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Croisière sur le lac de Plön — Bosau et l’apôtre des Slaves

Faisons un petit tour de bateau ensemble. Nous sommes sur un lac qui se trouve au nord-est de Hambourg, entre Kiel et Lübeck. La région est connue pour ses paysages bucoliques et ses nombreuses étendues d’eau. Celle-ci — le Grand lac de Plön — est la plus grande de toutes.

En route, nous irons voir Saint-Pierre de Bosau, une église qu’on qualifie généralement de plus petit dôme d’Allemagne et pour quelques minutes, nous remonterons dans le temps, à un moment où trois grands peuples se partagèrent le Nord de l’Allemagne : les Vikings, les Saxons et les Slaves.


Nous sommes au XIIe siècle et dans le royaume des Wagriens. Ce peuple slave venu de l’est s’est installé près de la mer Baltique, dans une contrée de forêts denses, de collines boisées et de lacs — le Holstein actuel. La capitale, Starigard, ne se trouve pas très loin de la côte tandis que les cités de Plune et de Bozowe ont été créées sur les îlots d’un très grand lac dont les contours rappellent un peu ceux de l’Afrique. Le temps est aux croisades et aux missions car l’empire saxon et l’Eglise veulent christianiser les Wagriens, repousser les frontières vers l’est et coloniser ces régions…


Helmold von Bosau, Chronique des Slaves (XLIV-XLVI)

Au début, il avait dormi sous un arbre. Evidemment, il aurait préféré s’installer dans son diocèse, mais plus on pénétrait vers l’est et plus la situation devenait dangereuse. En l’espace de deux siècles, combien de moines avaient péri en mission, victimes de la colère incalculable des Wagriens ? A peine pensait-on avoir touché leur cœur et leur âme, leur avoir appris les principes de la Chrétienté qu’ils se rebellaient. Ces peuples slaves tenaient à leurs croyances comme un enfant se cramponne à son univers plein de magie et de créatures fantastiques.



Henri le Lion, le nouveau duc des Saxons, désirait une colonisation rapide, c’était pour cette raison qu’il lui avait donné l’île. Pour commencer, il y construirait une église et il ferait de Bozowe un lieu de lumière. Vicelin avait réfléchi, il ferait venir des artisans. Peut-être pourrait-il persuader aussi les Slaves des environs de l’aider. Comme les autres églises qu’il avait faire bâtir, elle serait en pierres. Et pour le gâchis, il ferait venir du gypse de Segeberg.



Dans un an ou deux, cette maison de Dieu ne serait peut-être pas finie mais il pourrait la bénir. Alors, dans son nouveau diocèse, la parole divine serait présente au quotidien et un jour, la région de Bozowe deviendrait chrétienne. Cette église accueillerait ses fidèles, mais elle servirait également de refuge. Il en ferait une pierre de l’Église. L’église Saint-Pierre.



Ce que nous savons de Vicelin, « l’apôtre des Wagriens », l’évêque d’Oldenbourg, le prêtre missionnaire du Nord, c’est Helmold de Bosau qui nous l’a transmis dans son œuvre « Chronica Slavorum » — la chronique des Slaves. Le manuscrit rédigé en latin résume plusieurs siècles de christianisation, entre autres dans la région de Holstein.

Si Helmold avait écrit ce livre aujourd’hui, c’est peut-être plutôt dans ce style romancé qu’il l’aurait fait mais il vivait au XIIe siècle et surtout, il était prêtre chroniqueur. Bien sûr, Bosau — ou Bozowe comme les Slaves l’appelaient — ne joue pas un rôle prépondérant dans la chronique, cependant, Helmold connaissait très bien cet endroit puisqu’il y était prêtre. Il avait fréquenté Vicelin et avait suivi sa vie de près. Il connaissait également son successeur, Gerold d’Oldenbourg. C’est ce dernier qui l’incita à rédiger cette chronique. Sans ces deux personnes, nous n’en saurions donc pas autant sur la création de Bosau.

