Arrêtons-nous à 25 kilomètres au sud de Kiel, au commencement d’une région qu’on appelle la Suisse du Holstein. C’est là, dans un charmant patchwork de lacs glaciaires, de champs et de collines bosselées qu’habite un champion de la survie. D’après les mesures récentes du DHP (diamètre à hauteur de poitrine), ce vétéran serait même le plus gros de son espèce en Allemagne.
Dans cet article, je vais vous présenter le chêne de Kattholz. Et comme son cadre est bucolique, profitons-en pour faire une belle promenade dans la région des lacs de Wankendorf. Deux petits plus : de jolies vues sur le lac de Belau ainsi qu’un moulin reconverti aujourd’hui en restaurant et en (très beau) camping. Idyllique !
Le chêne de Kattholz
Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment fort et vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient.
— Sénèque, maître du stoïcisme (De providentia 4, 16)
Dans le pré qui s’incline vers un mur végétal, quelques chênes tendent leurs couronnes généreuses vers le ciel. Le colosse que je m’attends à voir, le plus gros chêne d’Allemagne, devrait se trouver là, au premier rang.
Cela fait à peine cinq minutes que nous avons commencé notre promenade, le sac à dos paraît encore léger, mais un premier arrêt s’annonce déjà : die Kattholzer Eiche — le chêne de Kattholz — du nom d’un hameau disparu aujourd’hui. Derrière nous, le moulin de Perdoel et devant, la campagne ainsi qu’une randonnée qui s’annonce bucolique.
A vrai dire, je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Pas forcément à l’Arbre de Tule ou à Yggdrasil car cet arbre n’a que quelques centaines d’années. Comme aux enchères, les chiffres varient selon les estimations. 400 — 500 — 525 ou même 600 ans. Certains présument qu’il a été planté au bord de la route qui mène au moulin autour de 1551, date à laquelle le domaine de Perdoel a été bâti. Possible mais pas prouvé.
Ce qui est sûr, c’est que des générations de paysans sont passées devant lui, la carriole chargée de grains, avant de repartir dans l’autre sens quelques heures plus tard, avec leurs sacs de farine fraîchement moulue, peut-être un peu éméchés car à partir de 1765, ils pouvaient boire quelques verres au moulin en attendant que le meunier fasse son travail. Je suis persuadée qu’à l’époque, personne ne prit note de ce chêne et se dit qu’au début du XXIe siècle, il serait classé monument naturel et inscrit sur la liste des dix arbres remarquables d’Allemagne.
Une de ses caractéristiques principales, c’est sa circonférence. Le chêne de Kattholz, je me l’étais imaginé majestueux avant de le rencontrer. Un de ces arbres plein de feuilles vertes et de glands, volumineux de partout. Comme ceux qui l’entourent, mais plus gros, plus imposant. Cependant, ce vieux chêne — un Quercus pedunculata — échappe aux normes et aux critères de beauté. A vrai dire, il a plutôt l’allure d’un vétéran. Ses cicatrices, ses boursouflures, ses moignons, sa couronne sans symétrie — tout témoigne de batailles, d’aventures et de déboires.
Comme ce solitaire se dresse au milieu d’un bosquet en bordure de pré, son pied est un peu caché et on ne peut pas en faire le tour, mais on peut s’arrêter devant et — comme des générations de visiteurs avant nous — toucher son écorce, se lover dans le creux de son tronc, se faire photographier devant. Et le contempler évidemment.
Le chêne de Kattholz a certainement ressemblé à ses jeunes voisins pendant quelques siècles avant de perdre sa couronne à la fin du XIXe siècle. Un jour, elle a fait crac ! Un très gros coup de vent ou la foudre peut-être. En tout cas, mutilé par le destin, le chêne s’est retrouvé complètement décoiffé mais n’a pas abdiqué si bien qu’en 1906, il était pourvu d’une « petite couronne »1. A une hauteur de six mètres, il réussit à créer une nouvelle branche sommitale, laquelle, toute tarabustée qu’elle paraisse aujourd’hui, lui donne sa silhouette si particulière. Un arbre de caractère si l’on peut dire.
Parmi les branches latérales qui ont poussé par la suite, l’une d’elles, proéminante, a dû être coupée par mesure de sécurité si bien qu’à nouveau, le chêne s’est retrouvé fortement amputé. On ne peut donc toujours pas parler d’une couronne classique même si l’arbre a atteint une hauteur de 13 mètres avec une couronne de 13 mètres.
Quant à son tronc, lui aussi porte de nombreuses traces de mésaventures. Evidemment, on y trouve le moignon de la branche coupée, mais aussi un grand trou béant, noirci par un feu qui semble dater des années 1970. Quelqu’un y aurait mis le feu, calcinant ce creux pour longtemps. Cependant, ce qui frappe surtout, c’est sa base. C’est d’ailleurs elle qui lui vaut le titre du plus gros chêne d’Allemagne.
Aujourd’hui, le chêne fait 11,9 mètres de circonférence juste au-dessus de son collet2. Un peu plus haut, il est moins gros. D’après mes recherches, son concurrent, un des grands chênes de Ivenack (Poméranie), 850 ans d’âge, correspondrait plus aux critères d’un arbre exceptionnel. Il fait 32 m de haut, sa couronne mesure 21 mètres et son DHP atteignait 11,70 mètres en 2016.
Alors, pourquoi le chêne de Kattholz a-t-il remporté le titre ? A cause des bourrelets, des renflements, des creux et des excroissances de son collet. Des cicatrices qui se sont formées après que des animaux mis en pâture aient détérioré son écorce et croqué ses branches. Comme quoi, les misères peuvent rendre fort. Le chêne de Kattholz est un véritable vétéran. Stoïque. Symbolique. Admirable.
