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L’ABC du Canal de Kiel

A comme autoroute

98,6 km de route assez monotones… Comme une autoroute !

Le Canal de Kiel n’est pas fait pour les voitures mais sinon, il a tout d’une autoroute :

  1. Tous les jours, le NOK (c’est ainsi que l’on abrège le Nord-Ostsee-Kanal en allemand) permet à plus d’une centaine de bateaux de passer de la mer Baltique à la mer du Nord (et vice versa) sans devoir faire le tour de la péninsule du Jutland ce qui représente un raccourci de 463 km.
  2. Que ce soit à Kiel ou à Brunsbüttel, comme sur la plupart des autoroutes de France, on paie pour l’utilisation (de 12 € pour les petits bateaux de plaisance à 5000 € pour les plus gros gabarits).
  3. Une fois arrivé dans le canal, on avance à une vitesse de 12 à 15 km/h jusqu’à la sortie qui se trouve 98,6 km* plus loin. En chemin, on passe sous 10 ponts, au dessus de 2 tunnels et au bout de 6 à 8 heures, on se retrouve dans l’autre mer. Comme sur l’autoroute, pas le droit ni le moyen de faire demi-tour.
  4. Pour ceux qui veulent traverser cette « Wasserstraße », il y a aussi 14 navettes gratuites**. En règle générale, environ 8 voitures peuvent passer en même temps (poids max. de 45t). A Brunsbüttel et à Rendsburg (Nobiskrug), il y a même deux bacs qui circulent en parallèle. Les navettes de Brunsbüttel sont plus conséquentes et transportent jusqu’à 27 véhicules. Au niveau des écluses de Kiel, un petit bateau minuscule appelé l’Adler I donc l’aigle I permet aux piétons de traverser tranquillement. Comme ces navettes n’ont pas la priorité, les poids lourds ne sont pas gênés. ll faut que ça avance quoi !


* A titre de comparaison, le canal de Kiel est le canal le plus long après celui de Suez qui fait 193,3 km. Qui aime le vélo, peut emprunter les bords du NOK qui ressemblent aussi à une autoroute. En effet, une véloroute permet de circuler entre Kiel et Brunsbüttel sur du plat pendant 325 km.

** Attention ! La Schwebefähre de Rendsburg qui est une grande attraction touristique depuis longtemps est à nouveau en service depuis peu. Le chariot roulant de ce pont transbordeur avait été endommagé par un bateau il y a quelques années. Un nouveau chariot qui est en construction actuellement a été mis en circulation en 2022. Depuis, le superbe pont ferroviaire de Rendsburg est à nouveau complet. Dans le monde, il n’y a que huit ponts transbordeurs en activité.

B comme bateaux

Qui observe le trafic, que ce soit en consultant une carte interactive sur Internet (lien), assis tranquillement au bord de l’eau avec sa canne à pêche ou en mangeant une bonne part de gâteau dans un des cafés situés le long du canal, verra de tout : des cargos, des navires citernes, des pétroliers, des porte-conteneurs et des vraquiers mais aussi (à la belle saison) des liners***, des bateaux de croisière et tout un lot de bateaux de plaisance. A noter que les gros gabarits sont accompagnés de bateaux pilote ou de remorqueurs ce qui explique d’ailleurs les coûts élevés de passage.

Évidemment, il se peut qu’au début de votre promenade, le canal soit vide mais qui prend un peu son temps, verra certainement quelques bateaux. Par exemple : A l’heure actuelle où j’écris (un samedi matin), il est 7h34 et 164 navires se trouvent sur le canal dont 29 bateaux pilote et remorqueurs.

***D’avril à septembre, une centaine de liners traverse le Schleswig-Holstein par le canal (sauf en 2020).



C comme crabe

Le Canal est synonyme de transport et de transfert international. Ce qui est valable pour les marchandises, l’est également pour certaines espèces marines qui ont élu domicile sur la coque des bateaux ou dont les larves vivent dans les citernes de ballast. De la sorte, elles sont véhiculées d’une mer vers l’autre et même si le ballastage est interdit dans le Canal de Kiel, on y trouve un écosystème de plus en plus international.

Le Crabe chinois par exemple y vit depuis assez longtemps. Entre 1897 et 1914, les navires circulant entre l’empire allemand et son comptoir en Chine (Qingdao) avaient importé dans leurs réservoirs des larves de crabes à mitaines. Alors qu’au début du siècle, en mer du Nord, on tombait de temps en temps sur des spécimens dans les filets de pêche, en 1927, on en trouvait déjà dans le fleuve de l’Elbe. Dix ans plus tard, par effet de multiplication et de transports de larves, ces migrateurs vivaient dans l’eau saumâtre de la Baltique et évidemment dans le Canal de Kiel.


