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A la recherche d’un passage : Le sentier des gendarmes danois

Une route barrée, un écriteau et une demi-phrase : « Lukket for passage ». Il n’y a pas de faute d’orthographe. En fait, c’est du danois. Plus bas, on lit : « Closed for passage – Durchgang geschlossen ». Pour un public français, les autorités danoises auraient peut-être ajouté cette phrase : « Nous interdisons tout passage entre le Danemark et l’Allemagne à compter du 14 mars. » Nous sommes en 2020, l’année covid. Une réalité toute nouvelle pour ceux qui s’étaient habitués à naviguer librement en Europe.

En effet, depuis longtemps, à la frontière entre le Danemark et le Schleswig-Holstein, les habitants se rendent visite régulièrement sans restrictions*. On va faire ses emplettes dans le pays voisin parce que c’est moins cher ou plus « hyggelig », on prend ses clics et ses clacs le vendredi après le travail et on va dormir au bord de la mer du Nord ou on fait simplement un petit tour de l’autre côté de la frontière, le temps de se dégourdir les jambes et de manger un hotdog ou de boire une ou deux bonnes bières. Mais tout d’un coup, finito ! « Lukket for passage. »

Comme il est difficile de prévoir un voyage au Danemark en ce moment (mars 2022), je vais vous servir de guide et vous faire découvrir une zone frontalière de toute beauté : la vallée de Krusau.


Nous voici – ratzfatz – au Danemark ! A gauche, le passage de la Schusterkate au bord de la Baltique, à droite, celui de la Kupfermühle qui se trouve un kilomètre plus loin dans les terres. Dans les deux cas, la rivière de la Krusau sert de frontière naturelle. En tout, 279 bornes sont réparties sur les 67 kilomètres de frontière entre l’Allemagne et le Danemark.


Il s’agit d’une randonnée sur un sentier côtier très apprécié par les randonneurs scandinaves, surtout l’été. Une randonnée que j’ai faite le long du fjord de Flensburg quelques jours après l’ouverture des frontières en juillet 2020.



Un peu timide, cette randonnée, je dois l’avouer, car les traces de la fermeture des frontières étaient toujours visibles et le confinement encore dans les têtes. Un petit programme germano-danois au bord de la mer Baltique — quelques kilomètres sur le « Gendarmstien » qui font découvrir la forêt de Kollund ainsi que la vallée tunnel de Kruså où coule une petite rivière très zen. A la clé, vous aurez de très belles vues sur le fjord.

*Malgré les accords de Schengen et les clichés courants d’une culture danoise ouverte et tolérante, le gouvernement du Danemark contrôle de plus en plus l’entrée sur son territoire. Depuis quelques années, il justifie les contrôles routiers croissants par sa lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine. Quant au nouveau grillage qui scinde la péninsule sur 70 kilomètres depuis décembre 2019 et qui engendre de nombreuses critiques, il paraît qu’il est là pour empêcher les sangliers allemands de passer.

Juste un pont, juste une grille et hop ! le Danemark.

Pour se rendre au Danemark, il y a normalement 13 postes-frontières officiels. Celui de Krusau (ou Kruså selon la langue utilisée) est l’un des plus anciens. Il était d’ailleurs le plus fréquenté de tous jusqu’à la création de l’autoroute E45 en 1978. Il n’est donc pas étonnant que cet été, des bouchons énormes se soient formés dans ce goulet puisque le gouvernement danois n’avait autorisé le passage qu’à trois (plus tard à cinq) endroits sur les 67 kilomètres de frontière.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’à quelques kilomètres de ce poste, il y a deux passages piétons qui permettent de traverser la frontière à pied. J’ai emprunté ces deux chemins, celui partant de la Kupfermühle à l’aller et celui de la Schusterkate au retour. Le contraire est faisable aussi évidemment.

Comme je l’ai dit, ces quelques kilomètres à l’étranger ont été un peu hésitants après des mois passés à la maison. La banderole rouge et blanche de la police danoise, à moitié arrachée par le vent et les passages, barrait encore les deux routes. Elle a certainement contribué à cette petite gêne.


Ici, à quelques mètres du pont, nous sommes au Danemark.

