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La côte sauvage de Schmoel

Quand on vient de Bretagne, la côte sauvage, c’est la presqu’île de Quiberon ou celle de Crozon. On s’imagine un choc des éléments houleux et impressionnant. Par contre, quand on parle de côte sauvage sur la mer Baltique, on a affaire à un littoral totalement différent.

Sauvage = une mini-falaise et des fossiles à qui mieux mieux

En fait, la mer et la terre sont souvent à la même hauteur et s’il y a une falaise, elle fait au grand maximum 20 à 30 mètres. Cependant, même lorsqu’elle ne mesure que quelques mètres, on l’appelle déjà fièrement « Steilküste », donc ‘côte escarpée’ ou falaise. C’est le cas de la côte sauvage qui se trouve au nord-est de Kiel, entre Schönberg et Hohwacht. Et c’est ici que je vous emmène.

Ici, pas besoin d’emmener sa serviette. Vous n’aurez pas une plage comme on les aime d’habitude mais un beau coin de nature quand même.



La falaise liliputienne de Schmoel est faite de sable, d’argile et de galets. Sur la Baltique, ce genre de côte friable est assez fréquent. Il faut avouer que les falaises sont bien plus hautes à Stohl et à Laboe, néanmoins, celle de Schmoel offre les mêmes couleurs terreuses et les mêmes débris.

Qui se promène le long de cette côte sauvage, a le choix entre le sentier qui longe cette mini-falaise, juste au bord des champs, et la plage de galets qui fait une dizaine de mètres de large mais qui regorge de fossiles et de pierres arrondies par la mer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on appelle ce genre de plages Naturstrand. C’est la « nature » qui a façonné la « plage » et on n’y touche pas. Naturstrand quoi !


En direction de Schönberg et de Kiel

Je vous conseille vivement de traîner au bord de l’eau. Ici, vous ne trouverez pas forcément d’ambre mais si vous cherchez un peu, vous tomberez certainement sur quelques rostres de bélemnites. Avec un peu de chance, vous ramasserez aussi un bel oursin fossilisé. L’endroit est réputé en général pour ses fossiles et ses trésors géologiques.


En direction de Hohenfelde

Si vous commencez votre parcours à Hohenfelde ou à Gut Schmoel, vous marcherez le long d’une sorte de talus herbeux avant d’arriver au segment de falaise. Sauvage et romantique par tous les temps, même en plein hiver !



Plus sauvage = la lagune de Schmoel

Là où la côte s’approche trop du niveau zéro, on trouve, comme à la mer du Nord, des digues massives qui protègent les terres.

Il faut dire que malgré son air inoffensif, la mer Baltique peut quand même piquer une colère de temps à autre, sortir de ses gonds et ravager le littoral comme elle l’a prouvé en 1872. Dans la nuit du 12 au 13 novembre, elle avait tout cassé sur son passage, tué hommes et bêtes sur des centaines de kilomètres si bien que par la suite, on finit par construire des digues comme c’est le cas à Schönberg et à Schmoel. Néanmoins, dans les années 1990, on décida d’aplanir 800 mètres de digue et de recréer une zone nature appelée « Strandseenlandschaft ».


Derrière les dunes, vers les terres, on est en-dessous du niveau de la mer. Parfait pour créer une zone lacustre !

En fait, il s’agissait d’une compensation pour toutes les zones aménagées, les kilomètres de digues et les surfaces agricoles qui s’étendent jusqu’au bord des plages.



Depuis, cette zone protégée qui communique régulièrement avec la mer a changé de faciès. Elle commence à ressembler aux paysages lagunaires que l’on trouve dans la région, par exemple à Behrensdorf et à Sehlendorf … même si elle se cache un peu trop à mon goût. On peut en faire le tour, c’est tout.

En contournant cette zone, on aperçoit juste les surfaces d’eau entre les joncs. Les cygnes si chers à la Baltique viennent s’y reposer le soir et on peut même voir paître les bœufs entre les arbres mais défense d’entrer !



