découvrir en tout petit format. En prime : de jolies vues sur le fjord de Flensburg et le littoral danois. Peut se faire avant ou après la visite du très joli château et de son parc.
L’hôtel de la plage ou le « château blanc de la côte »
Dans une lettre adressée à sa fille Erika et datée du 26 juillet 1919, Thomas Mann raconte ce qu’il a mangé la veille au soir et s’extasie. Au menu qu’il a trouvé copieux, il y avait des œufs brouillés, des pommes de terre sautées, des assortiments de charcuterie et des fromages coupés en tranches — pour un des plus grands écrivains allemands du XXe siècle, le sujet est plutôt banal, mais intéressant tout de même. Aujourd’hui encore, il s’agit d’un repas traditionnel dans le Nord.
A l’époque, Mann séjourne dans un hôtel situé au bord de la mer Baltique. Il s’est installé pour trois semaines à Glücksbourg avec son ami et éditeur Samuel Fischer.
Est-il assis dans sa chambre d’hôtel en écrivant ces lignes ou plutôt dans un fauteuil en osier comme on les rencontre souvent sur les plages du nord ? L’histoire ne le dit pas, mais la description que l’écrivain fait de son repas à sa petite « Eri » nous donne une impression gustative de ce que le Kurhotel propose à ses hôtes au début du XXe siècle.
L’hôtel dans lequel il passe ses vacances a éte créé en 1872 par des actionnaires de Flensburg. Situé à quelques kilomètres du château de Glücksbourg et construit en bord de mer, le « Strandhotel »1 leur semble parfait pour recevoir du monde.
Effectivement, l’endroit plaît. Les visiteurs viennent en train ou en bateau dès qu’il fait beau et y restent en général plusieurs semaines. Sur la plage de Sandwig, l’été, jusqu’à 28 chariots accueillent les amateurs de baignade. Ces véhicules, appelés « Badekarren » en allemand, sont tirés jusqu’à l’eau et permettent (aux femmes surtout) de descendre dans la mer en tenue de bain, à l’abri des regards.
Entre sa création et le début de la seconde guerre mondiale, l’hôtel qui domine la plage de Sandwig attire donc du monde. Parmi eux, il y a des hôtes illustres : Emil Nolde (1867-1956), peintre et aquarelliste expressionniste, Klaus Groth (1819-1899), connu pour ses poèmes en bas-allemand. Enfin, il ne faut pas oublier la visite du dernier empereur allemand, Guillaume II, et de son épouse, l’impératrice Auguste Viktoria, qui arrivent un beau jour par la mer et à qui on sert le « Menu de l’empereur » — pas moins de dix vins et douze plats.
J’imagine le yacht impérial, le SMY Hohenzollern, tout neuf en 18932, 120 mètres de long, un palais flottant amarré au ponton en bois qui s’avance vers la mer et qui, d’ordinaire, permet aux navettes pleines de touristes d’accoster. Peut-être existe-t-il même une carte postale d’une de ces visites car le yacht est en quelque sorte la résidence d’été de Guillaume II et il existe un bon nombre de clichés officiels du bateau.3
Je l’imagine donc là, dans le fjord de Flensburg où l’empereur aime naviguer avec son équipage. Sa femme, elle, réside en général chez sa sœur, au château de Glücksbourg, mais aujourd’hui, ils voyagent ensemble.
Est-ce que l’équipage a quartier libre tandis que ses majestés se rendent au restaurant ? Ou faut-il briquer le pont et se préparer au prochain départ ?
Aucune idée, mais cette visite fait partie des anecdotes qui se racontent. Ce sont les années de gloire de l’hôtel car, plus tard, il est utilisé comme sanatorium, centre de refuge et auberge de jeunesse avant de retrouver sa fonction initiale.
En lisant ces vieilles histoires, aussi anodines qu’elles soient, on s’imagine le luxe aristocratique d’autrefois : la vaisselle au liseré d’or, le froufrou des robes en taffetas, l’odeur des chaussures cirées et le pli des pantalons bien taillés — il en ressort comme une nostalgie du « bon vieux temps » dont Sandwig s’inspire encore aujourd’hui. Un marketing qui tient la route, comme un peu partout dans les vieilles stations balnéaires de la Baltique. Grandes bâtisses blanches, amour du détail qui intègre les objets historiques et les anecdotes de jadis au confort du présent.
La Seebrücke — le pont vers la mer
A Sandwig qui fait partie de la commune de Glücksbourg, vous trouverez donc des hôtels aux façades blanches — un soupçon d’architecture balnéaire germanique — et la plage (payante en haute saison), mais aussi ce qu’on appelle une « Seebrücke », un long ponton qui s’avance dans la mer. Sachez que c’est le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour accueillir les bateaux dans les eaux peu profondes de la Baltique. La côte en est truffée.
Une histoire de plus : le ponton ayant été détérioré pendant une grande tempête, on en construisit un nouveau il y a quelques années. Pour l’ouverture officielle de la « Seebrücke » de Sandwig en 2017, on décida de marquer le coup et de battre un record. Ce jour-là, les habitants et les touristes participèrent à la création d’un hotdog de 218 mètres de long, le ponton servant de support. A l’époque, c’était le plus long hotdog du monde.