Le passage de la Schusterkate

Au bord de la mer Baltique, il y a un passage minuscule réservé aux piétons : la Schusterkate ou le Skomagerhus en danois. Il passe pour être l’un des plus petits postes frontaliers d’Europe.


En arrière-plan, vous voyez le pont qui relie l’Allemagne au Danemark et l’embouchure de la Krusau. Au premier plan, un vilain grillage fait tâche dans l’eau. Il a été installé là en 2019 pour empêcher les sangliers de passer (car un sanglier, ça nage très bien – je ne mens pas !). Pas beau…

Juste le temps de traverser un petit pont en bois qui relie les deux rives de la Krusau et de jeter un coup d’œil à l’intérieur de l’ancienne maison du garde-frontière, laquelle sert d’abri à un charmant petit club de voile.


Le petit port de Schusterkate se trouve juste avant l’embouchure au niveau du pont.

Juste le temps de regarder l’eau de la rivière se mêler tranquillement à celle du fjord, d’admirer les rives de Flensburg ainsi que Wassersleben et hop ! nous voilà au Danemark ! Pas d’embouteillage. Il suffit juste de respecter les distances.


La dernière plage avant la frontière : Wassersleben !

Ici, pas de panneau comme on les voit d’habitude au bord des autoroutes. Juste deux drapeaux et deux bornes en granit. Un D pour « Danemark » d’un côté et de l’autre, un DRP pour « Deutsches Reich Preußen ». Une date aussi – le 15.6.1920 – qui rappelle le jour où le résultat des plébiscites de Schleswig entra en vigueur. Au printemps, les habitants de la région de Schleswig avaient voté et décidé du tracé actuel de la frontière.

De là, on peut longer la côte jusqu’à la première ville danoise en empruntant le « sentier des gendarmes » et se promener dans la superbe forêt de Kollund.


En plein milieu du pont, difficile de croire que nous sommes entre les deux pays car en face, on ne voit que les côtes allemandes.

Le passage de la Kupfermühle (Kobbermølle)

L’autre passage est moins connu. En partant de la Kupfermühle qui se trouve à un kilomètre de la Schusterkate et qui était la plus grande fabrique de cuivre de l’empire danois au XIXe siècle, on peut rattraper le même sentier un peu avant.


Le joli petit lieu-dit de Kupfermühle est composé d’un moulin accolé à l’ancienne fabrique (un musée aujourd’hui) et de vieilles maisons de travailleurs. La Krusau coule juste à côté et alimente la roue à aube qui fonctionne encore. A cet endroit, la rivière est sur le territoire allemand puisque Kupfermühle fait partie de la commune de Harrislee.


Pour se rendre au Danemark, passons par un petit bois. Ici, la vallée tunnel de la Krusau se dessine déjà. Et on entend les moteurs des voitures qui attendent au poste-frontière de Kruså un peu plus loin. On en aperçoit même le toit blanc et les lumières entre les hautes herbes mais notre passage à nous se trouve avant : à l’endroit où l’asphalte cède la place à des barres horizontales fixées au sol. Elles sont là pour empêcher les sangliers de passer alors qu’une porte grillagée sur le côté permet d’entrer au Danemark comme on entre dans un jardin.

Tournons alors tout de suite sur la droite après avoir changé de pays et nous découvrons la petite rivière de la Krusau qui se perd dans la végétation. Quelques secondes plus tard, nous sommes sur un sentier qui longe la rivière et qu’ont emprunté plusieurs générations de gendarmes afin de contrôler les frontières du Danemark. On l’appelle le Gendarmstien.


La Krusau prend sa source à Padborg et va se jeter dans la mer Baltique au nord de Flensburg après avoir alimenté le moulin de Kupfermühle. En amont, elle fait partie du territoire danois.

Le Gendarmstien

Le Gendarmstien a été utilisé par la gendarmerie danoise de 1920 à 1958. A partir de 1958, la police danoise prit le pas et commença ses contrôles en voiture. Aujourd’hui, ce sentier connaît un succès croissant chez les randonneurs scandinaves. Il paraît même qu’il est l’un des plus beaux du Danemark. Comme c’est le cas du « Chemin des Peintres » dans la Suisse saxonne, il se commercialise un peu depuis que la randonnée se popularise, surtout chez les jeunes. Mais ce phénomène reste très soft en comparaison. Ainsi, on distingue cinq parties à faire en cinq jours environ : l’étape des montagnes (celle dont je parle ici), l’étape des briques, l’étape des corneilles, enfin celles de la plage et des moulins. Le sentier s’étend en tout sur 74 kilomètres, il part de Padborg et va jusqu’à Høruphav. La plupart du temps, il suit les bords de mer.

