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Les lacs de la Terre du Milieu |01|

Et non, vous ne lirez rien sur le Lac des brumes froides ni sur celui du Miroir. Pas de Frodo, de Sam et de Gimli non plus. La « Terre du Milieu », dans le cas présent, est la région située en plein milieu des terres du Holstein : entre Schleswig au Nord et Hambourg au Sud, entre la Mer du Nord à l’Ouest et la Mer Baltique à l’Est. Et n’exagérons pas non plus, on ne peut pas comparer cette Terre du Milieu au Pays des 1000 Lacs que vous trouverez dans le Mecklembourg.

Le Schleswig-Holstein n’en a que 381 et certains sont assez riquiquis, ma foi ! Cependant, ils sont charmants, ces lacs, et le bon vieux Bilbon Sacquet serait certainement enchanté d’écrire un ou deux poèmes en leur honneur.

Pourquoi tous ces lacs dans le Nord de l’Allemagne ?

Le paysage du Nord de l’Allemagne a été marqué par l’inlandsis scandinave, une énorme calotte glacière qui se dirigea vers le Sud de l’Europe, créant sur son passage des vallées tunnel et donnant naissance à de nombreux lacs, parfois à peine plus profonds que les genoux de nos jours.



Commençons notre petit tour des lacs par le Mittelholstein, donc le « Milieu » du Holstein et allons près de Neumünster. Je vous emmène voir deux lacs, la ravissante vallée de l’Eider et la tourbière haute de Dosenmoor.

Le lac de Einfeld ou Einfelder See

Ce joli lac de 168 hectares situé dans le nord de Neumünster est apprécié par la population locale depuis longtemps. Avant 1945, il accueillait même jusqu’à 10.000 personnes le dimanche sur ses plages et ses chemins de randonnée.

On peut y nager, faire du kayak, du canoë, du stand up paddle mais aussi de la voile puisque sa profondeur moyenne va de 3 à 4 mètres. Donc, il n’est pas étonnant de trouver des clubs nautiques privés sur les bords du lac.



Par contre, vous n’y verrez pas de gros voiliers car il n’est pas assez grand et même si sa profondeur maximale est de 8 mètres, les rives généralement bordées de roseaux ne sont pas profondes. D’ailleurs, la partie Ouest est réservée à la faune.

Bordesholm, un lac chargé d’histoire

Pas étonnant que la petite ville de Bordesholm signifie à l’origine « rive de l’île » (Ufer der Insel). Lorsque les chanoines de Saint Augustin se mirent à défricher et à endiguer ces terres boisées et marécageuses au XIVe siècle, ils choisirent l’île située sur le lac pour bâtir leur monastère. Ce n’était pas la première fois que des hommes s’installaient au bord du lac. Les premières traces de passages remontent à 9000 ans avant J.-C., on suppose qu’il s’agissait là de chasseurs à la recherche de gibier. On a également retrouvé des sépultures mégalithiques dont plus de 5000 urnes au Brautberg ce qui prouve que jusqu’en 1700 avant J.-C., Bordesholm était déjà un lieu d’habitation important.



C’est donc en 1330 que l’ordre monastique créé par Vicelin donna naissance au village actuel. Les moines commencèrent par construire trois digues pour rendre l’île accessible, un fossé d’évacuation vers le lac d’Einfeld et une arrivée d’eau, le Stintgraben. Celui-ci relie encore actuellement le lac à un étang (le Schmalstedter Teich) et à la rivière la plus longue de la région : l’Eider. Des modifications astucieuses pour renouveler cette eau plutôt stagnante !



De cette époque, il nous reste l’église du cloître, la Klosterkirche où repose Anne de Brandebourg (1487-1514), ainsi que les fondations de quelques vieux bâtiments qui faisaient partie du monastère. Jusqu’à la Réformation, Bordesholm fut le centre politique et culturel de la région entre Kiel et Neumünster.

En 1665, l’école de latin, la Lateinschule, fut transférée vers Kiel avec l’ensemble de l’importante bibliothèque de Bordesholm. Christian Albrecht venait de créer l’université de Kiel qui en avait besoin et le monastère était fermé depuis un bail. Quant à l’autel de l’église, le « Brüggemann-Altar », il partit vers Schleswig. Alors, dépouillés de toutes ces richesses, les bâtiments se détériorèrent. Quand on avait besoin de matériaux de construction, on savait où en chercher…

Un arbre illustre mal en point

En faisant le tour du lac, vous verrez un très vieux platane en arrivant sur « l’île » ce qui est rare sous ces latitudes et sur une placette, juste à côté de l’église, vous rencontrerez un tilleul sacrément tarabusté. Il s’agit là d’un autre témoin de l’histoire de Bordesholm.