Lorsque Vicelin (1090-1154) est nommé évêque d’Oldenbourg, il est déjà assez âgé. Il a environ 59 ans et a déjà beaucoup œuvré. On sait de source sûre qu’il a fait faire les travaux à Bosau entre 1151 et 1152. Selon Helmold, il aura encore le temps de bénir l’édifice avant de s’effondrer quelques jours plus tard, victime d’un AVC. Paralysé et aphasique, il passera les deux dernières années de sa vie amoindri et mourra, terrassé par une seconde crise. Sa vie et son œuvre en ont fait un Saint dans le monde catholique. En matière d’architecture, il est le fondateur des églises du style Vicelin dont la petite église épiscopale de Bosau est un exemple.



En réalité, la création de Bosau remonte au VIIIe siècle car d’après des fouilles archéologiques qui y ont été effectuées, une cité slave avait déjà existé à cet endroit en 726. Il s’agit d’ailleurs d’une des premières traces d’habitation pendant la période slave du Holstein. Les Wagriens avaient même bâti une motte sur un îlot voisin qui, aujourd’hui, est inhabité et qui sépare le grand lac de Plön du Bischofssee. Cette motte habitée entre 837 et 870 fut vraisemblablement abandonnée vers 900. Au XIe siècle, un évêque s’installa sur la rive pendant quelque temps. Cependant, sa ferme fut détruite pendant les révoltes slaves, en 1066. L’église de Vicelin représente donc un nouveau chapître dans l’histoire du lieu.



Aujourd’hui, l’îlot sur lequel le dôme de Bosau a été édifié, forme une péninsule. Le petit village qui l’entoure a su conserver le charme typique de la Suisse du Holstein — des paysages de campagne bucoliques autour d’une eau omniprésente.

Le Grand lac de Plön fait partie des grands lacs d’Allemagne. Dans le nord du pays, il est même le « Number One » — le plus grand, le plus profond et certainement le plus fréquenté. En effet, ses rives boisées et ses nombreux îlots font le bonheur des oiseaux migrateurs et des hommes qui l’ont choisi comme habitat depuis des milliers d’années.



La région qui comprend aussi un parc naturel a été surnommée « Suisse du Holstein » par un hôtelier ingénieux qui tenait un hôtel du même nom dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avec cette comparaison alpine, il voulait attirer de nouveaux clients. « Venez respirer l’air pur de la Suisse ! Venez vous ressourcer dans nos montagnes. » C’est ce qu’il semblait dire avec son hôtel. Une promotion qui eut du succès rapidement car la haute bourgeoisie prit effectivement goût à la région. Elle fit construire des villas autour du lac de Plön et du Kellersee et une ligne de chemin de fer fut créée pour que les riches Hambourgeois et Berlinois viennent plus facilement.



Aujourd’hui encore, un bon nombre de touristes allemands vient passer ses vacances dans ce paysage bosselé et parsemé de lacs. La région reçoit également des curistes, à Malente par exemple.

Très tôt, on proposa des tours en bateau à tous ces visiteurs. Une tradition qui perdure. Aujourd’hui, il existe plusieurs entreprises dont les bateaux naviguent dès qu’il commence à faire beau et qui proposent des traversées ou des croisières commentées. Ce qui est sympa, c’est qu’on peut interrompre son tour ici et là avant de le poursuivre en prenant le prochain bateau.



Une des croisières proposées s’appelle la « Bosau-Fahrt ». Plusieurs fois par jour, « Antje » accoste à l’embarcadère de Fegetasche, au nord-est du lac, et va à Bosau avant de se diriger vers un isthme artificiel qui a accueilli les enfants du dernier empereur d’où le nom noble qu’on lui a donné : « l’Île des Princes ».


En fait, le village de Bosau ne se trouve pas au bord du Grand lac de Plön. Après avoir traversé une partie du lac, le bateau se rapproche de la rive et se fraye un passage entre les joncs qui bordent le lac et un grand îlot de sable plat.

Sur ce Warder inhabité (c’est comme cela qu’on appelle les nombreux îlots du lac), on voit beaucoup d’oiseaux et un peu de verdure. C’est ici que la motte féodale dont j’ai parlé avait été construite au VIIIe siècle.