Je ne connais pas le parcours complet mais à Kollund, trois points de bivouac ont été installés dans la forêt il y a quelques années. Il y en peut-être d’autres plus loin. Sincèrement, j’ai trouvé le concept hyper sympa. Il s’agit d’abris rudimentaires en bois qui permettent de dormir sans monter sa tente. Juste à côté, il y a la possibilité de faire un feu de camp ou même un barbecue (au moyen d’une grille rotative fixée au sol). Les ‘Shelterplätze‘, ces abris pour 6 personnes, peuvent être réservés au maximum deux nuits d’affilée. En haute saison, je conseille de le faire. Lorsque nous sommes passés devant le campement de Kollund Skov en milieu d’après-midi, ça sentait déjà bon le feu de bois, les premières côtelettes grillaient et ça rigolait sec autour des abris. Le prix à la nuitée est tout à fait abordable (DKK 50, c’est-à-dire 7 €) et la vue superbe.



Vous saurez que vous êtes sur le bon chemin grâce au gendarme bleu qu’on trouve régulièrement sur des panneaux. Comme lui, marchez le long des bornes. Près de la Krusau, vous en verrez ici et là, en pleine forêt. Qu’elles soient modernes ou anciennes, elles sont toutes affublées d’un grand D et indiquent les limites du territoire danois. Surtout, ne vous laissez pas déconcerter par les grillages que vous rencontrerez aux abords de la Kupfermühle. Ouvrez les portes. Ces obstacles sont là pour dissuader … les sangliers (je sais, ça fait leitmotif mais le grillage aussi).



Quelques infos sur l’histoire du Gendarmstien

Un plébiscite eut lieu dans cette région en 1920. La zone I du Jutland, celle qui se trouve au nord de la Krusau, souhaita devenir danoise alors que les habitants de la zone II, c’est-à-dire les territoires au sud de Flensburg, voulurent rester allemands à 80%. Au vu des résultats, on décida que la petite rivière qui faisait partie de l’empire prussien depuis 1864, ferait office de nouvelle frontière au bord de la Baltique.

Les gendarmes royaux quittèrent leurs anciens postes, descendirent vers le sud et se mirent à patrouiller le long de la Kruså et du fjord afin de contrôler la frontière, l’objectif principal étant d’endiguer la contrebande. Après la grande guerre, l’empire avait besoin de remplir ses caisses. Les taxes de douane étaient primordiales. De là, ils pouvaient contrôler le trafic dans le fjord.

En tout, 16 districts furent créés. Chaque troupe contrôlait son segment. 4 heures de garde, 8 heures de libre, 4 heures de garde, une journée de libre par semaine. Une vie de « gens d’armes »…


Le long de la Krusau

Le chemin forestier que vous trouverez en partant de la Kupfermühle passe dans une forêt où les hêtres et les feuillus typiques de zones humides se partagent le terrain.



A la fin du printemps, la végétation dense dissimule le cours de la rivière et près des trous d’eau, des tapis entiers de Grande prêle recouvrent le sol. Une rareté impressionnante !


La Grande prêle, plante rare qui fait plus d’un mètre de haut, a élu domicile près de la Krusau. En les regardant de près, on comprend pourquoi elles s’appellent aussi Grande queue-de-cheval.

La source d’Abraham ou Abrahams Kilde

En cours de route, vous rencontrerez une source qui coule en contrebas. Il s’agit de la Abrahams Kilde. Cette eau ferrugineuse qui est à 7 ou 8° C lorsqu’elle sort de son trou artificiel passe pour avoir des vertus curatives. A cet endroit, il semblerait qu’une chapelle ait été construite par des moines vers l’an 1000.