Le ponton fait partie d’une belle promenade qui longe la côte et qui mène à un petit port. Ici, le paysage est dominé par un grand fjord aux côtes basses souvent boisées — le fjord de Flensburg.
La région — cela se remarque surtout quand on porte attention aux intérieurs — a un petit air scandinave bien particulier. Le pays voisin dont on peut apercevoir les côtes en vis-à-vis appelle cette atmosphère « hyggelig ». L’adjectif danois, difficile à traduire, décrit une ambiance cosy et chaleureuse.
C’est tout à fait ce qu’on ressent ici, même au mois d’avril, un peu avant la période touristique.
Petite remarque — Même si je parle de l’hôtel, ce n’est pas pour faire de la publicité. J’ai trouvé que le bâtiment était l’un des éléments les plus marquants de cette côte. Je n’ai été ni contactée ni payée.
Le château de Glücksbourg
Si vous êtes dans la région, il ne faut surtout pas manquer de visiter le château de Glücksbourg qui détient deux records nationaux : d’un côté, il est le plus septentrional du pays. De l’autre, il est le plus grand château allemand entouré d’eau.
Ce château Renaissance se trouve au nord-est de Flensburg, en direction de la péninsule de Holnis. Depuis des siècles, il appartient à la famille ducale des Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksbourg et au XIXe siècle, il servait de résidence d’été à la famille royale du Danemark. Depuis 1923, il est ouvert au public en tant que musée — juste le week-end en hiver.
Voici la page internet du château.
Le bâtiment principal est entouré de douves et d’un lac dans lequel les façades se reflètent — une caractéristique qui lui confère de l’élégance. Sa géométrie harmonieuse et sa couleur claire contribuent elles aussi à son esthétique. En effet, le corps de bâtiment est carré, fait de briques peintes en blanc et flanqué de quatre tours octogonales.
Le château a été construit entre 1582 et 1587 par un certain Nikolaus Karies dont on ne sait malheureusement pas grand-chose. La création du lac remonte à la même époque.
Avant la construction de Glücksbourg, un monastère fondé en 1210 par des moines cisterciens avait existé sur ce site. Pendant des siècles, ses habitants avaient participé au développement de la presqu’île. Par la suite, le cloître, appelé « Rus Regis », fut sécularisé et transformé en école après la Réformation, puis rasé en 1582. Il était devenu vétuste.
En octobre 2005, on retrouva la position exacte du monastère grâce à des recherches menées à l’aide d’un géoradar et d’une cartographie géomagnétique. La basilique et les bâtiments attenants ainsi que le cimetière fortifié se trouvaient à 50 mètres du château. Aujourd’hui, elles sont au fond du lac (direction nord-ouest). On a comptabilisé un millier de tombes.
Au XVIe siècle, presque tout le matériel issu de ce monastère fut réutilisé pour la construction de l’édifice ducal. Ensuite, on créa un plan d’eau, le « Schlossteich ».
Sachez que le mot « Glück » signifie « chance » ou « bonheur ». Aussi, le nom du château veut dire « château du bonheur ». Cette appellation est issue d’une devise choisie par le premier propriétaire Johann III. Au-dessus de la porte d’entrée, vous lirez :
GGGMF
Que Dieu porte Bonheur et Paix.
Le parc du château
Si vous n’avez pas le temps de visiter le château ou que vous venez en dehors des heures de visite, vous pouvez quand même flâner dans son parc du XVIIIe siècle.
Le chemin vous conduira vers un pont qui traverse le fossé.
Là, une allée de tilleuls longe le lac et mène à l’orangerie de style classique (1827), laquelle attire l’attention avec ses tons jaune orangé.
Juste à côté du parc, il y a un rosarium et un café (l’ancienne maison du jardinier) dans lequel nous avons passé un moment très agréable.
A faire dans le coin
- La presqu’île de Holnis, superbe — le mieux est de s’y promener à pied ou en vélo en parcourant la côte
- Le centre-ville de Flensburg et ses musées (par exemple les musées du Museumsberg, le musée maritime et la Phänomenta)
- Le Sentier des Gendarmes (Danemark) et le « Fördesteig » (Allemagne) — deux sentiers côtiers de randonnée à faire également à pied ou en vélo
- Les tourbières de Habernis
- L’église de Neukirchen sur sa falaise
- La réserve de Winderatt et sa nature préservée
- La vallée et le port de Langballigau
- L’hôtel a porté plusieurs noms au cours de son histoire : Curhaus au départ, Strandhotel la plupart du temps, Kurhotel entre deux. ↩︎
- Dans ses annales, le restaurant note le passage du couple impérial en 1890, mais il semble être venu plusieurs fois à Glücksbourg, entre autres en été 1893, l’année de construction du nouveau Hohenzollern. Personnellement, je trouve cette date plus intéressante. ↩︎
- Guillaume II a été surnommé le « Reisekaiser » (l’empereur voyageur), entre autres parce qu’il passa en tout quatre ans et demi à bord du Hohenzollern. ↩︎