Pas beau mais très pratique ! Le récupérateur à eau que vous voyez sur la gauche a été modifié afin de récupérer … des crabes chinois ! Nous sommes à Geesthacht (qui se trouve sur l’Elbe), au bord de la plus grande passe à poissons d’Europe. Les crabes sont ensuite exportés en Chine. Un véritable « circle of life » ! (article)

C’est un peu la même histoire avec le tout petit Crabe américain qu’on appelle Zuiderzeekrabbe en allemand (donc le Crabe de Zuiderzee). On le trouva pour la première fois dans le Canal en 1936, son lieu de prédilection étant le lac de Flemhude qui est relié directement au canal.

Idem pour le Gobie à taches noires qui vient à l’origine de la Mer noire. On l’avait découvert au début des années 1990 dans la baie de Gdansk. Depuis, il semble s’être si bien acclimaté dans la mer Baltique qu’il fait partie des espèces dites invasives. Il représente apparemment une menace pour les bancs de moules sur les côtes Baltes et gobe avec délice les œufs de harengs au large de Greifswald. Trop bête qu’il adore les eaux saumâtres ! Il n’a sûrement plus envie de changer de crèmerie. Du coup, on convie les pêcheurs baltes à attraper du gobie. Dans le Canal de Kiel, on le rencontre aussi mais ici, il semble plutôt faire la joie des sandres qui se retrouvent enfin devant un menu plus varié. Sur les sites d’associations de pêcheurs, de nouvelles recettes ont été publiées. Apparemment, on peut les faire frire comme des éperlans.

En guise de dernier exemple, voici une nouvelle espèce qui fait du tourisme dans la Baltique depuis l’été 2016 en empruntant le Canal : la Blackfordia Virginica. Il s’agit là d’une espèce de méduse qui colonise peu à peu toutes les mers. Ce passager clandestin s’est certainement immiscé dans le Canal sous forme de polype. Comme cette méduse aime l’eau douce, les chercheurs prévoient une propagation et craignent une nuisance pour l’écosystème actuel de la Baltique.

D comme dicton

On dit souvent que le Canal de Kiel est une frontière météorologique. Alors qu’il pleut au nord du canal, il fait beau au sud (ou c’est le contraire) et c’est vrai que lorsque je vais au travail et que je m’approche du grand pont qui passe au-dessus du canal, la fameuse Rader Hochbrücke, je remarque que les nuages changent de forme, que je dois allumer mes essuie-glaces ou au contraire que les nuages semblent se volatiliser sous l’effet du soleil.



Selon les météorologues, s’il y a du vrai dans ce dicton, c’est par hasard car le canal est bien trop étroit pour avoir une influence sur le temps. Par contre, son orientation en diagonale, vers le Sud-Ouest, fait qu’il est juste à l’endroit où effectivement, il y a du changement. Le Nord est sous l’influence de la mer du Nord tandis que le Sud est plus continental. Quoi qu’il en soit, qui écoute la météo, entendra « au Nord du canal » et au « Sud du canal » et ça, ce n’est pas comme le temps, ce n’est pas prêt de changer.



E comme écluse

Si vous êtes à Kiel, vous pouvez vous rendre sur une plate-forme qui se trouve juste en face des écluses et profiter du spectacle. Ici, vous verrez les bateaux faire leurs manœuvres et entrer dans les sas. Regardez bien sur votre gauche. Vous apercevrez non seulement le grand pont double appelé le pont du Prince Heinrich qui fait 518 m mais aussi l’Adler I, la toute petite navette réservée aux piétons et aux cyclistes qui fait le lien entre les deux rives du Canal. Pour savoir quels bateaux passeront ce jour-là, vous pouvez évidemment consulter le site qui vous donne des indications sur la circulation actuelle du Canal. Alors, sur place ou par le biais des webcams, vous assisterez à ce genre de scènes :



Évidemment, à la belle saison, vous aurez plus de passage, entre autres les bateaux de croisière et les bateaux de plaisance qui profitent du soleil pour faire leurs tours. En ce qui concerne le passage des bateaux de croisière, les dates sont publiées en général en début d’année puisqu’elles sont programmées à l’avance et qu’elles intéressent le public.