La Schusterkate

En arrivant sur la côte, vous avez le choix. Vous pouvez soit repartir en Allemagne par le petit pont de la Schusterkate soit continuer vers le nord en direction de Kollund. Juste après la frontière et en territoire danois, vous passerez en tout cas devant cette belle maison privée. En fait, il s’agit de la fameuse « Schusterkate » qui a donné son nom au poste-frontière. Au début du siècle, lorsque la côte appartenait encore à l’empire allemand, un projet de grande envergure vit le jour. On pensait construire tout un tas de villas sur les hauteurs de la forêt pour les familles riches de Flensburg mais faute d’argent, ce projet ne fut jamais concrétisé. La seule maison à avoir été construite à l’époque est celle-ci.


La ‘Schusterkate’ se trouve juste en bord de mer. De là, quelle vue !

De l’autre côté du fjord, vous voyez Flensburg et ses environs. Dans ces eaux, régulièrement, on peut observer des marsouins. Effectivement, j’en ai vu deux tout près des côtes mais le temps d’allumer mon appareil, ils avaient déjà disparu.

Il paraît que les « Schweinswale » adorent ce fjord. Les femelles semblent d’ailleurs avoir choisi cet endroit pour faire leurs petits. Donc, surtout, regardez bien si vous ne voyez pas des petites nageoires dorsales qui sortent de l’eau de temps en temps. Et si ça vous intéresse, l’organisme NABU propose des sorties de Whalewatching l’été.



Partant de là, vous pouvez vous promener dans la forêt de Kollund. Suivez le chemin qui longe la grève et qui se faufile entre les herbes et les arbres. La mer est juste à côté.



La forêt de Kollund

Au fur et à mesure, la côte se profile ; ça monte et ça descend. Ici et là, des escaliers et des ponts permettent de surmonter plus facilement les différences de dénivelé.



Cette forêt qui appartient au Danske Naturfond aujourd’hui, était encore allemande il y a une quinzaine d’années. Bizarre lorsqu’on pense qu’elle se trouve en territoire danois depuis 1920 ! En réalité, ce phénomène curieux est dû au fait que la ville de Flensburg ait décidé d’acheter la forêt de Kollund en 1883, à une époque où il était question de la déforester. Habitués à s’y rendre régulièrement, les habitants la considéraient comme leur parc et ils voulaient la sauver. Après la seconde guerre mondiale, les autorités danoises décidèrent de laisser la majeure partie de la forêt aux Flensbourgeois.

Finalement, les 75 hectares allemands furent vendus à un particulier danois parce que la ville de Flensburg manquait d’argent. Les propriétaires actuels ont des projets de renaturation et de restauration écologique.


Entre les arbres, vous apercevrez l’eau du fjord et la côte allemande tout au long de votre promenade.


Kollund City

La forêt s’arrête à Kollund. De là, il paraît que des navettes proposent des tours vers les Ochseninsel. Au début de l’été 2020, nous n’avons pas vu l’ombre d’un bateau … ni d’un hotdog d’ailleurs. Par contre, c’est ici que nous avons observé nos deux amis marsouins et admiré les premières villas qui bordent la côte. Ensuite, retour à la case départ. Il valait mieux puisqu’avec toutes les banderoles et les interdictions mises en place depuis le 14 mars, nous ne nous sentions pas vraiment « welcome ».

Dire que cette année, la zone frontalière germano-danoise fête ses 100 ans de vie commune…


Les premières habitations danoises au sortir de la forêt de Kollund. Très chic ! A quelques kilomètres, on trouve certainement des cafés et des restaurants mais nous n’avons pas été jusqu’à là.

Infos pratiques

Je vous propose de combiner ces deux circuits :

  • Circuit de randonnée Kupfermühle – vallée de KrusauSchusterkate : komoot
  • Circuit de randonnée Schusterkate – forêt de Kollund : komoot

Pour plus d’informations sur le Gendarmstien, allez sur le site officiel (étape des montagnes, en allemand). Vous pouvez avoir des informations plus précises sur les hôtels, campings et abris qui se trouvent le long du sentier des gendarmes en allant sur ce site (carte interactive).

Si le musée de la Kupfermühle vous intéresse, vous pouvez jeter un coup d’œil sur son site ou vous renseigner sur cette page de la Flensburger Förde.

A faire dans le coin

  • visiter la ville de Flensburg
  • faire une randonnée sur la presqu’île de Holnis
  • faire un tour à Langballigau et à Unewatt pour allier culture et nature
  • aller au château de Glücksburg