La région des lacs : le village de Belau
Quelques mots maintenant sur le paysage champêtre qui s’étend autour du chêne de Kattholz. Nous sommes ici aux portes d’une région appelée la Suisse du Holstein et plus précisément dans la chaîne des lacs de Bornhöved qui ont été créés par les glaciers il y a 20000 ans. Pour désigner cet endroit plutôt rural, certains parlent aussi de la région des lacs de Wankendorf .
Peu importe le nom de la région, vous trouverez plusieurs petits lacs encastrés dans un paysage de collines. En général, les berges sont entourées de zones boisées et de champs, mais entre deux, des aires de baignade, des « Badestellen », ont été créées pour le bonheur des gens du coin.
Parmi les petits villages qui se sont développés autour des six lacs au fil des siècles, on peut retenir celui de Belau — quelques centaines d’habitants seulement.
Attention ! Pas de quoi faire waouh ! Le village se trouve au bord de son lac éponyme et se concentre sur une route en parallèle à la rive. Des deux côtés, les maisons en brique s’alignent sur quelques kilomètres, avec des jardins devant, autour, derrière. On trouve l’inconditionnelle ère de jeux pour les enfants, la station de pompiers et le calme typique des tout petits villages. J’avoue, ce n’est pas la partie de la randonnée que j’ai préférée. Elle en fait juste partie.
Néanmoins, en longeant la rue vers le Nord en direction du moulin de Perdöl, Belau réserve trois petites surprises qui dédommagent.
Au coin d’une impasse qui descend vers le lac, il y a tout d’abord — étonnant pour un si petit village — un bar à vin mignon comme tout, une ambiance joyeuse et décontractée autour d’un pavillon au toit de chaume où l’on peut se rafraîchir les papilles avant de poursuivre sa route. Ensuite, à quelques dizaines de mètres, on trouve une belle plage herbeuse.
Petite info : je n’ai été ni sollicitée ni payée pour faire de la publicité. J’ai juste testé très spontanément.
Pour finir, à la sortie du village, un peu avant le moulin, vous avez un beau panorama car en prenant de la hauteur, vous apercevrez le lac de Belau entre les arbres.
Le moulin de Perdoel
Pour moi, l’endroit le plus charmant de Belau est certainement l’ancien moulin qui se trouve au nord du lac et à l’extérieur du village. On l’appelle le moulin de Perdoel, du nom d’un domaine situé non loin de là. Ce bâtiment a été construit au bord d’un cours d’eau, l’Ancienne Schwentine, au début du XVIIIe siècle et pendant des siècles, il permit aux habitants de la région de moudre leurs grains.
Rien que l’accès au site est sympathique — une belle allée d’arbres descend en direction du moulin caché dans un petit bois, le lac scintille entre les arbres et en arrivant au moulin, on passe par-dessus la rivière qui coule juste à côté des maisons. L’été, les enfants s’amusent dans l’eau, ça fait platch et ça rigole !
Cela fait un moment que la roue à aube n’est plus en activité. Néanmoins, le moulin continue à attirer du monde, les touristes en l’occurrence. Grâce à son camping et à ses chemins de promenade. Même si je ne l’ai pas essayé (je me suis contentée de la terrasse du restaurant), j’ai été charmée par ce camping moderne qui m’a fait penser aux campings français un peu écolos.
Petite info : là non plus, je n’ai été ni sollicitée ni payée pour faire de la publicité. Il s’agit d’une première impression très personnelle.
Randonnée — Je conseille le parking du moulin comme point de départ pour une randonnée qui commence par passer devant le chêne de Kattholz et qui fait découvrir les alentours ainsi que le lac arboré de Schierensee3 et le lac de Belau. En route, on traverse non seulement des champs, mais aussi l’Ancienne Schwentine, une rivière qui relie les lacs les uns aux autres.
La promenade que j’ai faite — une petite dizaine de kilomètres — ressemble à celle que vous trouverez ici sur komoot.
L’Ancienne Schwentine
L’Ancienne Schwentine — Alte Schwentine en allemand — prend sa source dans un pré humide près de Bornhöved. Après avoir traversé six lacs, elle méandre vers le nord et rejoint une des plus longues rivières du Schleswig-Holstein, la Schwentine. C’est alors qu’ensemble, elles poursuivent leur route jusqu’à l’embouchure de la Schwentine dans la mer Baltique.
Pourquoi deux rivières du même nom? Par erreur en fait. Un cartographe du XVIIe siècle avait pensé qu’il s’agissait d’un affluent, pas de la véritable source de la Schwentine. Evidemment, cela paraissait plus logique qu’elle descende du flan du Bungsberg, point culminant du Schleswig-Holstein (168 m). C’est pour cette raison que l’Ancienne Schwentine porte plusieurs noms sur son parcours : Bornau, Depenau, Kührener Au, Postau et Mühlenau.
- Cette mention se trouve dans un recueil botanique écrit par Wilhelm Heering (1906) qui a répertorié les arbres remarquables de la région. Dans son livre « Bäume und Wälder Schleswig-Holsteins », on trouve même une photo qui montre qu’à l’époque, le chêne de Kattholz avait déjà un tronc impressionnant. ↩︎
- Il est assez difficile de mesurer le chêne de Kattholz en raison de son emplacement et des renflements de son collet. Sa circonférence a été mesurée à un mètre et demi du sol. ↩︎
- A ne pas confondre avec le domaine et les deux lacs de Schierensee qui se trouvent dans le parc naturel de Westensee. ↩︎