La petite anse dans laquelle nous nous trouvons s’appelle le Bischofssee. Je traduis : le « lac de l’Évêque ». Vous vous doutez pourquoi…

Arrêtons-nous ici et marchons jusqu’à l’église. Elle n’est pas loin. On la voit tout de suite en arrivant. Blanche, avec son toit en partie baroque, entourée d’un petit cimetière et de quelques arbres, elle s’élève sur sa péninsule. En plus de 800 ans, évidemment, Saint-Pierre de Bosau a vécu des changements, mais cette église romane fait toujours et encore partie des églises du style Vicelin.



Parmi les trésors de cette église à nef unique et à tour carrée (elle était ronde à l’origine), j’aimerais vous présenter un objet qui date de la fin du Moyen-Age et qui m’a intriguée. Il s’agit d’une grande croix triomphale très colorée (Triumphkreuz).

Cette croix a été sculptée vers 1470 dans l’atelier de Bernt Notke qui était un peintre et un sculpteur très connu dans le nord de l’Allemagne.



Concentrez-vous sur deux éléments intéressants. L’un d’eux n’est pas rare, on le trouve assez souvent sur les croix de cette époque. Il s’agit des trente-deux feuilles stylisées qui semblent sortir de la croix en bois. Ces excroissances carrées symbolisent la victoire de la vie sur la mort car le bois de la croix reprend vie. L’autre, par contre, est peu commun. Le Christ qui est fixé sur la croix saigne. Il souffre aussi. Somme toute, ce genre de représentation est typique du Moyen-Age, mais dans le cas présent, il saigne tellement que de gros jets de sang sortent de ses plaies ouvertes. Ce sang est recueilli par des anges qui volent autour du crucifié.


Après avoir visité Bosau, vous pouvez retourner au débarcadère et prendre le prochain bateau qui va en direction de l’Île des Princes et de Plön. Mais vous pouvez aussi repartir vers Fegetasche à pied en suivant le Mönchsweg.

Le « chemin du moine » est un sentier de randonnée qui permet de découvrir la région au rythme de ses pas. Au sortir de Bosau, un petit parcours de 1,5 kilomètres (un Naturlehrpfad) présente la faune et la flore d’un ancien Warder qui s’est transformé en péninsule avec le temps. A vous de voir si vous voulez marcher un peu plus. En tout cas, la balade dans ce biotope humide est jolie.

Voici quelques impressions de ce qui vous attend pendant cette randonnée : de beaux panoramas sur le Grand lac de Plön et sur le Vierersee, un des lacs qui se trouvent juste à côté. Voici d’ailleurs deux vues fort sympathiques sur ce petit lac :

En chemin, il y a beaucoup de nature à la clé — des points de vue sur les lacs, des prés, des champs et des bois — sur environ 8 kilomètres.


Vous pouvez faire différents tours en bateau sur le Grand lac de Plön :

Dans cet article, vous trouverez un topo de la croisière appelée « Großer Plöner See-Rundfahrt » qui mène à l’Île des Princes.

En soi, les tours durent d’une heure et demie à deux heures mais vous pouvez interrompre votre croisière et reprendre un bateau ultérieurement. Dans le cas de Bosau, il y a deux avantages :

  1. Vous pouvez prendre un vélo contre un supplément de 2 € (2023).
  2. Vous pouvez faire seulement une partie du tour et rejoindre le point de départ à pied comme je l’ai fait. Alors, évidemment, vous payez moins.

Mon conseil si vous venez en voiture — Commencez votre tour au débarcadère de Fegetasche. Cet endroit a l’avantage d’avoir un assez grand parking (payant), une plage et de la gastronomie.


Fegetasche

Attention ! Vous ne pouvez pas réserver votre place. Allez sur le ponton, attendez que le bateau accoste et montez. Prévoyez aussi de l’argent liquide car vous allez payer directement chez l’employé (surtout, admirez sa belle machine à sous — qui sait combien de temps elle existera encore). Il y a des places à l’intérieur et à l’extérieur. Le tour est guidé. Dans mon cas, c’était le conducteur qui parlait en live.