Encore plus sauvage = le passé satanique de Schmoel

En prenant le sentier qui longe les champs, surtout en plein hiver, on a l’impression d’être dans un endroit immobile. Le vent glacial balaie les champs dénudés. Au bord de l’eau, beaucoup de pierres, du sable, quelques bancs d’algues. Un groupe de cormorans vole vers l’horizon. Côté terres, derrière une rangée d’arbres, on aperçoit Gut Schmoel, domaine agricole en plein nirvana. Ses gros silos à grains bien ronds et son énorme grange en toit de chaume rappellent qu’ici, on vit de l’agriculture depuis des lustres. Autour de ce vieux châtelet au portail historique se masse un tout petit village. Un hâmeau pour être plus exact. Un cadre au calme plat, presque monotone qui pourrait faire penser que Schmoel n’a pas d’histoire à raconter. Et pourtant…



Au printemps 1686, dans le tout petit village de Schmoel, des gens tombent malades. Rapidement, deux femmes du bourg s’accusent mutuellement de sorcellerie et lorsque quelque temps plus tard, l’une d’elles commence à se sentir fièvreuse, son mari va se plaindre chez l’intendant du domaine seigneurial. Christoph de Rantzau, propriétaire des lieux, n’est pas là mais l’accusation du serf est enregistrée. A son retour, le comte fait emprisonner la suspecte. Sous l’effet de la torture, elle avoue avoir utilisé des plantes à des fins sataniques et balance au passage quelques personnes. Aussitôt, on les fait parler et eux aussi avouent. Jugés et condamnés à mort, ils sont étranglés puis brûlés sur place. Etranglés AVANT parce que ça fait moins mal et moins barbare. Cinq démons de moins…

Quatre jours plus tard, les habitants semblent avoir compris qu’en désignant des loups-garous, des sorcières, des démonistes, ils peuvent se débarrasser de certaines personnes bizarres, hors-norme ou désagréables. D’une certaine manière, il s’agit des règles du jeu moderne Les loups-garous de Thiercelieux. Sans les loups-garous évidemment ! Suspectées et dénoncées à l’unanimité, puis condamnées illico presto, onze personnes se retrouvent sur un bûcher bien qu’elles aient expliqué après coup qu’elles avaient avoué n’importe quoi. Par peur de la torture ou pour en éviter une supplémentaire. Les deux pasteurs tentent de parler en faveur des condamnés, une femme est enceinte et ne devrait pas être exécutée d’après le Malleus Malificarum de 1486. Qu’à cela ne tienne ! Onze damnés de moins…

Le comte de Rantzau remet ça une troisième fois un peu plus loin, près de Neustadt. Et encore quelques hérétiques de moins…

Par la suite, il sera obligé de quitter la région et n’y reviendra plus jamais. En 1688, il essaie de calmer les vagues et affranchit ses serfs à distance. La couronne danoise et le duc du Schleswig-Holstein lui font un procès, l’accusent d’avoir surpassé ses droits. D’après les lois en vigueur, il n’aurait pas eu le droit de condamner ces personnes. On lui reproche entre autres de ne pas avoir accordé d’avocats de la défense aux suspects. Obligé à payer vingt mille Reichstalers de dédommagement, il finit par vendre ses biens dont le Gut Schmoel en question. Et voilà les affranchis de Schmoel à nouveau asservis ! Ce serait osé de dire qu’ils l’ont mérité mais en tout cas, quelle catastrophe ! Le mal est fait. Une vingtaine de personnes est morte à une époque où l’inquisition ne fait plus trop de dégâts, dans une région qui n’a pratiquement pas eu de procès de sorcellerie. Ces (con-)damnations passent pour être les plus cruelles du Nord. Et ça, dans ce petit trou paumé, en pleine nature.

En voyant ces petits échafaudages de pierres que quelqu’un avait laissés au passage, j’ai pensé au rituel pratiqué dans les cimetières juifs depuis la nuit des temps. Et j’ai eu une petite pensée pour ces personnes qui furent victimes de superstition, d’un manque de tolérance ainsi que de fanatisme. Des personnes qui n’avaient sûrement pas fait Grand Mal. Qui ne se transformaient probablement pas en loups-garous et qui ne s’envolaient certainement pas à califourchon sur leurs balais diaboliques. Assez sauvage, le XVIIe siècle à Schmoel !



Informations utiles

En arrivant au petit bourg de Schmoel, vous verrez une sculpture insolite érigée en hommage à ces victimes.

D’autres falaises et lagunes dans le coin