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Le concert des sonneurs

Si comme moi, vous venez de la côte Atlantique, le sonneur à ventre de feu, ça ne vous dit peut-être pas grand chose. Jamais vu, jamais entendu ! Et pourtant, quel dommage car son concert est des plus coquaces. J’ai pu en faire l’expérience dans le nord de l’Allemagne où l’on dorlote ce petit batracien appelé « Rotbauchunke ». Dans cette région, il fait partie des espèces rares et délicates.

Donc, je vous propose de faire un petit tour près d’une mare, qu’elle soit :

  • dans les marais de Felm près de Kiel
  • dans le parc naturel appelé Geltinger Birk à quelques kilomètres de la frontière danoise
  • ou à deux pas du grand étang de Kühren dans la Suisse du Holstein, entre Preetz et Plön.

Dans la réserve naturelle de Geltinger Birk, il y a non seulement des chevaux sauvages mais aussi des petits sonneurs qui se font remarquer à la saison des amours.

Comment assister à un concert ?

D’abord, il faut venir entre le mois de mai et le mois de juillet. C’est là que le petit sonneur s’étend, s’enfle et se travaille, qu’il se gonfle comme un ballon de baudruche pour bien flotter pendant son concert. Du coup, il paraît énorme.

Le concert n’a lieu que s’il fait beau. Sans soleil, il n’y a certainement pas assez de filles à impressionner. En conséquence, allez-y en fin d’après-midi. C’est là que vous entendrez les mâles et vous ne les raterez pas car leur chant qui peut se mêler aux coassements d’autres grenouilles est très reconnaissable. Si Linné décida de leur donner le nom de bombina bombina en 1761, c’est en référence au bruit sourd qu’ils émettent (du grec ancien bómbos). A mi-chemin entre « hou » et « lou », ce chant surprend par son mélange de force (on l’entend de loin) et de douceur mélancolique et par sa performance assez comique. Le sonneur semble proposer aussi des concerts nocturnes puisque des associations organisent des sorties de nuit qui lui sont consacrées.

Sur place, ne cherchez pas les coins ombragés. Vous n’aurez pas de succès. Au contraire, les sonneurs adorent les eaux stagnantes peu profondes et ensoleillées : les grandes flaques, les étangs et les mares en plein milieu des champs. A Kühren par exemple, la mare se trouve le long de la petite route qui mène vers Wahlstorf, juste en face d’un panneau explicatif et d’un hôtel à insectes.



Une trentaine de terrains de foot pour le sonneur

Ayant remarqué que la disparition de ce joli petit anoure semblait être liée à la diminution de zones humides dans les régions agricoles, quatre pays de la Baltique lancèrent un projet international LIFE en 2004. Il s’agissait de créer 160 nouvelles zones dans le nord de l’Allemagne, au Danemark, en Suède et en Lettonie. Des espaces protégés susceptibles d’abriter les populations de sonneurs à ventre de feu. En tout, les batraciens, inscrits sur la liste rouge, disposent aujourd’hui de l’équivalent d’une trentaine de terrains de foot, de 20 km de « plages » pour se dorer la pilule et d’une cinquantaine d’abris pour subsister jusqu’à la saison nouvelle. Ils ont également plus de 13 hectares de zones humides qui ont été renaturées grâce à la suppression de systèmes de drainage. Entre partenaires, on s’envoie des oeufs, on chouchoute ses spécimens, on fait paître des bovins autour des mares afin d’en éviter l’embroussaillement et l’assèchement. Alors, espérons maintenant que le chétif continue à s’enfler et qu’il ne crève pas.



Le bonheur des uns fait le malheur des autres.

En fait, ce petit batracien semble venir d’Europe centrale. En Allemagne, on trouve deux sortes de sonneur. L’un a le ventre rouge et vit dans le nord (plat) du pays, son cousin au ventre jaune s’est approprié les régions un peu plus élevées du sud. Il n’y a pas de concurrence. En France, c’est le sonneur à ventre jaune qu’on trouve traditionnellement bien qu’il semble en régression depuis le XIXe siècle. Il est surtout présent en Lorraine.

Or, depuis quelque temps, on trouve le sonneur à ventre de feu de plus en plus souvent en Alsace, en Lorraine et en Moselle. Aussi, certains s’inquiètent de sa présence soudaine. L’exogène semble avoir été importé d’Europe centrale (accidentellement) dans l’est de la France et pendant que l’Allemagne requinque sa population de ventres rouges, en France, on craint que ceux-ci fassent de l’ombre aux ventres jaunes en créant une espèce hybride ou en véhiculant un champignon pathogène. Affaire à suivre…

Alors, les avez-vous reconnues, les citations de La Fontaine ?