You are currently viewing Felm, le parfait de l’imparfait

Felm, le parfait de l’imparfait

Séquence 1 (extérieur et jour)

Paysage enneigé dans les années 1990. Ancienne tourbière située au nord-ouest de la ville de Kiel.



Plan 1-1 : Ouverture au noir. Gros plan sur des patins en bois. Sur le côté gauche, on aperçoit la neige qui tapisse le sol. Ambiance sonore extérieure. Un vent léger souffle dans des branches. On entend les grains de neige rouler dans un petit crissement.

Plan 1-2 : Dans un mouvement lent horizontal puis vertical, la caméra suit un des montants et fait apparaître un sac à dos qui se trouve sur la luge. Le volume du vent s’estompe, on entend des voix d’enfants assez lointaines et à proximité des bruits de respiration essouflée en off. L’ambiance est joyeuse.

Plan 1-3 : Léger zoom arrière sur le sac entrouvert. Deux mains de femme en gros plan le referment. Sa respiration en off est très proche. Bruit de fermeture-éclair. Plus loin, on perçoit des bruits de patins sur la glace.
Garçon en off (éloigné, fort, jeune) : « Maman, regarde ! Regarde, maman ! »
Mère en off (très proche, fort) : « Attends ! J’arrive tout de suite ! »



Plan 1-4 : Zoom arrière sur un décor de neige et mouvement de caméra de type panoramique horizontal vers la gauche qui s’arrête sur un lac gelé. Raccord audio — Bruits de pas dans la neige qui s’éloignent rapidement vers la gauche. Le volume de la respiration s’estompe tandis qu’on entend de plus en plus les patins crisser sur la glace. La luge se trouve à quelques mètres de l’eau. Tout autour, des bouleaux forment une forêt éparse. Ici et là, quelques grosses touffes d’herbes sèches sortent de la neige. Entre la luge et le bord du lac, la neige a été tassée par les pas. Sur la gauche, des chaussures d’homme et deux paires de bottes d’enfants. Sur la glace, des lignes parallèles forment des arabesques qui suivent un groupe de patineurs en plein milieu du lac.
Au milieu de la surface, un homme tire une luge sur laquelle un petit enfant est assis. Dans le fond, deux enfants patinent à toute vitesse et se pourchassent. Sur le bord, une femme met ses patins à glace, accroupie. L’homme se dirige vers la femme en formant un arc de cercle. Détails de la scène (cuts rapprochés).



L’enfant sur la luge en off (fort) : « Schneller, Papi, schneller ! »
Les deux autres enfants, essouflés, se parlent fort en riant. On ne comprend pas leurs propos.

Plan 1-5 : Cut entre 4-5. Gros plan sur le visage de la femme qui est éclairé par un soleil d’hiver tamisé. De son bonnet sortent quelques cheveux. Faible profondeur de champ. Elle regarde la scène au loin puis l’homme qui s’approche, sourit et baisse les yeux juste avant un cut.



Bruits d’enfants qui crient et rigolent au loin en off. Des patins se rapprochent en off également, on entend une respiration d’homme puis un crissement de patins qui freinent.
L’enfant sur la luge en off (fort) : « Maman, regarde ! Papa, c’est mon cheval. »
L’homme (à quelques mètres et joyeux) : « Komm ! » (ensuite plus proche et à bout de souffle) « Das ist sooooo herrlich ! »

Plan 1-6 : Raccord image — Gros plan sur les patins de la femme. Vue plongeante. Patins d’abord immobiles, puis en mouvement. Fondu au noir. Ambiance sonore extérieure. En hauteur, un vent léger souffle dans des branches. On entend les cristaux de glace rouler sur la neige. Au loin, bruits de patins et cris d’enfants. Pour finir, bruit de deux patins qui glissent doucement dans la neige et sur la glace.

Séquence 2 (extérieur et jour)

Même lieu : Commune de Felm. Forêt de Stodthagen et marais de Kaltenhof
Date : Printemps 2019



Extrait d’un reportage organisé dans le cadre d’une émission sur les projets Natura 2000 du Schleswig-Holstein :

Voix de femme en voice-over (claire et vive) : « On y allait avec les enfants pour faire du patin. C’était très chouette… » Montage d’une autre voix en voice-over. Le récit de la femme qui parle de ses sorties en famille avec la luge dans la forêt de Stodthagen, s’estompe tandis que la voix masculine devient plus prononcée.

