You are currently viewing Les pieds-à-l’eau de Graswarder

Les pieds-à-l’eau de Graswarder

Cette petite maison bleue est une véritable star de la Baltique. Tous les jours, elle se fait photographier sur toutes les coutures. Les gens en tombent littéralement amoureux, les guides touristiques la choisissent pour illustrer leur couverture, elle bat tous les records et pourtant, elle n’est ni la plus grande ni la plus belle ni la plus sophistiquée parmi les chaumières de Graswarder.

Vous savez bien que les objets cultes, ça ne s’explique pas forcément mais j’ai quand même un doute. Pour moi, cette maisonnette a tout bonnement la couleur du rêve. Devant sa façade pétillante de vie et son invitation au bonheur simple, même les éléments se retranchent. C’est un peu comme si le bleu du ciel et de la mer n’était là que pour faire ressortir sa Mignonnesse.


Même de l’autre côté et en fin de journée, elle fait craquer.

Les villas de Graswarder

Où sommes-nous au juste ?

A Heiligenhafen, au bord de la mer Baltique et à quelques kilomètres de Fehmarn — si près d’ailleurs que de la côte, on peut déjà voir le grand pont qui relie cette île ensoleillée au continent.


Au loin, on aperçoit la Fehmarnsundbrücke, pont qui relie le continent à l’île de Fehmarn. Sur la presqu’île, les villas classées historiques de Graswarder s’égrènent sur 1,5 kilomètres.

La balade

Je vous donne à peine le temps d’admirer la lagune et tous les bateaux qui mouillent dans la marina de Heiligenhafen, de prendre au passage un bon bain de foule (cette ville portuaire est très touristique) et nous voilà sur une digue bien aménagée en direction de la côte.


Les derniers pontons avant d’arriver vers le cordon littoral de Graswarder

La nature fait parfois bien les choses. Il y a encore un siècle, cette digue n’existait pas et nous aurions trouvé devant nous deux îles bien distinctes :

  • Steinwarder qui est aujourd’hui la plage principale des touristes avides de mer et de sable blanc
  • sa voisine sauvageonne, Graswarder, celle qui nous intéresse

Pendant cette belle balade en bord de mer, vous constaterez que depuis, les deux îles ont fusionné sous l’effet des courants marins.

Evidemment, vous pouvez continuer par la route qui longe les maisons afin de mieux profiter de la lagune et de la réserve naturelle mais je vous invite à traverser la dune pour aller vous promener en bord de mer. Sur la gauche, vous verrez le pont de Steinwarder qu’on appelle Seebrücke et sa plage.

Cependant, allons plutôt dans l’autre direction car c’est ici que se trouvent les quinze villas légendaires de Graswarder.



Les villas et leur histoire

Toutes ces belles villas, aujourd’hui classées historiques, datent du début du XXe siècle, une époque où le tourisme commençait à se développer. En 1898, le gratin de Heiligenhafen avait réussi à faire passer le train jusque devant leur porte et ils attendaient de pied ferme que les touristes aisés de Hambourg et de Berlin viennent en villégiature profiter des bienfaits de la mer. On enviait le succès grandissant des villes balnéaires telles que Travemünde sur la Baltique ou celui des îles de la mer du Nord. Aussi, il fut décidé de bâtir une maison de bains à Steinwarder (qui fut détruite assez rapidement par les tempêtes d’ailleurs) et un pont de 300 mètres de long qui allait jusqu’à l’île de Graswarder. Par la même occasion, pourquoi ne pas proposer aux riches estivants d’y construire un petit pied-à-terre en bord de plage ? Pas « all inclusive » mais plutôt « all exclusive » !

Donc, c’est dans cette intention qu’on construisit une vingtaine de villas entre 1901 et la première Guerre mondiale dans les dunes. Soyons honnête, même si on réprobe le côté nationaliste et antisémite de cette époque, on ne peut que fondre aujourd’hui devant les beaux toits de chaume et les façades colorées de style néo-germanique. Certaines maisons proposent des appartements en location mais en majorité, elles sont privées. De toute façon, ne rêvez pas ! Côté immobilier, il n’y a pas plus cher dans la région mis à part certains quartiers de Sylt. Alors, regardez, appréciez et rentrez chez vous avec quelques beaux clichés. Comme moi.



Pour la petite histoire — De nos jours, les maisons sont électrifiées et ont recours à l’eau courante. Ceci n’était pas le cas autrefois. Un château d’eau qui n’existe plus aujourd’hui approvisionnait les maisons en eau potable.

Une lutte contre les éléments

Pendant la tempête de janvier 2019, l’épi rocheux qui protégeait cette maison a été détruit.