On suppose qu’il fut planté par les chanoines. En tout cas, il sert d’emblème à la ville et est inscrit sur la liste des arbres historiques : 650 ans, ce n’est pas rien ! Aussi, on peut comprendre le dilemne actuel des responsables municipaux. A-t-on le droit de tronçonner un arbre aussi symbolique parce qu’il est attaqué par un méchant champignon parasite, le champignon de cendres cassants, sous prétexte qu’il pourrait tomber un jour sur un passant malchanceux ? Finalement, on a décidé de le tailler radicalement en 2018. J’espère sincèrement le voir en meilleur état la prochaine fois parce qu’il est carrément moche et ridicule en ce moment.

Le cénotaphe de Bordesholm



La duchesse Anne de Brandebourg était l’épouse de Frédéric Ier, duc de Schleswig et Holstein et Roi du Danemark et de Norvège (à partir de 1523). Lorsqu’elle mourut de la tuberculose en 1514, elle avait à peine 26 ans. Ils avaient déjà deux enfants dont Christian III, Roi du Danemark. Ainsi, Anne et Frédéric sont à l’origine de la famille royale danoise actuelle. Le cénotaphe en bronze qui se trouve en plein cœur de la nef centrale à Bordesholm représente le couple et est considéré comme un des tombeaux les plus importants du gothique tardif. Le corps de la duchesse repose dans le caveau de l’église.

Le chemin de randonnée de la Vallée de l’Eider

A quelques pas à l’est de Bordesholm, nous voilà sur le chemin de randonnée qu’on appelle Eiderwanderweg. En tout, 11 kilomètres de route à travers champs nous attendent et une rivière qui serpente gaiement dans les prés humides — ça sent sacrément la campagne. D’ailleurs, quand on se promène là, souvent on se trouve nez à nez avec un troupeau d’aurochs ou de galloways mais pas de panique, ces animaux qu’on appelle « vaches robustes » en allemand (Robustrinder) sont habitués aux visiteurs. N’y pensez pas trop mais ils finissent tous dans une assiette après avoir brouté dans cette nature idyllique.



Vous pouvez constater qu’à cet endroit, l’Eider fait encore penser à un gros ruisseau. Pourtant, ce cours d’eau qui traverse la région avant d’aller se jeter dans la Mer du Nord a un passé mouvementé car au XVIIIe siècle, on en utilisa une partie pour créer un canal entre la Mer du Nord et la Mer Baltique. Il s’agit là du fameux canal de l’Eider que prit Jules Verne en été 1881 lorsqu’il alla jusqu’en Scandinavie avec son voilier. Qui veut en savoir plus sur ce chapitre, peut lire mes articles sur l’Eider et son canal (article) ou partir à la recherche du canal perdu avec Jules Verne (article).



Qui plus est, si aujourd’hui le Schleswig-Holstein est une seule et même région, ce n’est pas le cas depuis longtemps. Au contraire, le Schleswig danois et le Holstein germanique se sont côtoyés pendant des siècles sans s’aimer vraiment. Aussi, les régents étaient bien contents d’avoir l’Eider qui leur servit de frontière naturelle jusqu’en 1864.



Entre les villages de Techelsdorf et Grevenskrug se trouve le Pont-Bleu ou Pont des fiançailles (en allemand Blaue Brücke ou Verlobungsbrücke). S’il ne vaut pas le viaduc de Millau ni le Pont-Neuf, ce petit pont en fer restauré avec amour en 1992 doit son nom à un bon coup de pinceau. Devinez la couleur… Dans la région, c’est le plus ancien dans son genre (il fut construit en 1865 selon les archives). A l’époque, il passait pour être très moderne et surtout très solide. Avant, les habitants de la région n’avaient qu’un « petit pont de bois qui ne tenait plus guère que par un grand mystère » pour reprendre la jolie chanson de Guy Duteil.

La tourbière haute de Dosenmoor

Dosenmoor se trouve à côté du lac de Einfeld. Avec ses 521 hectares, il représente la plus grande zone de tourbe dite « haute » (Hochmoor) dans le Schleswig-Holstein. Issue d’un ancien lac, cette tourbière fait aujourd’hui jusqu’à 8 mètres d’épaisseur.

Dans le passé, on utilisa sa tourbe comme combustible, à une époque où on avait tellement défriché la région qu’on n’avait plus assez de bois de chauffage. Très longtemps, les étangs furent drainés afin de les assécher et de rendre les surfaces arables.



En 1981, cette tourbière fut déclarée zone protégée et remise en valeur si bien qu’aujourd’hui, on peut profiter d’une belle promenade afin de découvrir les spécificités de cet écosystème fragile. On y trouve des plantes typiques des tourbières comme la sphaigne, la linaigrette et le drosera mais aussi une multitude d’oiseaux, d’insectes et de reptiles dont certaines espèces rares. A l’automne, on peut même y admirer jusqu’à 200 grues qui font halte à Dosenmoor avant de repartir vers le sud.

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