Commentaire en voice-over et interview (deux voix masculines) :
« Si vous vous promenez en ce moment dans la forêt de Stodthagen près de Kiel, vous risquez fort de croiser un jeune homme qui vient pratiquement tous les jours au printemps, du moins lorsqu’il fait beau. »



« Andreas, 27 ans, étudiant à Kiel, aime venir de bonne heure, au moment où les rayons du soleil éclairent les anciennes tourbières marécageuses de Kaltenhof. Son objectif : la mare aux serpents comme on l’appelle ici, à Felm. Aujourd’hui, je l’accompagne, curieux d’en savoir plus sur son travail de photographe naturaliste. Evidemment, pour faire de bons clichés, j’aime mieux avoir du soleil, dit-il, immobile devant ses deux trépieds. Nous sommes juste au bord d’un lac qui fait à peu près un hectare. Autour de nous, des bouleaux. Le sol est spongieux. Andreas a dirigé sa grosse Canon sur la surface de l’eau, il a emmené un second appareil, un peu plus petit, pour prendre les bords de l’étang qui se trouvent à un mètre de nous. »



« Andrea explique : L’important, c’est de ne pas bouger car le sol, surtout celui-ci qui contient énormément de tourbe, émet des vibrations qui pourraient les effrayer. Mais aujourd’hui, nous devrions avoir de la chance. Il n’y a pas beaucoup de passage à cette heure-ci et avec le soleil, elles vont certainement sortir de leurs trous pour se réchauffer. En général, les couleuvres s’installent juste au bord de l’eau, sur les herbes, devant nous. C’est là qu’elles ont le plus chaud. D’ailleurs, comme la période de reproduction débute, nous risquons de les voir en groupe. »



« Au bout d’une minute déjà, je m’aperçois comme il est difficile de ne pas bouger. Il fait frais et je ne vois rien à part un paysage figé. Le temps me paraît long pendant que Andreas scrute l’eau à travers son objectif. Je commence à perdre patience lorsque Andreas me montre un mouvement à la surface. Deux couleuvres traversent l’étendue bleutée, la tête drue, et disparaissent dans un fouillis d’herbes sèches. Quelques minutes plus tard, même scène mais il y en a trois cette fois-ci. L’attente devient plus supportable. J’en oublie un peu mes crampes, persuadé que Andreas connaît assez bien le coin pour me montrer ce que je veux voir et en effet, ça ne manque pas. »



« Juste devant nos pieds, soudain, une tête de serpent sort des herbes, les joues en demie-lune. Une petite couleuvre. Sa langue sonde le terrain et vibre au contact d’une autre couleuvre, plus grosse celle-ci, qui vient de sortir de l’eau. Un groupe de serpents se love devant nous, juste au bord de l’eau. Plus loin, je vois une queue disparaître entre les racines d’un arbre. Un va-et-vient continu de reptiles, à la recherche de partenaires. »



« Au retour, Andreas me fait passer par un autre petit étang. Au passage, il me montre quelques batraciens qui croisent notre chemin et explique : En fait, le marécage de Kaltenhof est protégé depuis le début des années 1940 mais jusqu’en 1953, on venait y chercher de la tourbe. Les gens de la région avaient besoin de combustible. Donc, la mare aux serpents n’est pas naturelle, elle a été créée par l’homme. Imagine toute la tourbe qui est partie en fumée au cours des derniers siècles. Un sacré trou dans une tourbière de huit mètres de profondeur. En 1999, cette zone marécageuse et la forêt de Stodthagen qui l’entoure ont été déclarées zones protégées, zone Natura 2000. Les fossés et les systèmes de drainage ont été renaturés. Depuis une vingtaine d’années, la forêt reprend ses droits, une sorte de jungle du XXIe siècle pour ainsi dire. Un beau projet quoi ! En tout cas, pour mes couleuvres et les sonneurs à ventre de feu qui sont des batraciens très rares, c’est le paradis.« 



« Je confirme l’adjectif. Une « belle » forêt de hêtres avec de grands arbres couchés qui forment des ponts naturels au-dessus de trous d’eau glauques et impénétrables. Un « beau » paysage qui ressemble aux estampes russes. Une bouleaie parsemée de linaigrettes, de droseras et de sphaignes. Et une « belle » étendue d’eau, qu’on y cherche aujourd’hui des serpents en mal d’amour ou qu’on y ait trouvé le bonheur d’un dimanche en famille il y a trente ans.

Le parfait de l’imparfait ! A en oublier tous les petits moustiques qui vont bientôt se réveiller. »



Informations utiles

Petite précision

J’avoue. J’ai inventé l’interview et je n’ai jamais fait de patin à glace sur cette étendue d’eau. D’ailleurs aujourd’hui, cela serait totalement interdit. Néanmoins, il s’agit d’une histoire vraie. En discutant de mes balades avec une Française qui m’est très chère, j’appris qu’elle était allée faire du patin à glace avec son mari et ses enfants dans la forêt de Felm, à une époque où celle-ci était encore « à tout le monde » et pas « à tous les animaux ». Son récit me parut venu d’un temps parfait même si les écologistes actuels le condamneraient à l’imparfait. Merci, C. !
L’idée de reprendre de vieilles photos personnelles pour raconter ces doux après-midis d’hiver m’est venue par la suite. Les photos récentes ont été prises au début du printemps.