Je parlais à l’instant de pied-à-terre mais est-ce que je ne devrais pas plutôt dire pied-à-l’eau ? En effet, toutes ces villas ont été construites sur la plage si bien que les vagues les envahissent régulièrement pendant les tempêtes d’hiver. Ce problème n’est pas récent même si on aime parler de changement climatique dans les journaux. Une femme y ayant vécu pendant la seconde Guerre mondiale se rappelle de tempêtes où les vagues passaient au dessus du toit.

En tout cas, avouez que ce n’est pas forcément très malin de construire si près de la côte, surtout quand on pense que le cordon sédimentaire qu’est Graswarder est soumis aux aléas des courants marins. Soit, les maisons sont classées historiques et elles font un peu partie du patrimoine national mais elles restent privées, donc c’est aux propriétaires de protéger leur bien.

Voici quelques procédés courants que j’ai pu observer :


Ici, les propriétaires ont protégé leur porte d’entrée de la prochaine tempête avant de partir.


  • En général, les maisons ont été construites sur un gros socle en béton. Parfois, celui-ci est renforcé par des blocs de pierres qui font office d’épi rocheux.
  • Souvent, les fenêtres sont munies de volets pour se protéger des intempéries.
  • Pour que le sable ne soit pas emporté par les vagues, les dunes sont renforcées par des plantations.
  • Enfin, avant de quitter la maison, les habitants étanchéifient leurs portes tant bien que mal.

Au fait, seuls les propriétaires des villas et leurs invités ont le droit de passage avec leurs voitures. Donc, en soi, Graswarder se fait uniquement à pied. Alors maintenant que vous avez marché sur la plage et que vous êtes arrivés aux dernières maisons, pourquoi ne pas quitter la plage et prendre le chemin carrossable au retour ? Ainsi, vous verrez les villas côté rue et la réserve naturelle sera à vous.


« Wotan » vu de dos

La réserve naturelle de Graswarder

Alors que Steinwarder était déjà une presqu’île depuis un petit moment, Graswarder resta île jusqu’en 1954. C’est alors qu’on décida de construire une digue laquelle accueille aujourd’hui la marina de Heiligenhafen. A l’époque, les sédiments provenant de la falaise située à l’ouest de Heiligenhafen et déposés au passage par les courants marins avaient fait de Steinwarder et Graswarder un unique cordon littoral sabloneux.

Aujourd’hui, Graswarder s’étend sur 2,5 kilomètres en parallèle à la côte et comme de nouveaux sédiments viennent rejoindre les anciens constamment, Graswarder grandit automatiquement. En 50 ans, il a quand même gagné 10 hectares.

Bon à savoir — On appelle l’étendue d’eau coincée entre le continent et la presqu’île « Binnenwasser » donc lagune. Néanmoins, une ouverture vers l’est permet aux bateaux de sortir du port.



Graswarder n’est pas connu que pour ses villas et son port mais aussi pour sa réserve naturelle de 230 hectares qui est protégée depuis 1968. En effet, si on regarde une photo aérienne, on peut constater que les contours de la lagune au niveau de Graswarder ressemblent fortement à un peigne étiré dont chaque dent est le fruit des dépots sédimentaires. Les prés salés qui en résultent accueillent une multitude d’oiseaux marins et migrateurs. Il est d’ailleurs possible de participer à une visite guidée pour mieux les observer ou d’aller tout simplement jusqu’à la tour d’observation construite par Meinhard von Gerkan, un grand architecte qui habite justement dans une des villas de Graswarder. Du haut de ses 14 mètres, je suppose qu’on les voit mieux.



Depuis quelques années, différents projets ont vu le jour dans l’objectif d’obtenir une meilleure reproduction aviaire car qui dit île, dit isolement et qui dit presqu’île, dit passage, celui-ci n’étant pas toujours bienvenu.

Maintenant que Graswarder fait partie du continent, on remarque que de plus en plus de prédateurs tels que les renards, les fouines mais aussi les hérissons et même les ratons-laveurs viennent faire des razzias fréquentes sur la presqu’île. Et je ne parle pas des aigles de mer.

Résultat : Les nids sont fouillés, pillés, dévastés. C’est pour cette raison qu’une partie des prés salés est grillagée depuis quelques années. En tout, un hectare a été aménagé avec des grillages dissuasifs de 1,60 mètres de haut. Je dois avouer que c’est un peu déroutant, ça fait un peu prison et ça abîme le paysage mais comme ça a l’air d’aider, on dira : « Bien fait ! »



Liens et sources