Pour accéder à la plate-forme, il faut payer une obole à un guichet automatique qui se trouve en bas des escaliers (0,50€ – 1€). La terrasse est ouverte au public du lever au coucher de soleil. Sur place, vous aurez un grand écran interactif qui vous permettra de vous renseigner sur les bateaux qui circulent dans la région. A titre d’information, des vitrines placées en retrait exposent différents modèles d’écluses et donnent des renseignements sur les écluses de Kiel-Holtenau et de Brunsbüttel. Un petit hic à mon goût : Le point d’observation le plus proche des écluses est surmonté d’un toit et entouré de vitres. Par temps de pluie, les parois sont mouillées ce qui entrave un peu la visibilité. Pour les plus intéressés, il est possible d’aller au musée qui se trouve sur la rive nord mais il faut réserver. Par contre, la visite des écluses est interdite pour des raisons techniques.

La grande écluse qui est en activité depuis 1914 fait 310 m de long par 42 m de large (taille maximale des bateaux : 235 m de long et 32,5 m de large). Le passage se fait en 20 minutes à peu près. La petite écluse qui est la plus ancienne n’est plus utilisée depuis quelques années. Il est prévu qu’elle soit remplacée par une écluse plus grande et plus moderne. Ces travaux devraient durer jusqu’en 2030 si le projet est autorisé. Il s’agit là d’un chantier monstre car les murs de la petite écluse doivent disparaître ce qui représente des dizaines de milliers de tonnes de gravats. En tout, on compte utiliser un demi million de tonnes de matériel pour construire la nouvelle écluse. Les concernés ont hâte car ils espèrent avoir alors moins de bouchons à l’entrée de « l’autoroute ».

F comme fête (d’anniversaire)

Oui, en 2020, le NOK a fêté ses 125 ans ! En effet, c’est en 1895 que le Canal de Kiel fut ouvert à la circulation après huit ans de travaux. Le 21 juin, l’empereur Guillaume II était au bord de la Baltique avec son épouse, la plupart des princes allemands et les représentants de quatorze autres nations pour fêter l’ouverture. C’est le long du fjord de Kiel, devant le nouveau phare de Holtenau, qu’il baptisa ce nouveau canal du nom de Kaiser-Wilhelm-Kanal, en mémoire de son grand-père qui avait amorcé le début des travaux en 1887.

Ouverture du canal le 21 juin 1895 (Source: library of congress; wikipedia)

L’empereur venait d’inaugurer l’écluse de Brunsbüttel à Hambourg quelques jours auparavant et avec son bateau impérial, le MSY Hohenzollern, il était arrivé à Holtenau le 20 juin après avoir emprunté le canal de Kiel. En tout, il avait mis 8,5 h, guidé par un pilote. D’autres navires de sa flotte militaire l’accompagnaient.

Pendant le passage, des deux côtés du Canal, il faut s’imaginer que le peuple se pressait pour assister à cette arrivée phénoménale. Il y avait une fanfare qui jouait des hymnes et des airs connus au moment où les bateaux passaient. Les gens agitaient leurs petits drapeaux pour l’occasion. Un événement pour les habitants du Schleswig-Holstein puisque beaucoup avaient travaillé sur cet énorme chantier et que c’étaient les premiers bateaux à traverser hormis les deux navires qui avaient fait un test auparavant.

Guillaume II avait fait venir 53 navires de guerre de sa propre flotte et 53 navires étrangers qui avaient été invités pour fêter l’événement. Les festivités commencèrent le 20 juin, à son arrivée. Un grand dîner mondain avait été organisé, suivi d’un bal dansant ainsi que d’un feu d’artifice dans le fjord de Kiel. Dans le port, malgré la pluie d’orage, on avait tenu à tout illuminer avec des guirlandes électriques — les bateaux comme les bords de mer. Les écluses aussi étaient décorées de guirlandes et de fanions. Un aigle de 5 mètres de haut trônait sur un socle, prêt à faire une révérence à son maître.

Pour l’événement du 21 juin, deux grandes tribunes avaient été montées des deux côtés du nouveau phare. En tout, 5400 places, quelques tribunes privées et la tente impériale attendaient les invités.

Historiquement parlant, le discours d’inauguration de Guillaume II est intéressant car il témoigne de la versatilité politique. Après un petit retour en arrière qui louait la perspicacité de son grand-père ainsi que le zèle et l’assiduité du peuple allemand, il mettait en valeur l’ouverture mondiale qui découlait de ce canal, insistant sur son utilisation internationale au service de la paix. Quand on pense que vingt ans plus tard, l’Allemagne était en guerre contre les 14 nations invitées ce jour-là…

Comme nous sommes en pleine pandémie, la fête est passée plutôt inaperçue après avoir été reportée. Malheureusement.

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